Petits bijoux d'analyse de Alain Badiou n°34. Badiou dénonce avec lucidité l'individualisme sans sur-moi actuel, ne poursuivant que sa petite jouissance personnelle (part 2)
Version 2 : Commentaire et proposition rédigée le 18 juin 2023 par Brigitte Bouzonnie
1°)- Commentaire Brigitte Bouzonnie : Naturellement, je partage 5 sur 5 l’idée émise par Alain Badiou, selon laquelle il faut travailler à l’échelle internationale, parce que la puissance organique criminelle du capitalisme mondialisé est à ce niveau. Et non pas se contenter de micro résistances, type Notre Dame des Landes, comme le propose Michel Onfray, qui ne sont pas du tout à la hauteur de ce qu’exige la situation.
A ce stade, je n’ai hélas que des réponses embryonnaires, débuts de chapitres, à apporter au cadre d’analyse proposé par le philosophe Alain Badiou, visant à élaborer une nouvelle pensée révolutionnaire. Les voilà :
1-1°)-S’agissant de la nécessité de procéder à une reformulation du cadre général de la pensée marxiste révolutionnaire depuis le XIXème siècle, il importe d’effectuer le bilan de la faiblesse de la catégorie de la seule négation. Quand on dit : “Moubarak dégage”, ou quand on crie son hostilité à Sarkosy, l’expérience montre que la négation ne porte aucune construction. Il faut avoir une démarche affirmative originale, dans laquelle on va faire jouer la négation dans ces perspectives là. Sur ce point, je suis tout à fait d’accord avec l’idée de A. Badiou.
J’irai même encore plus loin : ce qui est véritablement nuisible pour tous les militants sincères, qui, comme moi, ont donné comme sens à leur vie la défense (questions emploi, salaire et pauvreté) et l’émancipation du Peuple français (primat du pouvoir à la base), c’est le couplage négativité d’un côté (“non à Moubarak”, “Ben Ali dégage”)/et les élections misérables et truquées de l’autre, qui s’en suivent de façon quasi automatique. Ainsi les révolutions arabes voient le succès des frères musulmans, “forme de franc-maçonnerie”(sic) analyse le géopoliticien Thierry Meyssan dans un article récent de Réseau International. Frères musulmans qui n’ont rien à voir, mais alors rien avec le peuple égyptien exploité, opprimé, paupérisé, etc…
Je pense que la faiblesse même générée par la seule négativité du propos (“Moubarak dégage”), ne peut que conduire à ces élections on ne peut plus classiques. Forcément perdues d’avance par le Peuple égyptien. Signifiant le retour et le triomphe d’une des composantes de la vieille classe dominante : les frères musulmans, partie de l’état profond égyptien.
Le Rassemblement Pouvoir au Peuple est un intellectuel collectif. Avant tout un laboratoire d’idées. Voilà pourquoi, depuis juin 2019, nous travaillons à la rédaction d’un programme politique du Rassemblement Pouvoir au Peuple en 44 propositions, car il s’agit d’une démarche affirmative sur différents sujets, notamment dans le domaine :
International : sortir de l’OTAN et de la zone euro en plan A, puis rejoindre l’organisation des BRICS : Brésil, Russie, Inde, Chine, Afrique du Sud. Ce groupe est actuellement en pleine effervescence et progression, puisque 19 états veulent aujourd’hui le rejoindre, comme le montre un article de Réseau Internationale du 15 juin 2023.
National : suppression de tous les parlementaires. A la place, rédaction d’une Constituante aux ronds-points des gilets jaunes, départs de manifs, entreprises en grève : esquisse d’un pouvoir et contrôle à la base, qui à terme gouvernera seul le pays.
Social : Retour de l’échelle mobile, c’est à dire indexation automatique des salaires et des retraites sur les prix. Grand plan de rattrapage salarial, afin de neutraliser la baisse réelle des salaires depuis 1980. Retour de l’échelle mobile, c’est à dire indexation automatique des salaires et des retraites sur les prix. Grand plan keynésien de relance économique, de nature à créer des centaines de milliers d’emplois. Création de 2 millions d’emplois en CDI dans le secteur associatif réservés aux demandeurs d’emploi enkistés dans le chômage. Plan de lutte contre la pauvreté zéro chômeur zéro pauvre. Droit de véto donné aux membres du comité d’entreprise, afin de contre carrer les plans sociaux de l’employeur.
Lutte contre les inégalités sociales abyssales. On est passé d’un écart des revenus de 1 à 20 dans les années soixante à un écart des revenus de 1 à 400 aujourd’hui (chiffres Martine Orange). Nous proposons de revenir à un écart de 1 à 10 des salaires (proposition de la CFDT et du PSU des années soixante-dix). Lutte contre la fraude fiscale : 1250 milliards d’euros envolés dans les paradis fiscaux. Imposition des hauts revenus : RETOUR A L’ISF ET IMPOSITION A l’IRPP DE 40% DES REVENUS DES PLUS RICHES. Pourquoi 40% ? Parce que c’était le niveau d’imposition des hauts revenus dans les années soixante analyse Thomas Piketty dans son livre : “les hauts revenus, histoire de l’impôt sur le revenu”, édition livre de poche, 2009. Et que ce taux est aujourd’hui à peine de 21% (chiffre Alternatives Economiques).
Economique : nationalisation des banques, nationalisation de tous les grands groupes de production et de communication : par exemple, nationalisation immédiate des Drahi et Niel. Nationalisation des réseaux sociaux (Facebook et Tweeter) et des labos pharmaceutiques. Relocalisation des activités industrielles. Redonner à la Banque de France le droit de battre monnaie interdit depuis la loi de 1973 dite “Rothschild”. Annulation concertée de la dette. Retour à un certain protectionnisme, qui n’empêche pas la poursuite d’échanges commerciaux avec d’autres pays.
Mes amis Monika Karbowska, Dominique Kern, Philippe Meens, Jilles Lazardeux et moi travaillons à ce programme depuis presque quatre ans : depuis le 30 juin 2019. Depuis la création du Rassemblement Pouvoir au Peuple le 30 juin 2019, notre programme constitue la priorité revendiquée de notre action. Très loin de toute considération électoraliste, que nous jugeons totalement contre productives pour le Peuple exploité qui souffre. Il est évident que seule une démarche affirmative précise est de nature à tirer par le haut le Peuple français paupérisé, mis au rancart, dans l’indifférence générale. Seule une démarche affirmative est de nature à parvenir à son émancipation, grâce à la conquête par le combat idéologique et par les luttes d’un pouvoir à la base.
1-2°)-A juste titre, Alain Badiou se méfie de l’usage de la catégorie de l’individu, capturé par le marché, qui ne poursuit jamais rien d’autre que sa jouissance personnelle. Et que l’on promeut comme acteur principal de la vie politique.
Badiou n’est pas le seul intellectuel à questionner utilement la validité de l’individualisme petit-bourgeois libéral/libertaire actuel. Ni à poser sur cette catégorie de pensée un regard légitimement soupçonneux. Les psychiatres Nicole Aubert et Eugène Enriquez aussi. Nicole Aubert écrit : “aujourd’hui, on a affaire à un individu qui nage dans l’excès voulu, consistant en une recherche de possibilités en tous genres, -consommatoires, sexuelles et autres-, permises par l’éclatement de toutes les limites ayant jusque là structuré la construction des identités individuelles” (sic) (…).
“Il existe aujourd’hui un ”pousse au plaisir”, selon l’expression de Paul-Laurent Assoun, une sorte de “devoir de jouissance”. Dans ce domaine, la seule loi possible de l’individu semble être celle de son propre désir. Eugène Enriquez évoque ainsi l’apparition d’individus nouveaux, sans sur-moi, sans idéal de moi autre que l’argent, le sexe et la sécurité ou la santé. Et qui font de leur désir et de leur plaisir le paradigme de leur vie” (sic)(cf l’excellent article intitulé : L’individu hypermoderne par Nicole Aubert, L’information psychiatrique 2006/7 (volume 82).
Et Alain Accardo de dénoncer justement "l'anesthésie morale du petit bourgeois moderne"(sic) (cf son très bon ouvrage : "Le petit-bourgeois gentilhomme. Sur les prétentions hégémoniques de la classe moyenne", édition Agone, 2009).
De son côté, Pierre Bourdieu évoque le travail de recherche d’une de ses étudiantes. Celle-ci étudie la vie d’un individu dominant, ayant 14 vies différentes sur toute la planète. Avec un bon hélicoptère et Internet, rien de plus facile, techniquement parlant. Sur le plan moral, notre individu ne présente aucun état d’âme. Aucun regret. Aucune interrogation d’ordre éthique sur sa conduite personnelle, qu’il réitère chaque jour.
Donc l’analyse philosophique d’Alain Badiou est très juste, corroborée par le travail de sociologues et de psychiatres. Cet individu jouisseur et sans sur-moi (sans morale), ne vivant que pour la petite joie de la marchandise (très années soixante-dix à la réflexion) et le sexe sans interdit (pédophilie devenue la norme comme dit Poutine), est en réalité un pur produit de la subjectivité capitaliste. Il ne peut donc pas être à la base d’une nouvelle politique d’émancipation du Peuple tout entier, telle que le souhaite par ailleurs le programme du Rassemblement Pouvoir au Peuple.
Il faut donc critiquer la figure de l’individualisme jouisseur. Inventer un nouvel individualisme tournée vers l’entraide, comme le propose l’anarchiste Kropotkine. Ou encore un nouvel individualisme, où l’action individuelle de chacun à travers les luttes renforce la cohésion et le “mieux disant” de son groupe de référence, comme le propose par exemple l’anarcho-syndicaliste Benoit Broutchoux, animateur du syndicat d’action directe avant 1914. En effet, ses luttes victorieuses dans les mines du Nord de la France apportent d’abord aux mineurs des augmentations de salaires. Un repos hebdomadaire. Une journée de 10 heures. Une pension de retraite. Un contrat collectif, ancêtre de la convention collective. Mais ensuite, tous ces conquis sociaux sont généralisés à l’ensemble de la population salariée par le premier code du travail publié en 1919 sous le nom : les lois ouvrières.
Dans ce contexte, l’individualisme de chaque mineur, -son courage, son intelligence personnelle, sa détermination, sa pugnacité à se battre-, apporte au groupe des mineurs des améliorations sociales conséquentes. Améliorations étendues ensuite à tout le peuple français. A travers ses luttes, on voit donc comment Benoit Broutchoux invente un nouvel individualisme au service de son groupe : les mineurs. Celui-ci sort renforcé de ces luttes, elles-mêmes produits de l’individualisme de chacun. En 1914, les mineurs sont admirés du reste de la population au travail, dont ils sont l’aristocratie incontestée. Ensuite, ce sera l’ouvrier métallurgiste de la région parisienne qui sera la figure du Peuple français entre les deux guerres, en raison de ses luttes. On le voit : cet individualisme social n’a rien à voir avec l’individualisme sans sur-moi. En panne d’idéal social. Individualisme jouisseur des bobos de la France 2023, dont la recherche du plaisir, notamment sexuel, est la seule raison de vivre.
Demain suite et fin de mon commentaire à propos du troisième point du propos de Alain Badiou face à Michel Onfray, (Contre courant 2017), où le philosophe estime que l’on doit travailler à l’échelle internationale,
Il faut revenir à Proudhon, qui propose tout simplement la reappropriation des moyens de production par ceux qui créent la richesse en évacuant les parasites détenteurs de la propriété lucrative. C’est positif et évident comprendre .