Petits bijoux d'analyse politique rédigés par Alain Badiou (n°11), pointant le rôle des nouveaux philosophes, dans la liquidation de l'image de l'intelligentsia française révolutionnaire
Citations politiques de Alain Badiou choisies et rassemblées par Brigitte Bouzonnie le 7 mai 2023
1°)- Alain Badiou : "les français de type BHL ont surtout joué le rôle, très important en fin de compte, de liquider tout ce que représentait l'intelligentsia française révolutionnaire, du point de vue mondial" (sic) (cf Eloge de la Politique", édition Café Voltaire/Flammarion, 2017).
"Oui la faillite des états socialistes est notre vraie difficulté. Elle a permis la contre-offensive bourgeoise généralisée, qui s'est déployée à partir des années 80, et dont un des épicentres idéologiques a été la France. Car la France a produit le plus grand nombre d'intellectuels anti-totalitaires-en réalité réactionnaires convaincus- mis à la disposition du monde entier, si je puis dire.
Avec Bernard Henri-Lévy, avec André Glüscksmann, ou encore avec Jean-Claude Milner ou Jacques-Alain Miller, nous avons bénéficié, pour notre malheur, d'une figure intellectuelle inédite : le renégat triomphant. Tous ces jeunes gens- à l'époque vers 1970-avaient trempé dans le maoïsme activiste. Je les ai vus lancer des pavés dans les vitrines des banques américaines pour soutenir la guerre de libération nationale des vietnamiens. Je les ai vus taper du pied sur une estrade d'amphi universitaire, en disant qu'il fallait bruler tous ces temples du savoir bourgeois. Je les ai vus courir à travers champ, les CRS à leurs trousses, après avoir tenté d'occuper en force l'usine Renault à Flins ; je les ai entendus crier : "Marx ! Engels ! Lénine-Staline-Mao, vive la Révo-lution ! " Je les ai entendus me traiter de "droitier", parce que j'émettais quelques doutes sur leurs méthodes activistes, leur violence symbolique, leur fanatisme inapproprié aux circonstances et leur tapage médiatique.
Et puis déçus que tout ça ne leur ait rien rapporté de tangible, ils ont pris la posture rentable de qui a fait l'expérience, d'après eux creuse et quasi criminelle, du totalitarisme communiste, et peut donc prêcher en connaissance de cause le libéralisme, la démocratie parlementaire, les droits de l'Homme. Et souhaiter l'intervention démocratique de l'armée américaine et des parachutistes français partout où cela chauffe. Et ils ont fait des livres "philosophiques" avec toute cette bouillie libérale et confite" (sic) (cf Eloge de la Politique", op cit).
“Ce ne sont pas les ouvriers qui ont fait le succès de ces intellectuels réactionnaires. Ces renégats nouveaux philosophes", c'est la petite bourgeoisie intellectuelle qui les a adorés dans la figure du reniement de la période antérieure, de la conscience qu'elle avait prise de l'échec des communismes d'état" (sic) ("Eloge de la Politique, op cit).
2°)- Brigitte Bouzonnie :
Au lendemain de la guerre, comme analyse Badiou dans Marianne n°1073 du 13 au 19 octobre 2017, "En France et pendant longtemps, l'opposition était claire entre les intellectuels qui acceptaient d'être considérés comme les compagnons de route du Parti communiste et les intellectuels qui ne l'acceptaient pas" (sic).
2-1°)- Le putch des nouveaux philosophes en 1977 :
Mais cet équilibre est remis en cause du jour au lendemain, en 1977, avec l'arrivée en fanfare des nouveaux philosophes, BHL avec son livre "La barbarie à visage humain", Glücksmann titrant : "La cuisinière et le mangeur d'hommes", Jacques-Alain Miller, Jean-Claude Milner, l'émission d'Apostrophes, etc. Les nouveaux philosophes critiquent l’URSS et ce faisant toute forme de communisme sur terre.
Or, face à ce massacre, on souligne l'incroyable silence des agents majoritaires du champ intellectuel : Sartre, Bourdieu. Ce sont eux qui rendu possible la prise de pouvoir de BHL en 1977 dans le champ idéologique. Sans oublier Foucault. On n'a pas oublié l'invitation de Giscard recevant les nouveaux philosophes à l'Elysée avec Foucault, caution intellectuelle inenvisageable hier encore. Lorsque le mouvement social commençait à refluer à partir de 1976, la Bourgeoisie à l'offensive nous a imposés ses "philosophes" réactionnaires. Exactement comme elle nous a imposé Macron en 2017.
Certes, il y eut des critiques : Dominique Delcourt, Deleuze… Mais les "grands" penseurs, ou bien se sont tus comme Bourdieu, ou bien ont collaboré comme Foucault. Comme écrit mon ami Dominique Kern : "Il faut aussi passer par le structuralisme et Lacan, terreau qui a favorisé les "nouveaux philosophes", qui n'auraient jamais du émerger. Ce sont des zombis de la pensée libérale. C'est bien de souligner Foucault, dans leur émergence. Foucault était violemment anti-communiste, anti-marxiste, surtout à la fin de sa vie"(sic).
Personne n'a fait en 1977 une analyse "lutte des classes" de l'arnaque des nouveaux philosophes, comme élément culturel de la contre offensive de la Bourgeoisie libérale visant à abattre idéologiquement le mouvement post-68ard, suspecté de préparer le nouveau "goulag"(sic).
2.2°)-Le problème, c'est l'incroyable SILENCE qui a accompagné et RENDU POSSIBLE la prise de pouvoir de BHL dans le champ idéologique en 1977, lorsqu'ils sont apparus. Et au cours des années suivantes : où presque personne n'a moufté. Certes, nous eûmes des critiques de ce phénomène, avec Gilles Deleuze, Louis Pinto, Pierre Bourdieu lui-même. Mais toujours à la marge.
C'est cette entreprise spécifique que sont les nouveaux philosophes, qu'il faut démolir, déconstruire pour en montrer l'imposture. Et souligner son lien avec l'offensive libérale de la fin des années 70, qui nous impose au même moment la mondialisation, et la casse du statut du salarié fordien. Or, malheureusement, elle a été rendue possible, parce que les critiques à laquelle elle s'est heurtée, au début, ne posaient pas le problème de la lutte des classes.
Le problème de Alain Badiou, c’est qu’en 1977, il est inconnu du grand public. Animant alors le groupuscule maoïste Union des Communistes Français marxiste léniniste, comptant 600 adhérents. Bien sûr, il a réagi très vite à la farce grotesque qu’on nous servait m’a racontée Dominique, membre alors de l’Union des Communistes Français marxiste-léniniste : mais son analyse lucide du phénomène des nouveaux philosophes n’a pas dépassé une audience confidentielle.
Les autres intellectuels sont montés au créneau, mais à mon avis mal, de façon partielle, beaucoup trop tard. En toute hypothèse, de façon trop généraliste. Ces “critiques” molles largement médiatisées n'ont pas empêché la "gloire" et le "triomphe" de BHL et de ses sbires pendant plus de quarante ans.
Certes, dans son ouvrage "Eloge de la Politique" de 2017, Badiou développe enfin une analyse médiatisée par Flammarion et très lucide, très "lutte des classes" sur l'arnaque des nouveaux philosophes, comme élément culturel de la contre offensive de la Bourgeoisie libérale contre le mouvement social post-68ard. Surtout lorsqu’il dit : les français de type BHL ont surtout joué le rôle, très important en fin de compte, de liquider tout ce que représentait l'intelligentsia française révolutionnaire, du point de vue mondial" (sic) (cf Eloge de la Politique", édition Café Voltaire/Flammarion, 2017).
Mais cette analyse arrive en 1997 avec quarante ans de retard. Idem pour l'épisode Botul, dénoncé fort justement par Aude Lancelin dans l'Obs : mais cette critique n'intervient qu'en 2010. Malgré des cailloux ici et là, la caravane des nouveaux philosophes a passé allègrement tous les obstacles. Et elle a triomphé pendant plus de quarante ans...!
2-3°)-Un homme a rompu ce silence en sont temps : il s'agit de Guy Hocquenghem, auteur du célèbre ouvrage "Lettre ouverte à ceux qui sont passés du col Mao au Rotary", édition Albin Michel, 1986. Voilà ce qu'il écrit avec sa plume virtuose : "Votre pouvoir insolent s'est établi sous la gauche, mais il n'est ni de droite, ni de gauche, il est d'un âge : celui qui est parti de Mao-Mai pour arriver au Rotary et aux Rolls. Directeur de journaux et convertis du nucléaire, capitalistes récents et stratèges de la dissuasion, vous avez renié à tour de bras vos idées, mais pas vos structures mentales ni vos méthodes. Ni droite ni gauche, mais la pire des deux ensemble ; fidèles au plus dangereux style manipulatoire des groupuscules, quand vous avez renoncé à l'utopie généreuse qu'ils prétendaient servir ; plus que "récupérés", portant votre crachat de renégat en sautoir, vous êtes la légion du déshonneur, les décorés e la volte-face ; et de plus, vous prétendez donner des leçons de permanence dans la souplesse"(sic).
On n'a pas oublié la super dérouillée que s'est prise Hocquenghem à l’émisison d’Apostrophes en 1986, chez Pivot, par les nouveaux philosophes eux même. Glücksmann allant même jusqu'à dire à son compère : "Arrête, tu vas en faire un martyre...!"(sic) Une arrogance de ton qui montre combien ces jeunes loups de la nouvelle philosophie étaient appuyés et protégés en haut lieu idéologique et politique. Curieusement, le document de l’INA est aujourd’hui introuvable. Certes, il existe une autre interview de Guy Hocquenghem chez Pivot, assez médiocre d’ailleurs : mais qui n’a rien à voir avec la première.
Comment ces pseudos philosophes, qui avaient loupé Mai 68, n'ont eu de cesse ensuite de donner des leçons de politique et de morale. Badiou traite les nouveaux philosophes d'"activistes maoïstes" un peu borné. Hocquenghem pas du tout. il est beaucoup plus sévère que Badiou. Pour lui, BHL n'a jamais fait Mai 68 : voilà ce qu'il écrit à son sujet : "Avoir raté, à ce moment là, ton BAC de révolutionnaire à déréalisé toute ta carrière. Tu es devenu le bachoteur perpétuel, en rattrapage continu de ce qu'il n'a pas vécu ; comme Sollers, qui était au parti communiste en Mai 68 ne sera jamais assez Mao après coup : tu ne te pardonneras jamais d'avoir raté, non l'insurrection, mais l'occasion d'être chef" (sic) (cf Lettre ouverte à ceux qui sont passés du col Mao au rotary, op cit)..
Ainsi, ces pseudo-révolutionnaires, depuis le départ, se sont habillés de l'habit avantageux de "révolutionnaire déçu" qu'ils n'avaient jamais été. Et n'ont eu de cesse de donner des leçons de morale politique, "d'anti totalitarisme", avec l'aplomb, l'expérience et le travail acharné d'un véritable responsable politique ayant 30 ans de politique au compteur, qu'ils n'ont jamais été été.
Avec les nouveaux philosophes, l'imposture est totale. Ils ont détruit l’image de l’intellectuel révolutionnaire (Sartre, Camus). Au lendemain de la guerre, tout intellectuel était un résistant au Pouvoir, quelle que soit son étiquette : communiste, catho-gaucho au PSU, etc. Après le passage des nouveaux philosophes, le supposé “intellectuel” est passé, soit au service du Prince, soit dans un confortable silence complice face au régime macronien.
Résultat : l'effondrement du marxisme sur le marché des biens symboliques a favorisé l'imposition de la culture libérale. Du jour au lendemain, le savoir universitaire est devenu un savoir libéral. Pour obtenir ses diplômes et depuis la fin des années 70, le jeune étudiant est obligé répéter devant l'examinateur le credo des entreprises et les bienfaits de la démocratie parlementaire.
Le champ universitaire est devenu le lieu de "crétins éduqués" (sic) (Emmanuel Todd,), "d'effondrement de pans entiers de l'intelligence" (sic) (Frédéric Lordon). Ils sont quelques uns, les intellectuels critiques à dénoncer la vaste fumisterie qu'est devenu le champ universitaire converti au libéralisme le plus outrancier. Et les journalistes vont chercher leurs "éléments de langage" au service de com de l'Elysée, analyse Aude Lancelin dans son ouvrage sur le Nouvel Observateur : "Le monde libre", édition Les liens qui libèrent, 2016.
Voilà pourquoi nous avons créé le Rassemblement "Le Peuple d'abord", regroupant le Pôle de la Renaissance pour le Communisme Français, le Conseil National Souverain pour la Justice Sociale, le PARDEM (parti de la démondialisation), les Insoumis critiques, Les Franchement Insoumis, le courant interne/externe à la FI : "Rupture, Pouvoir aux insoumis". Avec mes amis Philippe Meens et Dominique Kern, nous avons élaboré un programme politique en 43 points proposant notamment la rédaction d’une nouvelle Constitution aux ronds points des Gilets Jaunes, lieux de départ de manifs, entreprises en grève, esquisse d’un pouvoir à la base qui à terme gouvernera seul le pays. Une vie décente et joyeuse pour tous, débarrassée à jamais du chômage et de la pauvreté de masse. Des maladies et des vaccins tueurs “anti Covid”.
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