L'Europe heureuse est la pierre angulaire du projet social-démocrate !
Excellent article rédigé par Jacques Sapir + commentaires de Brigitte Bouzonnie
L'EUROPE HEUREUSE EST LA PIERRE ANGULAIRE DU PROJET SOCIAL-DEMOCRATE...!
1)- Brigitte Bouzonnie : "Dans un entretien donne au journal d'Amsterdam le 1er aout 2015, Jacques Sapir revient longuement sur l'importance de l'Europe dans le projet social-démocrate. Il montre comment, depuis les années 50, la construction européenne sert de cache misère à un projet social-démocrate, qui a échoué au niveau national. "L'Europe des Peuples", l'Europe rêvée, façon conte de fées, est le supplément d'âme, que l'on offre aux Peuples européens, à défaut de pouvoir changer leur vie quotidienne, surtout offrir un emploi à chacun : le "plein emploi", objectif de la social-démocratie dans les années 60, a totalement disparu des radars et du discours politique actuel.
L'imposition forcenée du discours européiste, le silence organisé autour d'une politique publique de l'emploi digne de ce nom, sont le dos et le verso d'un même phénomène : il est très important, selon moi, de mettre les deux sujets en perspective, en face à face.
Au PG, avec des responsables venus de la social-démocratie, nous subissons directement les effets de ce discours social-démocrate européiste. Il est très difficile de remettre en cause la position officielle préconisant une simple "désobéissance" aux traites, même si, suite au congres et à la capitulation de Tsipras du 13 juillet 2015, l'article de Guillaume Etiévant préconisant une sortie de l'euro est un progrès indiscutable, dont nous nous félicitons.
2)- Jacques SAPIR : "Quelles raisons conduisent, dans vos yeux, la gauche européenne à tenir une position si fortement europhile par rapport à la question du monétarisme européen?
L’attachement d’une très large partie de la « gauche » européenne à l’Euro, un attachement qui l’a conduit à accepter ce que vous appeler un « monétarisme européen », et que je qualifierai de politique monétaire favorisant et accentuant en réalité une financiarisation de nos économies et agissant pour le bien d’une petite minorité au détriment du plus grand nombre, cet attachement à des causes multiples et une longue histoire. Cet attachement renvoie tout d’abord à l’histoire d’amour qui existe entre une partie de la « gauche » européenne et l’Europe. Cette histoire d’amour entre l’Europe et une partie de la gauche européenne est une vieille histoire. Elle s’enracine dans la Guerre Froide. Il fallait alors, à la gauche social-démocrate un « projet » qui puisse être opposé au projet soviétique. C’est pourquoi la social-démocratie a été, avec la démocratie chrétienne, l’un des parents de la communauté économique européenne, puis de l’UE. De plus, ce rattachement à l’idée européenne permettait de se couvrir stratégiquement du parapluie américain, par le biais de l’OTAN.
L’idée européenne permettait ainsi à la social-démocratie de faire l’économie d’une véritable réflexion sur la nature de la Nation, sur les impératifs de défense, et sur une réelle stratégie d’insertion internationale qui soit compatible avec le progrès social. L’idée européenne a été en fait un substitut à ces différentes réflexions. Elle a servi de cache-misère à une absence de réflexion programmatique. Mais, d’autres facteurs ont joué un rôle important.
La social-démocratie voyait aussi, dans un projet de type « fédéral », la possibilité d’imposer aux « forces de la réaction », et dans les années 1980 celles-ci étaient identifiées en Grande-Bretagne avec le Thatchérisme, des mesures sociales. La social-démocratie s’était convaincue, surtout en France et en Italie, de l’impossibilité de faire « un autre politique économique » dans le cadre national. C’est pourquoi, elle reportait ses espoirs sur une politique à l’échelle de l’Europe. Elle a été rejointe par ce qui survivait des partis communistes, en tout les cas de leurs courants « eurocommunistes », après la dissolution de l’Union soviétique. Pour ces courants aussi, l’idée européenne a fonctionné comme un substitut à une utopie dont la forme particulière de concrétisation, et sur laquelle j’ai beaucoup travaillé dans le passé, s’était effondrée[3].
Dans ce cadre, le projet de la « monnaie unique » apparaissait comme un levier qui accélèrerait la réalisation de ce fédéralisme européen que cette « gauche » appelait de ses vœux. Mais, il est intéressant de constater que, jamais, la « gauche » ne s’est posée la question des implications économiques, et en particulier financières, de ce fédéralisme européen. Aussi tient-elle depuis maintenant près de vingt ans un discours sur la nécessité de faire « plus d’Europe », de faire « mieux d’Europe », sans jamais produire une réflexion réelle sur comment avancer dans ces directions face aux contradictions réelles entre les différents pays de l’Union européenne. Le fait que la monnaie unique ait produit non une convergence mais une divergence entre les Etats de la zone Euro n’a jamais été accepté ni même reconnu. Parce que le projet de la monnaie unique était essentiellement politique, il a engendré une croyance quasi-religieuse dans les « bienfaits » de la zone Euro. Et, comme toute croyance religieuse, celle-ci produit ses intégristes et ses fanatiques. Une large part de la social-démocratie européenne, et de ses alliés électoraux, a basculé dans cet intégrisme et ce fanatisme, qui lui fait accepter désormais l’inacceptable. C’est pourquoi, dès que l’on remet en cause ce dogme religieux, on est soumis à des procès en sorcellerie, accusé d’être d’extrême-droite et que sais-je encore."