L'Histoire secrète de la Déclaration du 9 mai 1950 sur la construction confédérale de l'Europe prononcée par Robert Schuman !
Article rédigé par Brigitte Bouzonnie le 13 mai 2022
Dean Acheson, Ministre des affaires étrangères américain, qui joue un rôle pilote dans la genèse de la Déclaration du 9 mai 1950
Dean Acheson, Ministre des affaires étrangères américain, qui joue un rôle pilote dans la genèse de la Déclaration du 9 mai 1950. Photo truquée montrant Schuman présentant sa Déclaration du 9 mai 1950. Les photographes étaient absents.
Jean Monnet qui rédige les projet initial de la Déclaration du 9 mai
1°)- Brigitte Bouzonnie : Comme écrivait Balzac : “Il y a deux Histoires : l’Histoire officielle menteuse, puis l’Histoire secrète, où sont les véritables causes des évènements” (sic).
C’est fou de lire un peu partout que “Robert Schumann est le père de l’Europe”(sic). Cette formule oecuménique qui ne mange pas de pain, dissimule en réalité son putch de 1950 en faveur d’une Europe confédérale : c’est à dire d’une Union Européenne au dessus des Etats nations : ce qui n’est pas du tout la même chose !
Voilà ce que raconte François Roth, son biographe, européiste, auteur de l’ouvrage : “Robert Schuman, du lorrain des frontières au père de l’Europe”, édition Fayard, 2008.
En septembre 1949, lors d’une réunion informelle à Washington, Dean Acheson, Ministre des affaires étrangères des Etats-Unis confie à Robert Schumann de “faire des propositions et un projet sur l’avenir de l’Allemagne”(sic). Schumann accepte, rouge comme une pivoine, un projet dont il devra rendre compte au printemps 1950. Cela, c’est l’Histoire officielle. Nul doute qu’à l’instar de Jean Monnet, Schumann reçoit une forte rétribution pour ce travail confié par les dirigeants américains. Car, premier constat : la déclaration de l’Europe du 9 mai 1950 est une “commande” américaine : nullement un “besoin” qu’auraient exprimé les européens entre eux.
Lors de la Conférence tripartite qui se tient les 9, 10 et 11 novembre 1949 à Paris, Acheson et Schumann discutent d’un nouveau statut donné à l’Allemagne, avec l’idée d’autoriser son admission au Conseil de l’Europe envisagé en mars 1950.
Schuman défend bec et ongle la position des américains. Le 24 novembre 1949, Schumann déclare à l’Assemblée Nationale : “la confiance entre les Peuples ne s’improvise pas. Nous désirons la rétablir entre les deux pays. Nous ne pourrons y parvenir que par une coopération dans le cadre le plus large (hors étatique), où nous serrons plusieurs à faire preuve de bonne volonté. Ce cadre, c’est l’Europe”(sic). En clair, nous devons abandonner les repères traditionnels, les frontières nationales au profit d’une Europe confédérale voulue par les Etats-Unis.
A ses proches, Schumann, alors Ministre des Affaires étrangères français, parle souvent du mandat qu’il a reçu des alliés anglo-saxons. “J’ai reçu ce mandat : je dois l’exécuter”(sic). Clappier, son Directeur de Cabinet sentait une “pression”. (sic° raconte le biographe François Roth. Cette situation est pour le moins étonnante : c’est surprenant qu’un Ministre, qui a un maroquin français, les affaires étrangères. il est chargé de le défendre et de défendre les intérêts français par la même occasion. Pourtant, il se préoccupe surtout d’une “mission” n’ayant aucun cadre juridique, que lui a donné le Ministre des affaires étrangères américain : Acheson. Tant sur le plan juridique que personnel, cet état de fait s’appelle la trahison des intérêts de son pays au profit des intérêts des américains, que l’on privilégie.
Genèse du plan Schumann : Jean Monnet et Robert Schumann se connaissent. Ils ont eu de nombreux repas en tête à tête. Tous les eux convergent vers la même idée : LE REFUS DU NATIONALISME ET LA NECESSITE DE REINTEGRER L’ALLEMAGNE DANS LE CONCERT DES NATIONS. Banco, ce sont précisément les idées de Dean Acheson et des responsables américains de l’époque.
Entre Clappier, directeur de cabinet de Schumann, Monnet et Schumann, le trio est très soudé. Monnet réfléchit à un texte sur l’Europe, la création d’une communauté européenne du charbon et de l’acier, pendant ses vacances de ski dans les Alpes de mars 1950. Une première version est rédigé le 16 avril par le juriste Paul Reuter. Mais Reuter est trop précis, trop franc, trop “rugueux”, parlant tout de go d’”Europe confédérale”, le but secret de ce texte. Le texte est revu par Monnet et Pierre Uri, son fidèle collaborateur. Plusieurs versions se succèdent afin d’euphémiser en apparence le caractère confédéral, supranational de la Communauté européenne : objectif que l’on souhaite mener à son terme, sans trop l’ébruiter afin de ne pas effrayer les nationalistes.
Ainsi, la future “Haute Autorité” (la future Commission européenne), d’abord définie expressément comme “supranationale”(sic), ce qui pouvait inquiéter, devient seulement “commune”. Commune est un terme plus neutre, plus anodin, mais n’exclut pas d’être en dehors des états nations.
Le texte est transmis à Georges Bidault, Président du Conseil, et Robert Schumann, Ministre des affaires étrangères. Si Bidault ne lui accorde aucune attention, Schumann emporte ce texte chez lui à Chazelles pour le méditer. Le 1er mai 1950, Clappier attend son ministre gare de l’Est. A la descente du train, celui-ci dit à son directeur : “j’ai lu le texte du projet. Vous pouvez dire à Monnet que je marche” (sic).
Schuman jugeait dépassé le morcellement nationaliste de l’Europe. Il était pour une Europe confédérale, mais souhaitait y aller à petits pas.
La neuvième version de la déclaration fut terminée le 6 mai 1950. Seuls Vincent Auriol, René Pleven et René Mayer furent mis dans la confidence. Le Parlement, les partis, les journalistes mis à l’écart. Immédiatement informé, Konrad Adenauer donne son accord. le 8 mai, Dean Acheson de passage à Paris est informé du contenu de ce texte, ce qui montre la place prépondérante jouée par les américains dans la genèse de cette Déclaration. A cette occasion, il y eut une longue conversation Schumann/Acheson, ce qui montre là encore l’importance des américains dans la genèse de ce texte.
Le 9 mai, en Conseil des Ministres, Schuman présente son projet, mais sans y lire le texte de la Déclaration, préparée pour la conférence de presse du soir. A 18 heures, dans le salon de l’Horloge du Quai d’Orsay, Schuman lut devant une centaine de journalistes, le texte de la Déclaration. Les photographes ne s’étaient pas déplacés. A deux reprises, Schumann parla de “Fédération”, ce qui montre son souhait de créer une Europe fédérale et non pas une simple “Europe des nations”.
Naturellement, cette initiative fut chaudement accueillie à Washington.
Et François Roth d’écrire :”Si essentielle que put paraitre la coopération économique, elle était secondaire par rapport aux objectifs politiques de cette déclaration poursuivis par Robert Schuman : C’ETAIT UN PROJET SUPRANATIONAL. CETAIT AUSSI UN PROJET POUR LA PAIX !
2°)-Texte intégral de la Déclaration du 9 mai
La déclaration du 9 mai 1950 est considérée comme le texte fondateur de la construction européenne. Prononcée par Robert Schuman, ministre des Affaires étrangères français, dans le Salon de l'Horloge du Quai d'Orsay, à Paris, cette déclaration, inspirée par Jean Monnet, premier commissaire au Plan, propose la création d'une organisation européenne chargée de mettre en commun les productions françaises et allemandes de charbon et d'acier.
Déclaration liminaire
Messieurs,
Il n'est plus question de vaines paroles, mais d'un acte, d'un acte hardi, d'un acte constructif. La France a agi et les conséquences de son action peuvent être immenses.
Nous espérons qu'elles le seront.
Elle a agi essentiellement pour la paix. Pour que la paix puisse vraiment courir sa chance, il faut, d'abord, qu'il y ait une Europe. Cinq ans, presque jour pour jour, après la capitulation sans conditions de l'Allemagne, la France accomplit le premier acte décisif de la construction européenne et y associe l'Allemagne. Les conditions européennes doivent s'en trouver entièrement transformées. Cette transformation rendra possibles d'autres actions communes impossibles jusqu'à ce jour. L'Europe naîtra de tout cela, une Europe solidement unie et fortement charpentée. Une Europe où le niveau de vie s'élèvera grâce au groupement des productions et à l'extension des marchés qui provoqueront l'abaissement des prix.
Une Europe où la Ruhr, la Sarre et les bassins français travailleront de concert et feront profiter de leur travail pacifique, suivi par des observateurs des Nations Unies, tous les Européens, sans distinction qu'ils soient de l'Est ou de l'Ouest, et tous les territoires, notamment l'Afrique qui attendent du Vieux Continent leur développement et leur prospérité.
Voici cette décision, avec les considérations qui l'ont inspirée.
Déclaration du 9 mai
"La paix mondiale ne saurait être sauvegardée sans des efforts créateurs à la mesure des dangers qui la menacent.
La contribution qu'une Europe organisée et vivante peut apporter à la civilisation est indispensable au maintien des relations pacifiques. En se faisant depuis plus de vingt ans le champion d'une Europe unie, la France a toujours eu pour objet essentiel de servir la paix. L'Europe n'a pas été faite, nous avons eu la guerre.
L'Europe ne se fera pas d'un coup, ni dans une construction d'ensemble : elle se fera par des réalisations concrètes, créant d'abord une solidarité de fait. Le rassemblement des nations européennes exige que l'opposition séculaire de la France et de l'Allemagne soit éliminée : l'action entreprise doit toucher au premier chef la France et l'Allemagne.
Dans ce but, le gouvernement français propose de porter immédiatement l'action sur un point limité, mais décisif :
Le Gouvernement français propose de placer l'ensemble de la production franco-allemande du charbon et d'acier sous une Haute Autorité commune, dans une organisation ouverte à la participation des autres pays d'Europe.
La mise en commun des productions de charbon et d'acier assurera immédiatement l'établissement de bases communes de développement économique, première étape de la Fédération européenne, et changera le destin des régions longtemps vouées à la fabrication des armes de guerre dont elles ont été les plus constantes victimes.
La solidarité de production qui sera ainsi nouée manifestera que toute guerre entre la France et l'Allemagne devient non seulement impensable, mais matériellement impossible. L'établissement de cette unité puissante de production ouverte à tous les pays qui voudront y participer, aboutissant à fournir à tous les pays qu'elle rassemblera les éléments fondamentaux de la production industrielle aux mêmes conditions, jettera les fondements réels de leur unification économique.
Cette production sera offerte à l'ensemble du monde, sans distinction ni exclusion, pour contribuer au relèvement du niveau de vie et au progrès des œuvres de paix. L'Europe pourra, avec des moyens accrus, poursuivre la réalisation de l'une de ses tâches essentielles : le développement du continent africain.
Ainsi sera réalisée simplement et rapidement la fusion d'intérêts indispensable à l'établissement d'une communauté économique et introduit le ferment d'une communauté plus large et plus profonde entre des pays longtemps opposés par des divisions sanglantes.
Par la mise en commun de production de base et l'institution d'une Haute Autorité nouvelle, dont les décisions lieront la France, l'Allemagne et les pays qui y adhéreront, cette proposition réalisera les premières assises concrètes d'une Fédération européenne indispensable à la préservation de la paix.
Pour poursuivre la réalisation des objectifs ainsi définis, le gouvernement français est prêt à ouvrir des négociations sur les bases suivantes.
La mission impartie à la Haute Autorité commune sera d'assurer dans les délais les plus rapides : la modernisation de la production et l'amélioration de sa qualité ; la fourniture à des conditions identiques du charbon et de l'acier sur le marché français et sur le marché allemand, ainsi que sur ceux des pays adhérents ; le développement de l'exportation commune vers les autres pays ; l'égalisation dans les progrès des conditions de vie de la main-d'œuvre de ces industries.
Pour atteindre ces objectifs à partir des conditions très disparates dans lesquelles sont placées actuellement les productions de pays adhérents, à titre transitoire, certaines dispositions devront être mises en œuvre, comportant l'application d'un plan de production et d'investissements, l'institution de mécanismes de péréquation des prix, la création d'un fonds de reconversion facilitant la rationalisation de la production. La circulation du charbon et de l'acier entre les pays adhérents sera immédiatement affranchie de tout droit de douane et ne pourra être affectée par des tarifs de transport différentiels. Progressivement se dégageront les conditions assurant spontanément la répartition la plus rationnelle de la production au niveau de productivité le plus élevé.
A l'opposé d'un cartel international tendant à la répartition et à l'exploitation des marchés nationaux par des pratiques restrictives et le maintien de profits élevés, l'organisation projetée assurera la fusion des marchés et l'expansion de la production.
Les principes et les engagements essentiels ci-dessus définis feront l'objet d'un traité signé entre les Etats. Les négociations indispensables pour préciser les mesures d'application seront poursuivies avec l'assistance d'un arbitre désigné d'un commun accord : celui-ci aura charge de veiller à ce que les accords soient conformes aux principes et, en cas d'opposition irréductible, fixera la solution qui sera adoptée. La Haute Autorité commune chargée du fonctionnement de tout le régime sera composée de personnalités indépendantes désignées sur une base paritaire par les Gouvernements ; un Président sera choisi d'un commun accord par les autres pays adhérents. Des dispositions appropriées assureront les voies de recours nécessaires contre les décisions de la Haute Autorité. Un représentant des Nations Unies auprès de cette Autorité sera chargé de faire deux fois par an un rapport public à l'O.N.U. rendant compte du fonctionnement de l'organisme nouveau notamment en ce qui concerne la sauvegarde de ses fins pacifiques.
L'institution de la Haute Autorité ne préjuge en rien du régime de propriété des entreprises. Dans l'exercice de sa mission, la Haute Autorité commune tiendra compte des pouvoirs conférés à l'Autorité internationale de la Ruhr et des obligations de toute nature imposées à l'Allemagne, tant que celles-ci subsisteront."
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