Hommage à Véronique Colucci, Coluche et Maurice Najman...!
Article rédigé par Brigitte Bouzonnie du 6 avril 2023
Véronique Colucci est décédée. C'était la première femme de Coluche. Une femme bien. L'amie de lycée de mon vieux pote politique : Maurice Najman. En mai 1968, tous les deux militaient aux CAL : comité action lycéen. Les CAL ont d’abord été d’obédience communiste puis trotskiste. Dans un livre de souvenirs sur Mai 68, Georges Séguy rend hommage aux jeunes des CAL (communiste).
En fait, il y a eu 2 CAL : un communiste et un trotskiste, résultat d’une scission avec le CAL communiste. De mémoire, Michel Field animait le CAL trotskiste. A quinze ans, Maurice militait chez les jeunes communistes et dans le CAL communiste. Naturellement, très vite, il s’est fait exclure du Parti, étant trop à gauche, trop critique.
Il faut savoir que toute sa famille Najmann était communiste, à commencer par Solange sa mère. Voilà pourquoi Maurice s’est appelé Maurice, à cause de Maurice Thorez. Et son frère Charlie s’est appelé Charles, à cause du Général de Gaulle. Dans la famille Najman, on ne plaisantait pas avec les vrais héros.
Charlie Najmann a réalisé un film intitulé : “la mémoire est-elle soluble avec l’eau” (1991). Je le revois encore présenter son film sur LCI, chez Daniela Lumbroso. Dans ce film, il raconte l’histoire de sa mère, Solange, communiste, déportée au camp de Ravensbrück. Dans le film, on voit donc la mère de Maurice raconter avec humour (si, si !) sa déportation, où elle marche sur les cadavres de ses amis. Et le fait que le Gouvernement français, à cause de la sinistre politique de collaboration de Vichy lui envoie chaque année de l’argent pour la “dédommager”. Avec, elle s’achète un manteau de fourrure, qu’elle ne met jamais !
Je reviens à Véronique Colucci. Elle est très politisée, communiste à ses débuts : ce que personne ne dit aujourd’hui. Idéologiquement, elle suit Maurice dans ses idées gauchistes 68ardes. Maurice milite au PSU jusqu’en 1976. Il le quitte pour des raisons théoriques assez puériles, parce qu’il est en désaccord avec un paragraphe du texte du congrès. Il fonde l’AMR, -l’alliance marxiste révolutionnaire-, devenue ensuite les CCA : “comités communistes pour l’autogestion”. Puis son groupe s’appelle de nouveau l’AMR, avec 50 militants dans toute la France. Je me souviens d’une discussion avec l’un d’entre eux rue d’Avron, dans le XXème arrondissement de Paris, siège de l’AMR mais aussi de la “Fédération pour une gauche alternative”, où je militais au Bureau Politique en 1986 (avec Maurice). Il me dit sans rire que tout l’avenir du mouvement ouvrier français dépend de la seule petite AMR.
Mais revenons à la fin des années soixante-dix. Coluche décide de se porter candidat aux élections présidentielles de 1981, à la grande peur de perdre du félon mitterrand. Dans son entreprise, Véronique Colluci conseille à Coluche de s’entourer de Maurice Najman, ce qu’il fait. Fait également partie de l’équipe l’affreux et futur atlantiste-macroniste Romain Goupil, JCR jeune communiste révolutionnaire, second de Michel Récanati.
Pourquoi Goupil ? Parce que, malheureusement Michel Récanati, qui est un responsable politique sincère, chef des JCR se suicide le 23 mars 1978, comme le montre le film “Mourir à 30 ans” de Goupil de 1982. Celui-ci, gros profitard, s’annexe la sincérité et l’engagement politique très à gauche de Récanati. Deux mots sur Goupil à l’intellect limité. Dans “mourir à 30 ans, il raconte comment Récanati et lui font plus de 80 réunions par semaine sur les campus des facs parisiennes. Le premier exposé de Goupil porte sur Cuba, “petite île”(sic). Il patauge lamentablement, sort un topo interminable. Par la suite, Récanati ironise, lui disant souvent : “souviens-toi de Cuba petite île”. J’avoue que lorsque je vois Goupil à la télé, avec son éternel air de bon gros second, style Sergent Garcia : je pense : vraiment, “Cuba petite île” !.
Dans le film de Goupil, on voit aussi Maurice. On est en Mai 68, dans la cour de récré de son lycée. Mince, beau comme un prince : il plaisait beaucoup aux filles, les garçons étaient jaloux de ses succès féminins. Le col de la chemise blanche sur son blazer noir. Il dit :”D’accord, d’accord, Mitterrand, c’est un salopard, mais il faut”(sic). Et là, l’affreux Goupil coupe le son. Mais je suis sûre qu’il voulait dire : “il faut trouver une issue politique à Mai 68”.
Récanati ne supporte pas le triste échec du mouvement social post-68 ard observé à la fin des années soixante-dix. D’abord, on constate une augmentation du nombre de JINT (journées individuelles non travaillées) entre 1968 et 1975. L’année 1975 est l’apogée du nombre de grèves. Mais, à compter de 1976, elle est suivie d’un long déclin, se poursuivant pendant toutes les années quatre vingt. C’est un phénomène peu connu, mais on constate beaucoup de suicides chez les gauchistes à la fin des années 70, qui ont vu leurs rêves de “changer le monde” partir en fumée.
Grâce à sa femme Véronique et Maurice, Coluche a donc une bonne culture et conscience politique. Pour s’en convaincre, il suffit d’écouter ses sketchs, le ton mordant et lucide avec lequel il dégomme des hommes politiques professionnels. Ainsi, lorsqu’il dit notamment : “ ce sont les gens qui doivent gagner les élections : pas un tel ou une telle” (sic). Ou bien encore : “Si la Gestapo avait les moyens de nous faire parler, aujourd’hui, le Pouvoir a les moyens de nous faire taire” : une phrase que je médite longuement avec un Facebook qui n’est plus hélas le bel espace de libertés qu’il était en 2010-2011. Je parle d’expérience. Ou bien : “A la télévision, il ne faut pas le dire (les choses essentielles) : il y a trop de gens qui regardent !”(sic). Et son sketch “Les casseurs”, où il dénonce à juste titre les casseurs payés/ téléguidés par la police, pour dévaluer, démonétiser le mouvement social du moment.
La suite on la connait, Coluche fait 17% d’intention de votes. Le Pouvoir prend peur et lui interdit les 200 signatures. Il n’en aura qu’une seule, alors que la pâle Bouchardeau réussit à les avoir. Il tire prétexte d’un vol de 6 rasoirs jetables commis dans sa jeunesse par le jeune Michel Colucci désargenté, pour salir son image dans l’opinion publique. Une histoire racontée par Véronique Collucci elle-même dans une vidéo à la mémoire de Coluche. Ce que voyant (absence de signatures), Coluche jette l’éponge, arrête sa candidature politique. Mais, mis à part le croche-pattes sournois des 200 signatures, une triste idée de Giscard pour obliger le centre à se battre ensemble, elle a été très près de réussir. Tout le monde était pour Coluche, à commencer par le sociologue Pierre Bourdieu, très admiratif pour son initiative. Très brillant intellectuellement, Maurice a beaucoup aidé Coluche dans son rôle de candidat pas comme les autres. Mais Coluche n’était pas mal non plus. Véronique, Coluche et Maurice formaient un trio politique superbe.
“Coluche politique”, c’est un livre qui reste encore à écrire. Toutes les biographies de Coluche que j’ai pu lire insistent sur sa vie privée, ses femmes, ses gauloiseries, cf la biographie ternouille rédigée par Philippe Boggio, journaliste du Monde, intitulée “Coluche”, aux éditions J’ai lu. Et qui ne parle que du clown, l’écume de l’apparence. Ce n’est pas loin de là, le plus important. Un livre qui devrait être écrit par des militants politiques traitant Coluche comme un des leurs. Je me souviens d’une discussion de Maurice avec Coluche, qui l’a baratiné sur la FGA : Fédération pour une gauche alternative créée entre autre par la gauche du PSU. Coluche était d’accord avec nos idées : notamment dans notre volonté de lutter contre le chômage. Il était profondément anti mitterrandien, prêt à nous donner de l’argent.
Aujourd’hui, avec le mouvement des Gilets Jaunes, on assiste à un certain retour de ce Coluche politique, que l’on aime. En 2018, la photo de Coluche, on la voyait souvent dans les manifs des GJ. Jamais, sur le fil d’actu de Facebook, il n’y eut autant de vidéos de ses sketchs, formules à l’emporte pièce, faisant toujours mouche. Nul doute qu’il existe un cousinage certain entre la pensée de Coluche et l’anarcho-politique des vestes jaunes. La même détestation de la classe politique professionnelle ne défendant pas du tout le Peuple français.
Je regrette la vulgarité et le peu d'émotion des médias aux ordres lors du décès de Véronique Colucci. Médias qui, visiblement ignorent tout de la valeur de cette femme profondément honnête et engagée toute sa vie dans la gauche critique.
Éveillés avant tous les autres