QUAND LA RICHESSE ACTUELLE D'UN PETIT NOMBRE DEVIENT FOLIE, VOLONTE DE PUISSANCE...!
Article rédigé par Brigitte Bouzonnie
(Frédéric Lordon, "La crise de trop")
Brigitte PASCALL : Hier, nous avons présenté le dernier livre de Thomas Piketty, "le capital au XXIème siècle", septembre 2013, expliquant que nous vivions dans une société d'"héritiers": par exemple, une Liliane Bettencourt vivant somptueusement, de mieux en mieux, et sans jamais avoir travaillé, de la seule fortune accumulée par son père, Etienne Schuller, fondateur de l'Oréal : voir la vidéo du passage media de Piketty sur mon mur postée hier. L'idée de Piketty est intéressante, bien qu'elle soit déjà présente dans un de ses livres, rédigé en 2001, aux éditions Grasset et Fasquelle, "Les hauts revenus en France au XXème siècle", réédité depuis en poche Pluriel.
Mais en revanche, lorsqu'on écoute la vidéo de l'émission "ce soir ou jamais", où l'auteur expose ses idées, on "entend", les mots derrière les mots, et dans cette critique de salon, soignée, appliquée, monocorde, convenue, sur une partie des riches seulement, aucune colère salutaire contre ces "engraissés", aucune rage salutaire contre ces voleurs de la richesse nationale, et leur quête obsessionnelle de l'argent, quête devenue véritable folie, qui n'a plus d'autre objet qu'elle même. S'il fallait une image, je dirais qu'à la critique-académique, jardin de Versailles de Piketty, je préfère mille fois l'analyse fiévreuse, nerveuse sur la richesse confiscation du PIB par un petit nombre de Frédéric Lordon, contenue dans son livre "La crise de trop", édition Fayard, 2008, qui fait penser aux bons vieux rocks des Rolling Stones de ma jeunesse...
Voilà pourquoi, nous publions aujourd'hui un chapitre de ce livre qui parle des riches actuels, de façon laser, nerveuse, incisive, coléreuse (et il y a vraiment de quoi !), pour parler de ces "gavés" totalement desinhibés, ces "winners", qui ont fait passer l'échelle des salaires de 1 à 30 (dans les années 60) à 1 à 300, et qui vous disent sans rire, qu'ils ont bien "mérité"(sic) tout ce a quoi ils ont "droit" (re-sic).
L'auteur part d'un propos de Jean-Pierre VERNANT, le grand historien de l'Antiquité, sur la Grèce au VIème siècle, montrant la soif de richesse inextinguible des grecs de cette époque : "Ceux qui aujourd'hui ont le plus convoitent le double. La richesse devient chez l'homme folie. Qui possède veut plus encore. La richesse finit par n'avoir plus d'autre objet qu'elle même. Elle devient sa propre fin, elle se pose comme besoin universel, insatiable, illimitée, que rien ne pourra jamais assouvir". JP VERNANT parlent des grecs d'hier, et l'on croit voir les traders new-yorkais actuels.
En 2006, lorsqu'on parle des "10% les plus riches", cette catégorie n'a aucune homogénéité : on part de ceux qui gagnent 33 190 euros en 2006 (ce qui n'est pas beaucoup), et ceux d'en haut, il n'y a plus aucune commune mesure, tant les "très riches" gagnent mille fois plus ! Or, comme l'explique Camille LANDAIS, "quand le revenu fiscal de 90% de la population française a seulement augmenté de +4,6% de 1998 à 2006, celui des 1% les plus riches a augmenté de +19,4% au cours de la même période, quand les 0,1% des plus riches voyait leur revenu bondir de +32%...!!!
La justification de tant de richesses : "le mérite". Et l'auteur de nous dire : "il fallait déjà un travail idéologique intense, pour faire accepter que le rapport entre le salaire ouvrier moyen et le salaire patronal soit passé de 1 à 30 à 1 pour 300, variation, qui, dans les équations morales-libérales du mérite, ne peut avoir d'autre signification que la soudaine multiplication par 10 du "mérite" patronal.(...) Même en faisant l'hypothèse maximale que les patrons ne dorment plus du tout, ils ne pourraient que jamais travailler que trois fois plus qu'un ouvrier faisant ses huit heures quotidiennes. C'est donc que le temps patronal est devenu d'une "essence" supérieure, ou que leur productivité s'est soudainement accrue, dans des proportions sans commune mesure avec le reste de la population active".
En clair, et comme me le faisait remarquer André-Jacques HOLBECQ, autant Piketty critique la seule richesse des seuls "héritiers" : richesse"indue", quand il parle de celle de Liliane Bettencourt, quand la richesse serait "méritée" pour un Bill Gates, qui a eu sa richesse par son seul travail. En clair, il y aurait une "bonne" et une "mauvaise" richesse. Autant l'analyse de Frédéric Lordon, critique la richesse, et la Volonté de Puissance qui s'y attache dans sa GLOBALITE, dans sa FOLIE-VOLONTE DE PUISSANCE, quelles qu'en soient les origines. I
L'ouvrage de Piketty est un best seller, tant aux Etats-Unis qu'en France. Nous ne le regrettons pas, car il s'agit d'un bon livre. Mais enfin, sur le sujet, on trouve des analyses mille fois plus dynamisantes, dérangeantes, qui démontent à fond le mécanisme des riches, comme l'ouvrage de Lordon : mais aussi les excellents ouvrages de Monique et Michel PINCON-CHARLOT, Paul JORION, les analyses d'ATTAC, Camille LANDAIS et Michel AMAR de l'INSEE, voire notre programme "L'Humain d'abord", qui n'est pas mal non plus...!!!
LISTZ, qui était aussi pianiste virtuose, et qui a joué dans toutes les villes d'Europe disait du public : "ce qu'il préfère, c'est le meilleur du médiocre !"...Les très grands livres sur les riches, personne ne les lit : mais la critique gentillette, frileuse, de Piketty, ne s'en prenant qu'aux seuls "héritiers" plait aux gens, même si, pour parler comme Jean GABIN, "elle ne déplace pas un chemin de fer... !" Inversement, l'ouvrage "La crise de trop" de F. Lordon a du se vendre a 2 000 exemplaires, alors que sa critique des riches -et de l'illégitimité fondamentale qui fonde la confiscation de la richesse nationale par un petit groupe, est brillantissime...