Un soir, un train d'André Delvaux (1967). Avec Yves Montand, Anouk Aimée
Analyse du film réalisé par André Delvaux effectuée par notre ami Claude Picart
Un soir, un train d'André Delvaux (1967). Avec Yves Montand, Anouk Aimée, Adriana Bogdan, Hector Camerlynck, François Beukelaers, Michael Gough, Senne Rouffaer, Domien De Gruyter.
Un soir… un train, second long-métrage d’André Delvaux est adapté d’un ouvrage de Johan Daisne : « De trein der traagheid » publiée en 1950. Le romancier est un des écrivains qui ont le mieux fait connaître en littérature le « réalisme magique », un courant artistique qui concrétise l’irruption de l’irrationnel dans un contexte réaliste. C’est André Delvaux qui, en contribuant à la renaissance du cinéma belge vers la modernité devint l’un de plus importants représentants de ce mouvement traquant l’étrangeté dans la réalité du quotidien. Dans Un soir… un train il transpose la nouvelle de Johan Daisne aux années 1967-1968 qui sont marquées par un conflit politique local, dit « affaire de Louvain », qui opposa les nationalistes flamands aux francophones de l’université catholique de Louvain.
Yves Montand incarne Mathias un professeur de linguistique qui se pique aussi de théâtre et qui partage sa vie avec Anne, une française pas à l’aise, interprétée par Anouk Aimée. Tous deux participent à la production d’une pièce néerlandaise intitulée « Elckerlijc ». Très vite, alors que le couple doit se séparer en fin de journée, le film met en évidence le thème de l’incommunicabilité entre eux, puis, plus avant, entre les voyageurs et le monde extérieur. Dans sa première partie, Un soir… un train semble, avec une belle palette de langues pratiquées (flamand, français, anglais), insister sur la communication : acteurs au théâtre ou Mathias donnant un cours de linguistique. Mais cette approche est vite délaissée au profit d’un manque d’échange de plus en plus accru dès que le voyage en train de Mathias débute. Le cinéaste nous propose alors une narration en apparence très triviale (se repérer, manger, s’abriter, etc.) avec une profusion de détails matérialistes mais qui est contredite par un décollement du réel, une étrangeté qui enveloppe les situations et qui pourrait trouver une explication chimérique dans sa conclusion. Un soir… un train ne cesse de mettre en évidence l’incompréhension qui sépare les êtres et régit les rapports du couple, des étudiants, des voyageurs, des villageois. Le film d’André Delvaux s’inscrit très nettement dans le cinéma de Michelangelo Antonioni profondément marqué par l’existentialisme. Cependant le film ajoute une dose de fantastique et d’absurde à la solitude et à l’égarement de ses personnages, la sensible Anne et l’intelligent Matthias, un couple qui n’assume pas ses ambigüités sentimentales. Comme le définissait son auteur, Un soir… un train est un film sur « l’aventure d’un homme qui, croyant tout savoir, est ramené par les circonstances à comprendre qu'il ne sait rien… ». C’est tout l’art du cinéaste qui revendiquait, avec ses films, donner au spectateur l'impression d’un réalisme assuré puis l’amener ensuite à douter de ce qu’il voyait. Avec sa progression inexorable vers l’irrationnel qui déstabilise Mathias et ses acolytes, Un soir… un train est un film troublant sur le thème crucial de la question existentielle assortie de son interrogation philosophique sur la nature du réel.