ON L'APPELAIT ERNEST : LE MONUMENT À ERNST THÄLMANN MENACÉ PAR LA RUSSOPHOBIE
Article rédigé par Aymeric Monville, éditeur, membre du PRCF
Libéré in extremis en avril 1945 du camp de Buchenwald alors qu'il ne pesait plus que 28 kilos, mon ami et camarade Emile Torner (1925-2014), dont j'ai publié jadis les Mémoires, se souvenait du jour de l'assassinat d'Ernst Thälmann, non loin de son baraquement. Emprisonné dès 1933, c'est en effet le 18 août 1944 que le dirigeant du Parti communiste allemand fut finalement exécuté, sur ordre exprès d'Hitler, après son transfert au camp.
Emile Torner parlait de Thälmann avec beaucoup d'émotion dans la voix mais ce n'est pas seulement pour cela qu'il n'arrivait pas à prononcer son prénom, "Ernst", avec ses quatre consonnes de suite et qui signifie - fort germaniquement - "sérieux". C'était donc, pour faire simple, "Ernest", pour lui comme pour d'autres camarades français.
On sait que le camp de Buchenwald n'a pas été seulement un des symboles de l'horreur mais aussi le lieu où une résistance active, impensable, inouïe, a pu s'organiser. Le colonel Manhès et Marcel Paul l'animaient, regroupant autour d'eux autant gaullistes que communistes, ces derniers apportant les ressorts de leur sens immense de l'organisation, qui est, comme le disait Lénine, la seule arme dont dispose le prolétariat. Pierre Durand a raconté cela dans son livre (ci-dessous) sur la résistance française au camp. La résistance des prisonniers allemands de Buchenwald, quant à elle, abonde aussi en exemples d'héroïsme, qu'a relatés notamment Bruno Apitz dans son livre "Nu parmi les loups".
C'est un peu confusément tout cela que m'a toujours évoqué le nom d'Ernst Thälmann, et surtout la fraternité dans la douleur entre communistes allemands et français, à jamais symbolisée par Jean-Pierre Timbaud, tombé sous les balles nazies en criant : "Vive le parti communiste allemand!"
Alors, ces temps derniers, je pensais qu'on avait dépassé le stade de la stupidité et de l'infamie, la bêtise à front de taureau dont parlait Baudelaire et qu'on voit parfois représentée sur les tableaux les plus sombres de Picasso. Mais je n'aurais pas imaginé que la C.D.U. et même les Verts allemands iraient jusqu'à demander la démolition du monument à Ernst Thälmann, au prétexte des événements actuels.
"Le monument Ernst Thälmann dans le parc du même nom avait été inauguré en 1986 [par la R.D.A.]. En 1993, le Sénat berlinois a décidé qu'il devait disparaître. Après seulement neuf ans - et un changement d'époque. Aujourd'hui, on parle à nouveau beaucoup d'un changement d'époque, déclenché par l'invasion russe de l'ensemble de l'Ukraine il y a quatre semaines", nous rapporte le "Berliner Zeitung" (référence ci-dessous).
Qu'en conclure? Sans doute faut-il croire que, communiste en Allemagne, ça veut toujours dire mauvais allemand, "pro-russe", ça veut toujours dire sous-homme, vermine. Et que certains, Outre-Rhin, ont eux aussi la double particularité dont disposaient jadis nos émigrés de Coblence : n'avoir rien appris ni rien oublié.
Comme on le sait, on commence par les monuments et après on arrive au stade où "tout bon Indien est un Indien mort", comme disait le général Sheridan. Je ne sais donc pas ce que l'avenir nous réserve, tout cela ne sent vraiment pas bon, mais je sais que près du monument, à Berlin-Est bien sûr, il y a encore des camarades qui montent la garde. Je sais aussi que, dans les moments tragiques, il y aura toujours des communistes pour résister.
Aymeric Monville, 25 mars 2022
Référence de l'article :
https://www.berliner-zeitung.de/.../warum-die-cdu-in...