Petits bijoux d'analyse de Alain Badiou (27) : ce n'est pas la même chose, lorsqu'il y a 2 projets concurrents dans le monde, et quand il n'y en a qu'1 !
Citations choisies et commentées par Brigitte Bouzonnie le 22 mai 2023
1°)-Alain Badiou :
*“cette idée dont le nom générique est, depuis le XIXème siècle est “communisme” est tellement malade, qu’on a honte seulement de la nommer. Enfin pas moi. Mais au niveau d’ensemble, elle est criminalisée. Cette criminalisation peut avoir des raisons : Staline, etc. Mais le but recherché par les tenants de la mondialisation capitaliste n’est aucunement éthique, comme leurs plumitifs leur font croire. Ils ont pour but le déracinement définitif de l’idée d’une alternative globale, mondiale, systémique du capitalisme. On est passé du 2 au 1. Ça c’est fondamental. Ce n’est pas la même chose quand, sur un même sujet, il y a deux questions en conflit, et quand il n'y en a qu'une" (sic) (extrait de son ouvrage "Notre mal vient de plus loin, Penser les tueries du 13 novembre", édition Flammarion, 2016).
* "Dans le passé, les gouvernements étaient au fond d'accord avec l'idée qu'une fois atteint un certain degré d'ampleur des mobilisations, il leur fallait reculer. Ils ne le pensent plus aujourd'hui. Je pense que c'est d'abord parce que tout le monde (ou presque) partage l'idée qu'un autre monde n'est pas possible. S'il n'y a pas à l'horizon une possibilité qui fasse peur à l'adversaire, celui-ci reste dans la conviction qu'il n'y a qu'à attendre et que ces gens qui contestent se fatigueront avant lui !...)(Interview de Alain Badiou le 22 septembre 2016 dans le journal Politis).
*”L'Etat est plus patient que n'importe qui. Il contient les choses, envoie ses flics par-ci par-là, laisse les gens bavarder...Il a même fini, ici, par imposer que la manifestation tourne en rond. Or, le fait que cette chose ait pu avoir lieu n'est pas bon signe : que le gouvernement propose cela, passe encore, mais que les gens s'y soient pliés, c'est tout à fait incroyable"(sic). (Texte de Alain Badiou lu sur le site Compagnie jolie môme).
2)-Brigitte Bouzonnie : avec lucidité, Alain Badiou nous montre, que ce n'est pas du tout la même chose, lorsqu'il y a 2 projets concurrents dans le monde (le capitalisme contre le communisme), et quand il n'y en a qu'1 (le capitalisme mondialisé déchainé).
-Dans les années soixante, quand l’idéologie communiste structure encore les consciences de 20% d’électeurs communistes, les gouvernements reculent, dès qu'une mobilisation prend de l'ampleur. Par exemple, on sait que Pompidou ne dort pas de la nuit en 1967, parce que le chômage atteint 400 000 demandeurs d'emploi. Et qu'il craint les explosions sociales, qui en découleront forcément. En effet, la conflictualité (nombre de journées individuelles non travaillée, nombre de mobilisations nationales) est alors croissante, avec une courbe progressant de 1959 à 1967 : bien avant mai 68, qui, en fait, ne fait que poursuivre en fait cette progression annuelle de la conflictualité.
Voilà pourquoi Pompidou confie à François-Xavier Ortoli et Jacques Delors, fonctionnaires au commissariat général au Plan le soin de rédiger un rapport sur l’emploi avec des proposition de créations d’emploi : primes à la mobilité géographique, accent mis sur la formation par exemple, ce qui était tout à fait nouveau à l’époque. Ce rapport devient ensuite la matrice de tous les accords de branche, -métallurgie, chimie, etc…Les syndicalistes signent cet accord, qui apporte des droits sociaux nouveaux aux salariés en matière d’emploi (voir sur le sujet, le livre rédigé par Philippe Askenazy : Les décennies aveugles. Emploi et croissance 1970-2010, 2011).
-Aujourd'hui, la règle du jeu est totalement modifiée et codifiée. Par exemple, avec la mobilisation contre la loi Khomri de 2016, on compte 14 journées nationales de mobilisation. Sans parler des grèves dans les raffineries et centres de traitement des déchets. Soit une très belle mobilisation, où la jeunesse, demandeuse d’une offensive extra-parlementaire, est présente avec les syndicats de salariés. Toutes les conditions sont réunies pour que le projet de loi soit retiré.
Pourtant l'Etat ne cède pas. Il invente la manif au rabais, où les participants sont fouillés. Gazés. Enfermés dans une nasse. Mis en examen. Impose des parcours burlesques, où la manifestation tourne en rond, comme l'explique très bien Alain Badiou. Le plus étonnant dans cette affaire, c'est l'acceptation de ces conditions hyper humiliantes par Philippe Martinez, secrétaire national de la CGT et Jean-Claude Mailly, responsable du syndicat Force ouvrière. La vérité est que Martinez et Mailly sont achetés par le dispositif de financement de la vie syndicale : 100 millions d’euros donnés aux syndicats d’employeurs et de salariés, dont 20 millions, rien que pour la CGT. Et un salaire mensuel de Martinez de 13 000 euros par mois (voir Fiche Wikipedia sur l’aide de l’Etats aux organisations syndicales).
De façon scandaleuse, les traitres martinez et mailly acceptent la remise en cause de notre droit constitutionnel de manifester, former des rassemblements spontanés, créé par la loi de 1884. Loi qui a toujours été appliquée de façon très libérale. Ainsi, durant toutes les “années rouges” (1968-1978) post mai 68, Giscard autorise toutes les manifestations de rue : sauf les rassemblements diplomatiques (moins de 1% du nombre de manifestations) devant telle ou telle ambassade (Iran, Israël, Jordanie), afin de ne pas créer d’incident diplomatique avec le pays concerné : ce qu’on peut comprendre.
De la même façon, martinez et mailly acceptent le fait indigne, que le "manifestant" pacifique, figure classique du champ social depuis 150 ans (loi de 1880 reconnaissant la manifestation) soit transmué en "délinquant". On l’éborgne comme le pauvre Manu, Place d’Italie. On le fouille sans ménagement. On l’envoie au commissariat. On le licencie brutalement. On le condamne à de la prison ferme, comme on a pu le voir avec stupeur avec les Gilets Jaunes en 2018.
De la même façon, martinez accepte de donner de faux chiffres de mobilisation à la fin de la journée, afin de démobiliser ses propres troupes. Ainsi, le 17 octobre 2017, et après que la CGT ait annoncé toute la journée qu’il y avait 1 millions de personnes dans la rue contre la casse du code du travail, martinez annonce qu’il y a 400 000 personnes dans la rue : histoire de démobiliser, désespérer les manifestants pour les journées de mobilisation suivantes. Et ça marche : lors de la journée suivante, il y a moins de personnes dans la rue. Résultat : la réforme des retraites autorisant l’employeur à licencier du jour au lendemain, faisant du droit de licencier français le droit du travail le moins protecteur de l’Union Européenne, est adoptée en fin d’année. Applicable au 1er janvier 2018.
On le voit ; il y a toute une “ingénierie” anti-sociale (militants transformés en ”classes dangereuses”, responsables syndicaux corrompus, faux chiffres de mobilisation), qui font que de toute façon, un mouvement social est programmé pour échouer. Voilà pourquoi, malgré de très belles démonstrations de rue observées entre 2009 (mouvement social contre la réforme des retraites voulue par Sarkosy jusqu’à aujourd’hui), l’Etat, rendu “fort” par son verrouillage abject des manifs, ne cède pas.
Mais au fond, comme dit Alain Badiou, cette stratégie de l’état n’est possible et victorieuse, qu’en l'absence d'une autre proposition politique alternative : échec de l’idéologie communiste comme “avenir radieux”, comme on disait dans les années cinquante. "Avec la fin de l'idéologie communiste, "on est passé du Deux au UN. Ça c’est fondamental. Ce n’est pas du tout la même chose quand, sur un même sujet, il y a deux questions en conflit, et quand il n'y en a qu'une" (sic) (extrait de son ouvrage "Nôtre mal vient de plus loin, Penser les tueries du 13 novembre", op cit).
Avec le UN, l’état capitaliste mondialisé a tous les droits. Un pouvoir illimité sur les têtes et sur les coeurs !
Faisons l’hypothèse que le succès des BRICS (Brésil, Russie, Inde, Chine, Afrique du sud), la guerre en Ukraine depuis le 24 février 2022 réinvente un 2, là où il n’y avait désespérément qu’un 1. Les succès russes : Marioupol, Lissitchansk, Severodonetz). La demande récente de Washington de ”geler le conflit” montre que les occidentaux sont en train de perdre cette guerre. Comme explique l’historien militaire Sylvain Ferreira, Poutine va gagner la guerre en 2023. A SES CONDITIONS. Il existe donbc au niveau mondial deux projets de capitalisme différents : le projet de capitalisme financiarisé mené par les Etats-Unis. Le projet de capitalisme keynésien défendu par la Chine et la Russie. De même, le capitalisme des BRICS construit autour des états nations. L’Etat français est fragilisé.
Poutine est un impérialiste comme un autre. Nous n’avons pas la naïveté de reprendre à notre compte son projet de capitalisme national redistributeur. Le Rassemblement Pouvoir au Peuple préconise une ”rupture” très profonde avec le système capitaliste. Et vise à mettre en place le communisme autogestionnaire, grâce à un pouvoir de décision donné à chaque comité d’entreprise.