Petits bijoux d'analyse de Alain Badiou (31) : "il ne faut surtout pas dénoncer l'anti-intellectualisme sévissant aujourd'hui(sic) !
Citations rédigées par Alain Badiou, choisies par Brigitte Bouzonnie le 2 juillet 2023
1°)- Alain Badiou : “la société capitaliste veut qu’on achète les produits du marché, et qu’on la laisse tranquille, si on n’en veut pas. Que l’on reste dans le binôme travail/consommation. Il ne faut avoir aucune idée d'un autre avenir possible. Pour le capitalisme, la gratuité c’est une chose abominable par excellence. La société sans pensée gratuite, la boussole de la pensée a disparu. C’est ce qui explique la crise des idéologies, la vie sans idées dans laquelle nous vivons aujourd’hui”(sic) (Séminaire sur la féminité du 3 mai 2013 à l’Ecole Normale Supérieure, Youtube).
2°)- Brigitte Bouzonnie : au cours d’un week end du 1er mai, où la salle de Normale Sup est remplie à craquer, souvent de jeunes attentifs, malgré le pont du 1er mai, Alain Badiou réalise une très belle intervention sur la condition subordonnées des filles. Il montre comment la femmes est aiguillée par un devenir femme premier, qui préempte son existence. Je reparlerai de cette vidéo, qui vraiment mérite le détour. Posant sur la féminité un regard lucide et neuf, sans commune mesure avec les mises à mort sordides de corrida (Olivier Duhamel, Gabriel Matzneff….) opérées par le triste collectif Me Too, dont le seul but est de se “payer” un homme célèbre. Nullement de faire progresser l’émancipation de toutes les femmes. Mais ce n’est pas le sujet du jour.
2-1°)- Il ne faut surtout pas réfléchir de façon critique sur ce que fait effectivement le capitalisme mondialisé :
Que nous dit Alain Badiou ? La capitalisme mondialisé veut que l’on travaille jusqu’à plus soif ; que l’on consomme outrancièrement, quitte à s’endetter pour cela. Mais surtout, surtout, que l’on ne réfléchisse pas. Que l’on n’écrive pas de façon critique sur ce qu’il fait. Rien de plus juste. Par exemple, il ne faut surtout pas qu’on dénonce le chômage et la pauvreté de masse (en France, 15 millions de pauvres vivant en dessous du seuil de pauvreté) devenus pierre angulaire du système, afin de lutter contre la baisse tendancielle du taux de profit. Je parle d’expérience, au regard de tous les refus à mes articles dénonçant le chômage record post crise des subprimes opposés par tous les responsables de partis politiques de gôche : Parti de gauche (François Delapierre), Parti communiste français (Pierre Laurent), ATTAC (Verveine).
Je me souviens aussi du refus opposé par toutes les maisons d’édition parisiennes à mon livre : “l’emploi, l’emploi, l’emploi” en 2014. Il fut refusé notamment par les éditions La Découverte, au motif que que le sujet (la pauvreté) n’entrait pas dans les thèmes que souhaitait traiter cette maison d’édition. Soit.
Sauf qu’un an plus tard, sort un livre rédigé par Monique Pincon-Charlot, jusque là spécialiste des seuls riches, où elle analyse la pauvreté comme “la (seule) violence des riches”(sic). Ce livre fait semblant d’aborder le problème de la pauvreté. De fait, il compile un ramassis de vieilles idées 68ardes sur le sujet, totalement en décalage avec la situation actuelle, à ce moment là : 2014. On rappelle qu’en 1968, on compte 400 000 chômeurs. Aujourd’hui : 6,5 millions selon la DARES, 9 millions selon mes calculs, si on ajoute le poids des radiations, le nombre de chômeurs non inscrits à Pôle emploi qui cherchent du boulot tout seul : phénomène évalué à 2 millions….
Ce livre n’offre aucune analyse globale du chômage et de la pauvreté de la France de l’époque. Sans aucune idée critique neuve pointant l’ampleur et le caractère scandaleux de la misère. Il occulte le principal : le véritable “ras de marée recouvrant notre pays”, comme dit avec lucidité le regretté Julien Laupêtre, Président du Secours Populaire. Ce même Secours Populaire qui évalue courageusement à 30% le nombre total de pauvres, avec les conjoints et les enfants. Soit un chiffre très proche de celui de la société allemande (voir article posté le 1er juin 2023 sur la lettre politique indépendante).
Pourtant, ce mauvais livre fut vendu par conteneurs entiers par la FNAC et autres librairies de France, tant il répondait à un besoin d’explication minimale attendue par de nombreux français, par ailleurs désorientés par le silence assourdissant autour du sous emploi et de la pauvreté, qui ont transformé ces sujets en boites noires inexpliquées.
Voilà pourquoi j’utilise mon mur Facebook, mon blog Médiapart puis aujourd’hui la lettre politique indépendante, pour dire la vérité sur l’ampleur du chômage et de la pauvreté. Ce livre “l’emploi, l’emploi, l’emploi”, aujourd’hui, j’en parle sans amertume. J’envisage même de le réécrire totalement avec des chiffres neufs de la société française 2023, notamment en m’appuyant et en citant les excellents articles rédigés par Olivier Berruyer sur le site ELUCID.
Ma triste histoire montre très clairement comment toute approche rationnelle de ce sujet a été soigneusement mise au rancart de la part de toute cette “gôche” social-démocrate, qui ne voulait surtout pas faire de vagues. Empêcher le capital de se remplir outrancièrement les poches.
2-2 : De la même façon, comme dit justement Alain Badiou, avec la domination intellectuelle du capitalisme mondialisé, il ne faut surtout pas dénoncer l'anti intellectualisme, dans lequel nous baignons depuis les années quatre-vingts, y compris chez les "zélites" qui nous gouvernent, les responsables politiques et les “intellectuels social-démocrates de “gauche”.
Je me souviens de cette remarque de Jacques Chancel, qui, outre sa célèbre émission Radioscopie, faisait des conférences dans toute la France. Il disait : la Province, qu’est ce que cela lit ? Eh bien, lorsque je suis “montée” à Paris dans les années quatre-vingt, pour des raisons professionnelles, j’ai pu voir combien la capitale, elle ne lisait absolument pas ! Comment au PSU, on me regardait avec curiosité moi, mon livre, ma publication à 1000 exemplaires, dont je faisais la maquette, la lettre de l’emploi, comme si j’étais un être exotique venu du bout du monde. Naturellement selon eux, je perdais mon temps.
Et Toni Négri, qui venait de faire de la prison pour les raisons politiques que l’on sait, est invité par Gilles Deleuze et Félix Guattari à venir à Paris en 1986. Lui aussi est très déçu du très bas niveau intellectuel parisien. De leur anti-intellectualisme féroce.
Sans oublier Gérard Fauré, dealer du tout Paris, qui jusque là, trafiquait à Amsterdam. Lui aussi arrive à Paris dans les années 80. Dans son livre il raconte comment il trouve le tout-Paris mesquin, à la gloire très surcôtée, très inintéressant intellectuellement parlant. Uniquement préoccupé de coke et de pédophilie dès cette époque. (cf Le Prince de la coke, dealer du tout-Paris, suite, édition nouveau monde, 2020)(1).
Donc, là encore, en critiquant l’anti intellectualisme dominant depuis les années quatre-vingt, Alain Badiou met le doigt pile là où ça fait mal.
2-3°)-Badiou parle enfin du problème de la gratuité, inconcevable dans le monde capitaliste dans lequel nous vivons. Là encore, c’est exact. Dans un capitalisme mondialisé ne vivant que pour restaurer son taux de profit en chute libre dans les années soixante-dix, pour l’oligarchie financière qui nous gouverne, il n’y a pas de place pour la gratuité. L’engagement bénévole des militants associatifs dans le domaine de l’insertion par exemple, quelle que soit l’utilité de ce travail à temps plein.
Ainsi, Bernard Gomel, chercheur au Centre d’Etudes et de l’Emploi montre dans son livre “CES mode d’emploi”, 1994, l’existence de 400 000 professionnels et bénévoles de l’insertion gravitant autour de ce contrat aidé, soit environ un million de contrats dans les années fastes : 1990-1994 : membres des organismes de formation, président et membres d’associations…
Evidemment, Chirac, Jospin et Bercy se sont dépêchés de liquider totalement l’enveloppe de CES pour la donner aux patrons sous forme d’exonération de cotisations sociales pour l’embauche d’un salarié gagnant moins de deux fois le SMIC, qui n’a créé aucune emploi supplémentaire comme le montre l’ouvrage de l’économiste atterré Philippe Askenasy ; les décennies aveugles, 40 ans de politique de l’emploi, 1970-2010, paru en 2011. Du coup, a été aussi liquidé tout cet engagement bénévole mais significatif autour des salariés en CES/CEC. Mais tristement, pour les capitalistes cupides qui nous gouvernent, il était hors de question de maintenir cette “gratuité”, dans la France mondialisée des années 2000.
Comme disait en substance et avec humour Lénine : le capitaliste est prêt à vendre la corde qui le pendra, histoire de faire un ultime profit (cf La maladie infantile du communiste). Le capitalisme ne peut pas tolérer la gratuité d’un engagement bénévole dans son économie, dont la seule raison de vivre est de faire du profit encore et encore. C’est particulièrement vrai du capitalisme mondialisé occidental. Inversement, la Chine a maintenu l’existence d’un état keynésien redistributeur et un solde programme de lutte contre la pauvreté. Il faudrait analyser en détail l’économie chaque BRICS (Brésil Russie, Inde, Chine et Afrique du Sud), pour évaluer la place qu’il concède (ou non) à la gratuité.