Pour en finir avec Guy Hocquenghem, résistant politique des années 80 !
Article rédigé par Brigitte Bouzonnie
"ANTOINE IDIER : "LES VIES DE GUY HOCQUENGHEM"...! Edition Fayard, 2017 nouvelle version
En ce moment, je lis le livre d'Antoine IDIER, "Les vies de Guy Hocquenghem", édition Fayard, 2017, notamment auteur de : "Lettre ouverte à ceux qui sont passés du col Mao au Rotary", édition Albin Michel, 1986. On le sait : il existe des bouffeurs de partoches, des interprètes capables "d'avaler" au violon ou au piano n'importe quelle partition de Liszt ou de Bach. De la même façon, Antoine Idier a bouffé toutes les archives, tous les papiers imaginables se rapportant à Guy Hocquenghem (GH). A l'hectolitre, au wagon citerne XXL.
Son livre est le produit laborieux de sa thèse de doctorat sur GH. Résultat ? J'ai appris un milliard de choses sur GH. Je dirai même : c'est inespéré : ses notes en maths ( mauvaises, son père était prof de maths !) et en français (excellentes) à Normale sup. Le fait qu'il soit le chouchou de Michel Tournier au prix Renaudot auquel il a concouru comme tout écrivain à la mode. Qu'il soit très reconnu par un monde parisien de l'édition et du journalisme dès la publication de son premier livre : "l'après-mai d'un faune", publié chez Grasset, 1975 : ce qui avait lui valu 5 articles dans la presse littéraire et généraliste.
Nul doute que le livre de Idier comble un vide, un déficit d'informations objectives sur GH, que l'on perçoit souvent comme une figure attachante romantique, un Gérard de Nerval des temps modernes, mais floue, incomplète. C'est donc un sujet de satisfaction.
Inversement et à aucun moment, l'auteur de cette biographie pourtant très renseignée ne développe une lecture politique et militante du parcours de GH :
1°)-L'auteur ne prend pas la mesure de l'engagement homosexuel de GH dans une perspective historique :
Ainsi, et s'agissant de la "cause" homosexuelle, dont Hocquenghem est un pionnier, idier n'explique pas combien la cause homosexuelle est alors une nouvelle catégorie d'abord minoritaire du champ politique, qui assoie ensuite péniblement sa légitimité.
Ainsi je me souviens d'avoir connu des homosexuels à la fac de droit de Bordeaux en 1980. Ils me racontaient combien ils étaient méprisés, traités comme une "pédale", pulvérisés, traités pire que tout. Pierre, un jeune homosexuel étudiant en droit avait été tabassé et violé pendant des jours par un groupe d'hétérosexuels qui ne supportaient pas l'idée de vivre à côté d'un homosexuel. Il était méconnaissable et a ensuite quitté la fac pour toujours...
Aujourd'hui certes, quand on peut voir à Bordeaux Aquitaine les homos sur les chars de la marche des fiertés arrogants, sûrs d'eux, tout le contraire de ce que j'ai connu, je me dis que les choses ont beaucoup changé...! Idier aurait gagné à montrer la lente transformation de la cause homosexuelle. Et le statut unique d'Hocquenghem défrichant (presque) seul une cause repoussée alors par beaucoup de monde. Au lieu de quoi, la cause gay des années 70 est perçue à travers les lunettes, les catégories de pensée de la société 2017. Premier reproche.
2°)- Idier ne rend pas compte de l'arnaque des nouveaux philosophes à laquelle tente de riposter GH :
Par ailleurs, et s'agissant de la célèbre "lettre ouverte à ceux qui sont passés du col Mao au Rotary", édition Albin Michel, 1986, Idier présente le livre de façon anecdotique, comme une collection de "bons mots" : ainsi, il retient que GH traite Simone Veil de "kapo"(sic). Simone Signoret de "boule de suif"(sic), July de "plouc boulimique" (sic), etc. Ce qui lui a valu en retour de se faire traite "d'aigri"(sic), de "jaloux"(sic), "malade du sida"(sic)...Cette lettre ouverte serait donc une collection de noms d'oiseau à laquelle la critique aurait répondu par d'autres noms d'oiseau. Alors que ce livre occupe une place phare dans l'histoire des idées.
Mon reproche, c'est que Idier ne met jamais en perspective historique la lettre ouverte de GH, réponse à l'arnaque, la prise de pouvoir des soit- disant nouveaux philosophes, BHL et ses potes, dans le champ idéologique en 1977. Ces plumitifs étant eux-même le bras idéologique de la Bourgeoisie à l'offensive, qui nous a imposés ses idéologues de caniveau : alors que le mouvement social commençe à refluer : baisse du nombre de jours de grève, et de cartes dans un syndicat à compter de 1976.
Comme explique très justement Alain Badiou, "la France a produit le plus grand nombre d'intellectuels anti totalitaires - en réalité des réactionnaires convaincus-mis à la disposition du monde entier, si je puis dire. Avec BHL, Glücksmann, Jean-Claude Milner, Jacques-Alain Miller, nous avons bénéficié pour notre malheur d'une figure intellectuelle inédite : le renégat triomphant" (sic) ( extrait de Eloge de la politique, édition Café Voltaire-Flammarion, 2017).
Surtout Idier ne dit rien sur le SILENCE entourant la venue des nouveaux philosophes, au début de leur entreprise. Foucault cautionnant leurs écrits et les accompagnant à l'Elysée dans une rencontre avec Giscard restée célèbre. Bourdieu se tait dans un premier temps. Certes Deleuze développe une critique de qualité. Ainsi qu'Alain Badiou : mais à cette époque, ils n'ont pas le statut qu'ils ont occupé par la suite.
Hocquenghem est donc le seul à avoir brisé le silence, à s'en être pris courageusement à ces renégats triomphants, écrivant : "votre pouvoir insolent s'est établi sous la gauche, mais il n'est n ide droite ni de gauche, il est d'un âge : celui qui est parti de Mao Mai pour arriver au rotary et aux rolls. Directeurs de journaux et convertis du nucléaire, capitalistes récents et stratèges de la dissuasion, vous avez renié à tour de bras vos idées, mais pas vos structures mentales, ni vos méthodes manipulatoires de chefs de groupuscules" (sic).
Résultat : on observe un changement d'alliance de la classe moyenne boboïsée, qui largue "le peuple de gauche", groupe auquel elle appartenait jusque là ; pour rallier la classe dominante, la défense de l'immobilisme social, et la petite joie de la marchandise...
En conclusion, il faut se remémorer la triste décennie 1977 (publication de "la Barbarie à visage humain" de BHL) à 1986 : publication de la lettre ouverte de Guy Hocquenghem. Et rappeler notamment, la mollesse de caractère des grands intellectuels reconnus (Foucaultt, Bourdieu), qui a rendu possible le coup de force des nouveaux philosophes. dans ce contexte de reflux des luttes post-68 ardes. La lettre ouverte de Guy Hocquenghem est donc très courageuse.
Certes on peut lui reprocher son côté belle rhétorique un peu creuse parfois. Et l'absence d'une solide analyse marxiste comme a pu la mener ensuite Alain Badiou dans son ouvrage "Eloge de la politique", op cit. Mais GH sait toujours être efficace, toucher dans le mille avec sa critique aiguisée de la restauration idéologique de tout ce que les utopies de Mai avaient mises au rancard : l'ordre, la hiérarchie, le culte du fric, du look, de l'arrivisme, la Bourgeoisie triomphante, de la bombe, le nucléaire, la culture à la recherche de vaines subventions, etc...GH a cherché seul et constamment la Vérité, dans un moment où le mensonge libéral prenait tous les pouvoirs : économique, politique, idéologique, etc. Je pense que ce livre est hors du commun. Et le fait qu'il se soit vendu à 16 000 exemplaires, un beau succès populaire n'allait pas de soi, vu l'incroyable critique dont il a fait l'objet..!
Nouveau paragraphe de mon article sur Hocquenghem :
Avec son livre "Lettre ouverte à ceux qui sont passés du col Mao au Rotary", Hocquenghem a beaucoup de courage de se battre seul. Et à contre-courant de la Volga libérale Mitterrandienne des années 80 : triste décennie que j'ai bien connue, de ces années fric, look et arrivisme forcené.
Certes, il y a dès cette époque d'autres "résistants" comme Alain Badiou, critiquant vertement les nouveaux philosophes. Dès leur apparition chez Pivot en 1977. Le problème pour le Badiou de cette époque, est qu'il est minoritaire, ses textes tapés à moins de mille exemplaires, dans le journal du groupe maoïste-marxiste-Léniniste qu'il anime.
Voilà pourquoi, quand on pense "critique des nouveaux philosophes", on pense d'abord à Guy Hocquenghem.
Mais par la suite, il faut savoir que Badiou, devenu célèbre avec son livre : "De quoi Sarkosy est-il le nom ?" en 2009, publie en 2017 : "Eloge de la politique", édition Café Voltaire/Flammarion.
Dans ce livre, il développe une analyse du phénomène des nouveaux philosophes plus profonde et stimulante que celle de Guy Hocquenghem. Montrant comment les nouveaux philosophes se sont contentés de copier les intellectuels américains réactionnaires.
Et surtout comment BHL, "a surtout joué le rôle, très important en fin de compte, de qui se propose de liquider tout ce que représentait l'intelligentsia française révolutionnaire, du point de vue mondial" (sic).