UNE JEUNESSE 2018 DEMANDEUSE D'UNE OFFENSIVE EXTRA-SYSTEME !
Article rédigé en 2018 par Brigitte Bouzonnie
C'est le philosophe Alain Badiou le premier, qui a osé le dire : "la jeunesse 2018 est clairement demandeuse d'une offensive politique extra-système. C'est sur cet élan que s'est bâti le succès de Mélenchon et de la France insoumise en 2017" (sic) (cf entretien dans Les Inroks du 17 mai 2017). Je partage 5 sur 5 l'analyse d'A. Badiou. D'ailleurs, différents travaux scientifiques appuient et corroborent son analyse :
1)-En premier lieu, une enquête de l'INSEE d'octobre 2017. Elle montre que sur 10 jeunes, 2 seulement ont voté aux quatre scrutins 2017 : 2 scrutins présidentiels +2 scrutins législatifs. L'étude de l'INSEE montre donc une faible appétence des jeunes pour le suffrage universel et pour une démocratie parlementaire professionnalisée, coupée de la réalité, comme le montre l'ouvrage collectif de Julien Boelaert, Sébastien Michon, Étienne Ollion "Métier : député", enquête sur la professionnalisation de la vie politique, édition raison d'Agir, 2017, rédigé à partir d'une enquête originale menée à l'Assemblée Nationale.
2)- 25% des jeunes veulent faire la Révolution. Ce n'est pas moi qui le dit mais Olivier Galland et Anne Muxel, auteurs de l'ouvrage "La tentation radicale. Enquête auprès des lycéens", édition PUF, 2018. L'idée d'une montée de la radicalité de la jeunesse a été établie par 2 spécialistes reconnus de la sociologie de la jeunesse : Galland et Muxel. Ils ont construit et analysé une enquête inédite menée auprès de 7000 lycéens de toutes origines sociales. Leurs conclusions sont sans appel : l'extrémisme politique des jeunes est établi, pour 25% d'entre eux, d'une part, par leur positionnement explicite à l'extrême-gauche. D'autre part, leur adhésion à l'idée qu'il faut changer la société par une action révolutionnaire.
Comme on est loin des "bof-générations" précédentes et du chacun pour soi, qui a dominé pendant 30 ans : entre 1980 et les années 2010-2016. 2016 est l'année de la mobilisation anti-Khomri, où les jeunes ont participé activement aux 14 journées de mobilisation sociale organisées contre ce projet scélérat. Comme il semble loin le temps du rejet du marxisme par les jeunes, alors que précisément, on assiste à un succès du marxisme auprès des jeunes, note Greg Oaxley, responsable du courant marxiste La Riposte au sein du PCF, dans un article intitulé : "L'étonnant retour au marxisme de la jeunesse" de 2012.
De son côté, et dans un numéro spécial consacré à "Marx, Le coup de jeune", printemps 2018, Lucien Sève, philosophe, pointe la courbe montante de la vente des oeuvres de Marx aux éditions sociales. Retour d'intérêt du aussi au succès du film de Raoul Peck sur la vie palpitante du jeune Marx et Engels, militant avec leur jeunes compagnes Jenny et Mary pour changer la vie en transformant le monde.
Les slogans des jeunes entendus lors de la mobilisation anti Khomri ou du mouvement social du printemps 2018 pleins d'humour et d'inventivité montrent leur radicalité à gauche : "1968, on s'en fout : on veut 1793". "Nos rêves sont trop grands pour rentrer dans vos urnes". "Regarde ta Roleix, c'est l'heure de la Révolte", "Pour la France d'en haut des coquilles en or, pour la France d'en bas, des nouilles d'abord". "PS : chose promise : chomedu". "Notre futur remplacé en No Futur". "Qui sème la misère récolte la tempête". "Feuilleton El Khomri, plus moche la vie", etc.
On connaît le destin fabuleux des slogans de mai 68 : on en a fait des thèses, des articles, des rapports officiels, des nappes en papier, draps de lit, sets de table, cartes postales, robes, sweatshirts, etc. Inversement, le destin des slogans de la jeunesse 2016-2018 est très différent : on se les passe en contrebande, pire qu'une drogue suspecte. Si la question de la jeunesse était la question phare qui occupait tous les philosophes, idéologues au cours des années 70 ; à l'opposé, mis à part Alain Badiou, son ouvrage "La vraie vie" et Emmanuel Todd, tout le monde s'en tape, y compris sur Facebook, à l'exception de Judith Bernard et de moi.
La jeunesse 2018, c'est aussi une jeunesse diplômée déclassée pointée par Emmanuel Todd, lors de sa récente conférence à Sciences Po. Ainsi, le destin d'un polytechnicien aujourd'hui, prisonnier des salles de marché, n'a plus rien à voir avec la trajectoire royale de ce même polytechnicien dans les années 60.