Taxation des superprofits : la France, de l'isolement à l'hypocrisie
Article rédigé le 03/11/2022 Par Marine Rabreau sur le site ELCUID
La taxation des superprofits apparaît comme l’ultime solution à la crise, dans une Europe exsangue, prise en étau entre l’OTAN et la Russie. Braquée et isolée, la France a fini par s’y résoudre, contrainte par les exigences de Bruxelles. Et propose ainsi une « chasse aux rentes » des énergéticiens… qui existait déjà. Au fond, c’est l’État français qui profite de la crise énergétique cristallisée par un fonctionnement ubuesque du marché européen intégré de l’électricité. Vous avez dit immoral ?
L’Europe, prise dans un étau géostratégique opposant l’OTAN et la Russie en Ukraine, sur fond de guerre énergétique et de déséquilibres post-covid19 persistants, s’est auto-piégée par le retour d’une inflation galopante dans un contexte de surliquidités artificielles qui inondent la planète, et de surendettements publics qui phagocytent les États. Le Vieux continent s’enfonce dans le déclin.
D’un côté, la grande masse des entreprises, qui croulent sous les coûts insoutenables et les menaces de pénuries, freinent (1) ou envisagent de suspendre leur activité. De l’autre, la grande masse des humains (en particulier les jeunes) lutte dans son quotidien contre la baisse continue de son pouvoir de (sur)vivre.
Impuissante, elle ne supporte plus l’immoralité de ceux qui se gavent grâce à des marchés financiers qui n’ont plus aucun rapport avec la réalité économique, et l’injustice d’un traitement politique hors sol en faveur des plus aisés (2), dans le but d’un éventuel ruissellement qui n’a (et n’aura) pas lieu. Résultat, la cocotte-minute de la colère sociale siffle, et les grands dirigeants et argentiers s’affairent pour protéger leur système néo-libéral mondialisé pourtant à bout de souffle.
La taxation des superprofits : l’ultime solution, morale et politique
Mais, où trouver l’argent ? Pas du côté des Banques centrales : les shoots d'amphétamines au système bancaire, c’est fini. Pas non plus du côté de la dette publique : l’hémorragie est déjà bien assez incontrôlable, dans un contexte de remontée à marche forcée des taux d’intérêt. En plus de ne pas avoir l'effet escompté sur l'inflation, les risques pour la stabilité financière mondiale augmentent, selon le FMI. Face à la pénurie de création d’argent magique, la taxation des superprofits s’est imposée comme l’ultime solution pour financer les coûts socio-économiques de la crise énergétique.
Manifestation contre la hausse du coût de la vie et l'inaction climatique à l'appel de la coalition de gauche française NUPES, Paris, 16 octobre 2022 - Julien de Rosa - @AFP
Aujourd’hui, la question n’est plus de débattre sur le principe même de son application, mais sur la façon de l’imposer. Sachant que la substance et la pertinence d’une telle mesure (potentiellement hautement distorsive) dépend avant tout de choix politiques : quels niveaux (ou fourchettes) des taxe(s) ? À partir de quels niveaux (ou fourchettes) de profits ? Sur quels secteurs : seulement l’énergie, certains secteurs, tous les secteurs qui profitent d’un effet d’aubaine ? Sur quels périmètres géographiques : sur les bénéfices nationaux, européens, mondiaux ?
En France : de l’isolement…
Carrément consciente de sa lourdeur et de sa lenteur, la Commission européenne a incité chacun de ses membres, dès mars 2022, à instaurer une contribution exceptionnelle sur les bénéfices des entreprises énergétiques. Ainsi, l’Italie a-t-elle ouvert le bal en instaurant une taxe exceptionnelle de 10 % (puis 25 % en mai). Puis la Grèce, le Royaume-Uni, l’Espagne, mais aussi la Roumanie, la Bulgarie, la Hongrie, ou encore les Pays-Bas, la République tchèque… Même l’Allemagne s’y est résolue. Dans une Europe désunie et désorganisée, chacun y est allé à sa sauce, selon son contexte national.
Et en France ? « On n’aime pas les taxes », dixit Bruno le Maire. Pendant des mois, ni le discours ni la posture n’ont bougé d’un iota. Emmanuel Macron préfère une « contribution européenne » plutôt qu’une taxe nationale, jouant la montre. Il aura fallu que la Commission européenne signe un accord en express fin septembre (grâce à l’article 122 du TUE qui lui évite de passer par la case Parlement) pour que la France, sous contrainte donc, finisse par intégrer deux amendements sur le sujet au Projet de loi de Finances (PLF) 2023, pour lequel la procédure du 49.3 a été activée…
Le gouvernement prévoit une réforme des retraites, de l'assurance-chômage et des aides sociales, mais ne touche pas un cheveu des niches fiscales, qui représentent un manque à gagner de 83 milliards d'euros (3).
… à l’hypocrisie
Dans son Projet de loi de Finances 2023, l’exécutif copie-colle, quasi mot pour mot, les deux « exigences » européennes. Ainsi, d’un côté, le gouvernement prévoit une « contribution temporaire de solidarité » (pour ne pas dire une taxation des superprofits !) de 33 % des bénéfices de 2022-2023 supérieurs à 750 millions d’euros, réalisés en Europe, et en hausse de plus de 20 % par rapport à la moyenne de 2017/2018/2019. Elle ne « touchera que les producteurs de pétrole, de gaz, de charbon ou les raffineurs », et ne va « rapporter que 200 millions d’euros, c’est-à-dire pas grand-chose », comme le concède le ministre de l’Économie.
Manifestation contre la hausse du coût de la vie et l'inaction climatique à l'appel de la coalition de gauche française NUPES, Paris, 16 octobre 2022 - Christophe Archambault - @AFP
Du coup, d’un autre côté, le gouvernement, qui dit préférer la « lutte des rentes », entend plafonner les revenus de production de l’électricité à 180 euros le mégawattheure. En clair, l’État récupère la différence entre ce plafond de 180 euros et le prix de revente. De quoi rapporter quelque 26 milliards d’euros, soit « plus de la moitié de notre bouclier énergétique », qui coûte 45 milliards d’euros, selon Bercy.
Dans le cas français, ces mesures européennes n’auront en réalité qu’un faible impact. Les filières éolienne et photovoltaïque, qui certes réalisent des superprofits, contribuaient déjà ainsi au budget de l’État. Le gouvernement a même, discrètement durant l’été, fait sauter le plafond (4) de cette contribution, tout en martelant la nécessité d’aller « deux fois plus vite » sur le renouvelable en France.
Concernant le nucléaire, EDF vend déjà 85 % de sa production sur le territoire national à prix régulés. Dans cette chasse aux milliards, l’État favorise les énergéticiens fossiles du pétrole et du gaz, et épargne les autres "profiteurs de crise", comme les entreprises du fret maritime, de l’agroalimentaire et du système bancaire.
Au fond, c’est l’État français qui profite du fonctionnement ubuesque du marché européen intégré de l’électricité, qui conduit actuellement à des prix de gros in fine indexés sur la flambée des cours mondiaux du gaz. Des prix qui n’ont plus aucun lien avec la réalité des coûts effectifs de production. Même si c’est pour soutenir les entreprises et les ménages, cela reste parfaitement immoral. Et hypocrite.
Photo d'ouverture : Corona Borealis Studio - @Shutterstock
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03.11.2022 à 22h07
Que signifie réellement taxer des profits ?
il s'agit d'une manière de légitimer l'appropriation de la valeur produite par le travail d'autrui (c'est bien cela le profit n'est-ce pas?).
Nous ne devons pas taxer les profits, nous devons les supprimer !
Prendre possession démocratiquement de la valeur économique produite par notre travail commun pour enfin construire le monde au-lieu de nous activer chaque jour à le détruire en nous mettant, malgré nous, au service de propriétaires lucratifs (nos employeurs) qui font des profits sur notre dos...
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