Réponse à Dominique, libraire de la librairie Tropiques, et à sa présentation du livre de souvenirs rédigé par le philosophe Alain Badiou : "mémoires d'outre-politique"
Lettre rédigée par Brigitte Bouzonnie le 5 mai 2023 en réponse à la présentation du livre rédigée par Dominique, libraire de la librairie tropiques
Bonjour Dominique,
Vous présentez le livre de souvenirs de Alain Badiou, comme une "traversée des années 1937 à 1985 en s’attachant à l’inscrire dans l’histoire politique de ce demi-siècle". "Et comment Alain Badiou est passé du statut de "socialiste réformateur"(sic) à celui de "maoïste".
Permettez-moi de ne pas adhérer à vos deux analyses.
1°)-Sauf erreur de ma part, on ne peut pas transmuer le militant et cadre intermédiaire du PSU pendant neuf ans (1959-1969), Alain Badiou en technicien en blouse blanche, regardant l'histoire derrière la vitre de mon microscope. Il a créé de toute pièce la fédération PSU de la Meuse florissante, dont il était Secrétaire Fédéral : une tache très ingrate et pour laquelle il fallait avoir les épaules solides. Et je parle en ancienne militante du PSU de 1977 à 1988.
A chaque élection, il négociait avec Jean Falala, son homologue au PCF et futur maire de Reims. S'il était resté à Reims, il aurait remporté la mairie, étant bien vu, tant de l'oligarchie viticole (Jean Taittinger) que du monde ouvrier de la laine resmois : comme il explique très bien dans son livre.
Badiou était quelqu'un de très engagé : un véritable professionnel de la politique non rémunéré. Au PSU, il n'y avait pas d'argent pour rémunérer les militants travaillant 24 heures sur 24 comme lui. Cela les gens aujourd'hui de 2023 l'ont complètement oublié. Ils ne voient en lui que le "philosophe de plateau", "le penseur de salon", comme ils disent d'ailleurs, avec beaucoup de mépris non justifié !
2°)-C'est une erreur de ce livre, et donc de son auteur, que "d'écraser" le PSU, et de le mettre au même plan que la SFIO. Je regrette beaucoup que Alain Badiou ne dise rien du PSU national, notamment de son pilotage de Mai 1968. Comme raconte Bernard Ravenel, auteur du livre : "Quand la gauche se réinventait : histoire d'un parti visionnaire", édition La Découverte, 2016 : "Dès juillet 1968, dans son rapport très documenté sur les évènements qui viennent de secouer la société française, la Direction Centrale des Renseignement Généraux (DCRG) situe le PSU comme le chef d'orchestre de Mai 68, insistant sur le rôle de Marc Heurgon" (sic).
Le PSU et la SFIO, c'étaient donc deux partis politiques très différents. Le PSU a joué un rôle moteur en mai 68, quand mitterrand continuait a faire de la politique politicienne, pour ne pas dire plus....!
C’est une analyse typiquement mao que de dire que la SFIO et le PSU, c’est la même chose. Mais ce n’est pas vrai. La vérité est que les maos ont loupé Mai 68. Exactement comme BHL. Ensuite, ils n’ont eu de cesse de devenir les bachoteurs perpétuels, en rattrapage continu de ce qu’ils n’ont pas vécu : la Révolution. Et d’écraser le seul parti politique, non discrédité dans l’opinion, qui y ait véritablement participé : le PSU. Un exemple entre mille : c’est Rocard qui négociait avec la Préfecture de Police de Paris les itinéraires des manifestations du mois de mai, raconte Ravenel dans son livre.
Mais ce n’est pas tout : toujours selon le livre de Bernard Ravenel : le 18 mai 68, la direction du PSU estime que le problème du pouvoir est posé. Et propose la création de triptyques pouvoir ouvrier-pouvoir étudiant-pouvoir paysan. Il cherche à donner un débouché politique aux nombreuses manifestations, avec notamment l’aide de Pierre Mendès-France (PMF), ex-Président du Conseil en 1955. A ce moment là, il existe un axe PSU-CFDT-UNEF. Le BN du PSU envisage une plateforme de gouvernement de transition vers le socialisme, et demande à PMF de la reprendre. Celui-ci (en bon atlantiste qu’il est) refuse, trouvant que “les jeunes sont trop désordonnés”(sic). Il préfère l’union de la gauche avec mitterrand, faisant capoter sciemment l’initiative du BN du PSU de gouverner au niveau national.
On voit comment la question du pouvoir a clairement été posée par le PSU, et ratée pour très peu de choses. Un bon social-démocrate de gauche honnête aurait accepté, là où PMF a refusé pour des vétilles. On voit bien comment la SFIO et le PSU sont deux partis au programme et à la stratégie très différents !
Il est vraiment dommage que Alain Badiou ne parle pas de cet épisode essentiel dans la vie du PSU et de l’avenir du monde du travail.
Amicalement :
Brigitte
2°)-Réponse de Dominique, libraire de la librairie “tropiques” le 5 mai 2023
Bonjour Brigitte,
Cette présentation est tout simplement celle de l'éditeur et elle a sans doute été approuvée par Alain, puisque c'est la 4ème de couve.
Je n'ai pas réellement d'avis sur vos commentaires et les objections que vous lui présentez ;
sinon que selon mon "vécu" de septuagénaire, j'aurai tendance ("en dernière, comme en première instance") à mettre le PSU (et Cie) dans le même sac ( de l'appareil idéologique petit-bourgeois ) que la SFIO, car j'associe la "dissidence" PSU à ses "cadres" les plus représentatifs et (donc?) répugnants - allant des personnalistes "réformés" du genre de Rocard aux pires "intellectuels" renégats (devenus ce qu'ils avaient toujours étés : des anti-communistes haineux ) du genre de Furet et toute la clique opportuniste, ralliée ne fut-ce que "temporairement" à ( cette pourriture de) Mitterand ...
Qu'il y ait eu de sincères et honnêtes militants dans les rangs du PSU, comme dans la plupart des partis politiques, ça ne fait aucun doute ; mais à celles et ceux-là j'ai coutume de dire : "si vous ne voulez pas être pris pour des cons ne vous comportez pas comme des cons".
Je les transmets donc à Alain, "pour avis".
Vous pourrez également les lui soumettre "de vive voix" si vous le souhaitez en venant jeudi prochain.
à bientôt.
Dominique
3°)-Réponse de Brigitte Bouzonnie le 5 mai 2023 :
J’ai lu un livre ou deux dans ma vie. J’ai appris à me méfier des éditeurs. L’éditeur, c’est celui qui est toujours en embuscade, que l’on ne voit pas, dans la fabrique d’un livre. Et qui pourtant, est capable de fusiller un bon livre. Ou au contraire de porter au pinacle un manuscrit très médiocre. J’ai des noms très précis en tête que je ne donnerai pas, car cela nous éloignerait de notre sujet qu’est le livre de souvenirs de Badiou.
Dans ma stratégie du soupçon, qui s’est toujours révélée être fondée, je soupçonne clairement l’éditeur (Flammarion) de Alain Badiou, pour lequel j’ai évidement beaucoup d’admiration, de lui avoir commandé des mémoires lisses, convenues. Et surtout les plus apolitiques, les plus dépolitisées possibles.
Ainsi dans un parti microscopique comme le PSU (pour mémoire, il comptait 2500 adhérents en 1962, 10 000 après Mai 68), il était impossible, à tout militant de base (donc pour Badiou) de ne pas être à la fois, solidement ancré dans un territoire local, en l’occurrence la Meuse, tout ne gardant des relations avec le national. Or, curieusement dans ce livre, il n’est jamais fait mention de Pierre Mendes-France, Rocard, Claude Bourdet….
De plus, dans le livre de Bernard Ravenel, qui était “rocardien de gauche”, celui-ci raconte le débat homérique qui se déroule au congrès de Dijon de 1969 entre Badiou et Rocard, sur le thème de l’usage ou non de la violence en politique. Badiou soutient la thèse difficile selon laquelle, si les 68 ards avaient été plus violents, ils auraient gagné. Inversement, Rocard joue les pacifistes de choc.
Avant que le débat ne commence, Rocard est persuadé qu’il fera un score proche des 100%, ce qui lui permettra de fédérer tout le parti derrière lui. Or, Badiou se montre beaucoup plus brillant et coriace que prévu. Il frôle les 20% de voix, contre seulement 80% pour Rocard, qui doit renoncer à son score de dictateur africain.
C’est bien dommage que Badiou ne raconte pas ce combat de l’intérieur. Voici un exemple qui montre comment Alain Badiou connaissait et était parfaitement connu des membres de la direction du PSU. Et qui pointe son rôle politique important, non réductible à son statut misérable de “mao”.
Bonne journée :
Brigitte
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4°)- Dominique, libraire de la librairie Tropiques écrit :
Demandez le programme ...
Jeudi 11 mai 18h Alain Badiou
Mémoires d'outre politique
Présentation et débat avec Alain Badiou au jardin des tropiques Mémoires d'outre-politique (1937-1985) Alain Badiou raconte sa traversée des années 1937 à 1985 en s’attachant à l’inscrire dans Mémoires d'outre-politique (1937-1985)
Alain Badiou raconte sa traversée des années 1937 à 1985 en s’attachant à l’inscrire dans l’histoire politique de ce demi-siècle. Dans un théâtre mondial marqué par les bouleversements que l’on connaît se déroulent les péripéties d’une existence commencée au Maroc, passée par Toulouse, Reims et Paris. Enfance, adolescence et jeunesse de ce fils de professeurs résistants sont marquées par la Seconde Guerre mondiale puis la guerre d’Algérie, et forgent les convictions de celui qui se fera socialiste réformateur avant d’adhérer à l’expérience toute nouvelle du maoïsme.
Ce XXᵉ siècle revisité éclaire d’un jour nouveau l’œuvre de ce penseur phare du communisme et les origines du « gauchisme » à la française : c’est toute une époque et une génération pour laquelle l’engagement était le maître mot qui reprennent vie au fil des pages et nous donnent à réfléchir à notre propre rapport à la chose politique.
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Librairie Tropiques
56 et 63 Rue Raymond Losserand 75014 Paris
01 43 22 75 95
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