Russie: "La puissance pauvre"!
Présentation de l'ouvrage rédigé par Georges Sokoloff, aux éditions Fayard, 1993
Georges Sokoloff, professeur des universités à l’INALCO (Institut national des langues et civilisations orientales), consultant de la banque Lazard (!), a rédigé un livre intitulé : La puissance pauvre. Une histoire de la Russie de 1815 à nos jours”, aux éditions Fayard, 1993. Son angle d’approche est intéressant : il analyse le niveau du PIB selon les époques et les conditions d’existence des soviétiques. Pour faire un bilan honnête des pays de l’Est, son livre de 937 pages doit donc être pris en compte, en raison de ses connaissances et voyages en URSS, même si ses jugements sont souvent assez violemment anti Staline. Dans ce livre, il y a un tri et des commentaires à faire.
-Ainsi, Sokoloff nous indique que le PIB de l’URSS en 1945 est un tiers inférieur à ce qu’il était en 1939. Ce chiffre ne surprendra personne, au vu des 27 millions de morts à la guerre et parmi la population civile. Et de la férocité de l’opération Barbarossa par la Wermacht et les nazis.
-Inversement, au lendemain de la guerre, on assiste au miracle économique facile offert par la reconstruction. La croissance a continue d’avancer à un rythme plus rapide qu’aux Etats-Unis, y compris dans les pays soviétiques le plus souvent en ruines.
-Mais en 1975, le PNB soviétique, qui progressait jusque là de +3% par an, tombe à 1,8% entre 1975 et 1980. Cette asthénie n’est pas propre à l’URSS. Au même moment, en Occident, l’économie française connait la même langueur, passant elle aussi de +3% par an à 1,7% dans les années 80. Et moins de 1% aujourd’hui. Ce qui est directement en cause, c’est la baisse du taux de profit des entreprises observé partout dans le monde. Voilà pourquoi, afin de contre-carrer ce taux de profit en chute libre et à compter des années 80, le Capital ouvre les frontières, imposant de façon cynique la mondialisation/délocalisation des échanges, qui génère en retour un chômage et une pauvreté de masse considérable. Le Capital ordonne aussi la casse du statut du salarié fordiste et la triste fin de l’Etat providence raclé jusqu’à l’os : les enveloppes sociales étant “transmuées” en aides aux entreprises.
Le fait que l’économie soviétique suive la même récession, puis les mêmes “remèdes” prouve, s’il en était besoin, que ce n’est pas un régime communiste, type Corée du nord : mais un régime capitaliste inséré dans la communauté internationale, tout ce qu’il y a de plus banal.
-A la fin des années soixante-dix, Sokoloff et une bande de “spécialistes” font un voyage en Biélorussie. L’auteur raconte : “C’est à Minsk, cependant que le malaise, dont on voulait nous étreindre prenait le mieux corps, quoique pour des raisons très différentes que celles que souhaitaient nos hôtes. Tout comme Varsovie, la ville avait été complètement détruite. Mais à l’inverse des polonais, les biélorusses n’avaient pas choisi de reconstruire leur capitale à l’ancienne. Résultat : une énorme plantation de HLM. Un million et demi d’êtres humains s’entassait derrière ces murailles grises, percées ici et là, de sombres entrées de buvettes, où se faufilaient ivrognes, drogués et autres épaves” (sic).
On le voit : exactement comme Khroutchev admiratif devant le spectacle des tours HLM des “4 Pavillons” près de Bordeaux, les plantations de HLM et l’entassement de masse constituent le nec plus ultra de la politique soviétique en matière de logements. Ce qui montre, là encore, la pauvreté du peuple soviétique obligé d’accepter des conditions de vie très spartiates.
Sous Brejnev, les conditions de vie des soviétiques se dégradent, ce qui les oblige à réduire leur consommation, car le surarmement comprime l’investissement productif, et leur niveau de vie. La santé publique est un problème grave, avec la recrudescence de maladies épidémiques telles que la diphtérie, la typhoïde, la rougeole, les oreillons, les hépatites et autres méningites.
Avec Poutine heureusement, le niveau de vie des russes s’accroit fortement par rapport à l’époque de Gorbatchev. Mais il reste faible. Le revenu moyen disponible ajusté net des ménages par habitant est estimé à 19 546 USD par an, soit un chiffre inférieur à la moyenne de 30 490 USD des pays de l'OCDE. En revanche, en termes d'emploi, près de 70 % des 15-64 ans ont un travail rémunéré, un niveau plus élevé que le taux d'emploi moyen de l'OCDE de 66 %.
Donc, les salaires russes sont faibles, un tiers de moins, comparé aux salaires des pays européens. Inversement, le chômage et la pauvreté sont moins élevés qu’en Occident. Donc, la question sociale demeure en Russie, même si des progrès ont été réalisés au cours de ces vingt dernières années.
Mais ce qui frappe, c’est à quel point ce sujet majeur, -les conditions de vie des soviétiques/russes sous l’ère Poutine-, n’intéressent aucun chercheur ou homme politique, dans le débat public. Poutine est rejeté ou adoré en bloc, comme le montre ce tee-shirt de groupie vu hier sur le fil d’actu de Facebook, où on voit Poutine chevauchant un tigre : alors qu’en réalité, il faut le juger, l’évaluer dans ce qu’il fait de bien : la guerre en Ukraine et l’échec de l’Occident. Le critiquer pour ses réalisations sociales encore insuffisantes. Lorsqu’on parle de Poutine, il y a longtemps que la rationalité élémentaire, un + un qui font deux, n’existe plus ; où la seule émotion, violement négative des uns, outrancièrement positive des autres, reprend seul ses droits.