"Socialement, ils veulent me déglinguer" : le gilet jaune Jérôme Rodrigues, gilet jaune, sort de garde à vue pour « organisation de manifestation interdite !"
Marianne, le 16/02/2022, Propos recueillis par Hugo Romani et Jean-Loup Adenor
Alors qu'il manifestait avec le « convoi de la liberté » samedi à Paris, le gilet jaune Jérôme Rodrigues a été interpellé et déféré au tribunal pour « organisation de manifestation interdite » et « participation à un groupement formé en vue de commettre des violences ». Contacté par « Marianne », il se dit victime d'un « harcèlement ».
Jérôme Rodrigues a l'air hagard, le visage très fatigué, il ne cherche pas à dissimuler ses sanglots et demande pardon « à [s]a mère, [s]a sœur, [s]a famille ». Ces images relayées sur les réseaux sociaux ont été captées au Palais de justice de Paris où Jérôme Rodrigues, militant Gilet jaune de la première heure, s'est vu remettre une convocation pour un procès qui se tiendra devant le tribunal correctionnel, le 8 juillet prochain. Le gilet jaune sort à peine d'une garde à vue pour « organisation de manifestation interdite » et « participation à un groupement formé en vue de commettre des violences ». Il nie pourtant toute implication dans l'organisation du « convoi de la liberté » qui a manifesté à Paris samedi 12 février. Il s'est entretenu avec Marianne et déplore le « harcèlement » dont il s'estime victime, de la part du gouvernement et de la police.
Marianne: Que s'est-il passé lors de la manifestation du 12 février ? Pouvez-vous clarifier votre rôle dans son organisation ?
Jérôme Rodrigues : Tout ça commence en réalité dans la semaine qui précède la manifestation. J'ai vu que le phénomène du convoi de la liberté prenait de l’ampleur et, comme je le fais souvent, j'ai relayé les informations sur ma page Facebook. Il y avait cette ambiance du début des gilets jaunes, je cherchais des informations à communiquer à tous ceux qui me téléphonent et qui voulaient savoir ce qui allait se passer. Je ne suis pas l'organisateur de cette manifestation. Et contrairement à ce qui a été dit dans la presse, c’est un mouvement composé, dans sa grande majorité, par des Gilets Jaunes – pas des antivax. D’ailleurs la majorité des gilets jaunes n’est pas antivax.
« Quand je vois des types comme Taha Bouhafs ou Jean-Luc Mélenchon qui pleurent sur leur sort parce qu’ils reçoivent des insultes… Moi, personne ne m’a soutenu ! »
Vendredi, j’ai donc participé au convoi, j’ai rejoint un groupe de nordiste à Beauvais pour faire les derniers kilomètres avec eux. Puis, j’ai décidé de m’éclipser, ma présence sur les Champs-Élysées aurait pu leur créer des problèmes. En arrivant dans le XIIIe arrondissement, j’ai compris que les Champs-Élysées avaient été repris par la police. Avec un ami qui manifestait aussi, nous avons voulu aller voir ce qui s’y passait. On est arrivés au métro Madeleine. On ne s’est pas rendu compte que c’était la rue du Palais de l’Élysée. Là, un policier est sorti de sa voiture et m'a arrêté. J’ai évidemment déclenché un live sur Facebook. Je m’attendais à recevoir, comme d’habitude, 135 euros d’amende mais ils m’ont carrément emmené au poste.
Que se passe-t-il une fois arrivé au poste de police ?
Au début, l'officier de police judiciaire avait plutôt l'air embêté par ma présence, l'air de dire que je n'avais rien à faire là. Mais après s'être entretenu avec sa hiérarchie, il a commencé à me reprocher « l’organisation d’une manifestation illégale en vue de commettre des violences et des dégradations ». J’ai été auditionné pendant plus de trois heures, ça s'est terminé vers deux heures et demie du matin. J’ai vraiment été traité comme un chien. L’un des gardiens m’a dit, je cite, « d’aller me faire enculer ».
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J’avais déjà fait de la garde à vue mais là c’était une tout autre dimension. À 16 h 45, soit à un quart d’heure de la fin de ma garde à vue, on est venu pour me faire signer des papiers. J’ai dit : « Je sors ? » On me répond : « Non, tu es déféré ». Ils m’ont fait croire que j’allais voir un juge le soir même, mais j’ai été envoyé aux geôles du Palais de justice, dans une cellule isolée. Le brigadier m’a dit : « On a des consignes. »
J’ai beaucoup ruminé tout ça… Moi, j’ai toujours été pacifique, c’est quand même moi qui ai perdu un œil dans cette histoire. Quand je vois des types comme Taha Bouhafs ou Jean-Luc Mélenchon qui pleurent sur leur sort parce qu’ils reçoivent des insultes… Moi, personne ne m’a soutenu ! Et je vis des moments très difficiles.
Vous avez été filmé à la sortie de l’audience, visiblement ému et choqué. Vous avez demandé pardon à votre famille ; pourquoi ?
Jérôme Rodrigues (très ému) : Je suis désolé, c'est compliqué pour moi de parler de ça. C’est très difficile, avec ma sœur et ma mère qui ne me parlent plus. Je me dispute souvent avec ma femme. Ma fille m’en veut énormément. Quand on s’engage, il faut aussi penser à l’impact que ça peut avoir sur sa famille. On peut penser qu'on est prêt à supporter tout ça mais eux ne le sont pas. Et je ne suis pas le seul, d’autres gilets jaunes traversent les mêmes difficultés personnelles que moi.
« Qui voudrait embaucher un mec comme moi ? Je suis devenu persona non grata. »
Mais je le dis depuis des mois : il est grand temps de se mettre autour d’une table et de discuter de tout ça. Car, vous avez toute une catégorie de personne qui est en train de rentrer sur le marché de la misère et du mécontentement. Ils n’étaient peut-être pas gilets jaunes avant, mais ils ont beaucoup perdu à cause du Covid-19 qui, paradoxalement, est peut-être notre meilleur allié pour que les Français ouvrent les yeux. Nous, les « sans dents ».
Comment se passe votre quotidien ? Votre engagement a dû avoir des conséquences sur votre vie professionnelle.
Aujourd’hui, je ne peux plus travailler. Pour moi, qui ai commencé à bosser à 15 ans, c’est nouveau. Je n’ai jamais été feignant, on m’a appris les valeurs du travail. J’ai commencé comme vendeur, dans l’un des plus grands magasins de jouets de Paris. Puis, pour des raisons personnelles, je me suis reconverti dans la plomberie. À peu près six mois après ça, ils m’ont crevé un œil. Aujourd’hui, je n’ai plus la visée suffisante pour continuer mon métier de plombier.
Alors, je pourrais retourner dans la vente oui. Mais qui voudrait embaucher un mec comme moi ? Je suis devenu persona non grata : je ne peux plus travailler, je ne peux plus me déplacer sans me faire contrôler, ni aller sur les Champs-Élysées sans me faire arrêter. Et puis il y a toutes ces fausses rumeurs sur moi : on dit que je frappe ma femme, que je vends de la drogue, que j’ai détourné de l’argent. Évidemment, ce n’est pas vrai. La vérité, c’est que ce genre de rumeurs me coûte beaucoup plus que la perte de mon œil.
Aujourd’hui, en voulez-vous au gouvernement et à la police ? Vous dites subir du harcèlement de leur part.
C'est simple : ils m’ont détruit. Macron se présente comme un marcheur et, quand il a été élu, il a surtout voulu sprinter. Alors nous, les gilets jaunes, on est devenu le petit caillou dans sa chaussure et depuis, la République en Marche veut nous le faire payer. Et à moi particulièrement. Ils veulent me faire taire, comme si j’étais un leader alors que je ne le suis pas, j'ai juste beaucoup d'abonnés sur les réseaux sociaux. Socialement, ils veulent me déglinguer : j’ai eu des contrôles surprises de l’URSSAF, on me colle des amendes, on vient me chercher 400 euros d’un coup… Je détiens le record de huit interpellations en deux heures.
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Et cette violence de l’État, elle ne me touche pas que moi. Je connais d’autres figures des Gilets jaunes qui ont dû envoyer près de 200 CV avant de pouvoir trouver un travail.
Si c’était à refaire aujourd’hui, vous engageriez-vous dans les gilets jaunes ? Que feriez-vous différemment ?
Si c’était à refaire, je le referais. J’y mettrais moins de cœur et plus de cerveau. Vous savez, je n’en ai rien à faire des médias, je ne prétends pas devenir une star, je ne sais même pas chanter. En revanche je veux continuer le mouvement pour tous ces gens qui m’ont apporté du soutien. Je pense notamment à ces petits vieux qui viennent manifester avec vous, c’est aussi pour eux que je le fais. Je me sens un peu le garant de la belle image des gilets jaunes, j’essaie d’en conserver la mémoire, qui n’a rien à voir avec la propagande médiatique et la caricature qui en a été faite.
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