Petits bijoux d'analyse politique de Badiou (partie14). Badiou parle de Mai 68, tresse de quatre processus différents : Mai étudiant, Mai ouvrier, Mai libertaire, Mai avec union étudiant- ouvrier !
Citations politiques choisies et rassemblées par Brigitte Bouzonnie le 10 mai 2023
1°)-Alain Badiou : “Mai 68 est le tresse, énigmatique encore aujourd'hui, entre des processus très différents : Mai 68 étudiant, Mai 68 ouvrier, Mai 68 libertaire” (cf livre de Alain Badiou : “On a raison de se révolter. L’actualité de Mai 68”, édition Fayard, 2018).
1-1°)- Mai 68 étudiant et lycéen, avec notamment les combats du quartier Latin.
1-2°)-Mai 68 ouvrier avec la plus grande grève générale de toute l’histoire française, se concluant par les accords de Grenelle.
1-3°)-Mai 68 libertaire proposant une transformation des moeurs, de nouveaux rapports amoureux, la libération de la femme, l'émancipation des homosexuels.
1-4°)-Et puis, “il y a un quatrième Mai 68, diagonale des précédents, qui est la tentative d'inventer une autre pratique politique contre le pouvoir d'Etat et parlementaire, plus proche des gens ; succès de l'idée d'autogestion : surtout pendant les années 1968-1978. Et qui porte en lui une critique radicale de la démocratie représentative, justement appelée le "crétinisme parlementaire"(sic).
“Un Mai 68 cherchant de façon aveugle à tisser des liens entre le mouvement étudiant et le mouvement ouvrier. Avec l'idée de mettre en relation les intellectuels (peu intéressés à la transformation sociale), avec des groupes sociaux intéressés au contraire à de profonds changement sociaux : ouvriers et employés, jeunes, etc”(sic)..
“Mai 68 est un évènement complexe. Le mot désigne donc plusieurs processus enchevêtrés, qui n'avaient pas de raison majeure d'être liés les uns aux autres, et qui se sont souvent contredits. Entre la révolte étudiante d'un côté et la grève générale ouvrière, il n'y avait pas de familiarité très grande. Le PCF et la CGT ont interprété cet évènement comme un empiètement sur leur territoire de ceux qu'ils appelaient alors les "gauchistes" (sic). Il y a un Mai 68 (libertaire), pas vraiment politique, sur la libéralisation des moeurs. D'ailleurs, ce Mai 68 là a donné lieu à de véritables réformes, qui ont été prises sous l’époque de Giscard : ce qui montre qu'elles n'avaient pas de contenu de gauche extrême, VGE n'étant pas un foudre de guerre du communisme, comme chacun sait...!(sic).
1°)- Brigitte Bouzonnie : le grand mérite de l’analyse de Alain Badiou est de restituer les évènements de Mai 68 dans toute leur complexité, -l'existence de quatre "Mai 68" contradictoires : Mai étudiant, mai ouvrier, Mai libertaire. Mai cherchant à tisser des liens entre le mouvement étudiant et le mouvement ouvrier.
Ce faisant, son analyse va frontalement à contre-courant de l’historiographie dominante, qui présente Mai 68 comme l’évènement fondateur, qui a seulement rendu possible la culture permissive libérale libertaire. Et rien d’autre.
1-1°)-Le Pouvoir et les historiens à ses ordres ne retiennent que l’existence du Mai libertaire : et non pas la totalité complexe qui en fait sa vraie nature historique. On commémore Mai 68 pour l'enterrer une seconde fois, sans en faire valoir les multiples visages. On le réduit à sa composante la plus inoffensive : le mouvement, la fête, la révolte contre l'état des moeurs, la libération sexuelle, toute une effervescence, qui a pour caractéristique d'être "moderne", et de nous faire rentrer de plein pied et sans critique dans la modernité capitaliste.
Ainsi, il est surprenant de lire ces lignes rédigées par le jeune philosophe marxiste italien Diego Fusaro né après Mai 68. Ne retenant de Mai 68 que le seul Mai libertaire : “1968 et 1989 marquent une césure qui fait époque : reconnu illusoirement comme un processus révolutionnaire d’opposition au cadre capitaliste, le mouvement soixante-huit ard doit être interprété, de manière diamétralement opposée, comme le mythe de fondation du capitalisme absolu-autoritaire moderne et permissif” (sic) (“L’Europe et le capitalisme”, édition Mimesis, 2016).
1-2°)-Les historiens du Pouvoir occultent sciemment, en toute connaissance de cause l’existence de 15 millions de français grévistes dans les rues. Se battant pour de meilleurs salaires. En effet, les salaires à cette époque étaient très bas, surtout en province, n’en déplaise à la formule technocratique erronée apparue à postériori : “Les trente Glorieuses”. Des millions de grévistes se battent aussi pour la revendication largement popularisée : “Pouvoir au travailleurs”, analyse l’historien de l’histoire du PSU, Bernard Ravenel, auteur de l’ouvrage : “Quand la gauche se réinventait. Le PSU, histoire d’un parti visionnaire, 1960-1989”, édition La Découverte, 2016.
A la fin de mai 68, Ravenel montre comment tous les ministres et leur cabinets font leurs cartons, convaincus de devoir partir du jour au lendemain. De son côté, Jean Ferniot, journaliste au Figaro, “célèbre” dans le champ politique pour ses débats d’alors avec le journaliste Jean Lacouture dans le journal Le Monde, raconte comment il eut l’idée d’aller à l’Elysée prendre la température. Il est 18 heures. Il veut expliquer : “je suis Jean Ferniot, journaliste au Figaro, etc”…, mais le chambellan lui coupe la parole et lui dit : “entrez donc mon bon Monsieur. Vous êtes la première personne à venir aujourd’hui” (sic). Deux petites anecdotes montrant la panique et la démonétisation du Pouvoir vis à vis de la rue, surtout du Mai ouvrier, dont parle Alain Badiou.
Curieusement, ce Mai ouvrier a disparu des livres d’histoire, sauf pour les philosophes Alain Badiou et Francis Cousin (voir vidéo postée ce jour sur la lettre politique indépendante).
“L’histoire est écrite par les chasseurs, non par les lapins” dit Howard Zinn. De la même façon, avec l’invisibilisation des classes populaires par la petite bourgeoisie commencée sous l’ère mitterrand, le Peuple français est renvoyé sciemment dans le hors champ. Dans l’impensé. Résultat : les historiens petits-bourgeois réécrivent de façon fallacieuse l’histoire de Mai 68 : occultant volontairement la révolte de classe et la conscience de classe prolétarienne de haut niveau, qui ont présidé aux évènements de Mai 68.
Il se passe, pour l’histoire de Mai 68 la même chose que pour l’histoire de la seconde guerre mondiale : en particulier, l’opération Barbarossa (guerre des nazis à l’Est). Comme le raconte très bien l’historien gaulliste Eric Branca, le nazi Heusinger, qui avait vu plus de 600 fois Hitler, notamment à la tanière du loup, est recyclé par les américains, à compter de 1945. Heusinger, ce n’est pas n’importe qui : c’est lui qui, en sa qualité de chef de la section des opérations de l’OKH, est chargé de préparer l’invasion de l’URSS. Et ses modalités pratiques : la tristement célèbre shoah par balles faisant un million de morts.
Entre 1946 et 1948, il participe pour le gouvernement américain, à “l’opérational history section”, un recueil de 34 000 pages, sous le contrôle direct de Eisenhower. C’est à cette occasion que l’on apprend que l’invasion de l’URSS, qui a fait 27 millions de morts côté soviétique, était une opération “préventive”(sic), de “légitime défense”(sic). Et non l’affreuse boucherie et tuerie de masse, planifiée par ce même Heusinger. C’est à cette occasion que nait la légende tenace d’une Wermacht “blanche”, respectant les lois de la guerre”, et d’une Gestapo “noire”: à l’origine seule des atrocités commises à l’Est ( cf Eric Branca : “Le roman des damnés. Ces nazis au service des vainqueurs, édition Perrin, 2021).
Je soutiens que le Peuple français a été dépossédé sciemment de son histoire de Mai 68, par une réécriture malveillante des évènements. N’en déplaise à la légende officielle qui ne convaincrait pas un enfant de quatre ans, il n’y avait pas 15 millions de Cohn Bendit, soucieux de shit et de libération sexuelle dans la rue. Mais un Peuple conscientisé, se battant pour sa survie (relèvements de salaires). Et pour exister un peu dans la société française de l’époque, à travers la revendication : “Pouvoir aux travailleurs”.