Lettre ouverte à ceux qui reprochent à Alain Badiou d'être absent par sa faute du débat politique !
Article rédigé par Brigitte Bouzonnie le 23 juillet 2023, mis à jour les 11 et 12 mai 2024
May 12, 2024
1°)- Alain Badiou écrit le 14 juin 2023 : Qu’on me traite de « marxiste de la chaire » planqué dans son « cocon universitaire » est une pure, simple et dérisoire calomnie. J’ai à coup sûr passé plus de temps dans les usines et dans de longues et passionnantes réunions ouvrières que ne l’a jamais fait le calomniateur. A l’université, j’ai recruté et formé plus de militants communistes actifs, dans les banlieues ou même auprès des paysans pauvres que le calomniateur n’en a connu.
J’ai été arrêté maintes fois par la police de l’état bourgeois, et condamné une fois à un an de prison, avec un fragile sursis, pour « occupation à force ouverte d’un établissement de l’Etat ». J’ai organisé et dirigé des réunions « communistes de type nouveau » un peu partout : en Angleterre, en Allemagne, en Argentine, en Yougoslavie, en Corée…
Je suis moins actif, vu les opacités de la conjoncture, et parce que j’ai 86 ans. Ce n’est pas une raison pour faire de moi une description entièrement fallacieuse.
Voilà. Alain Badiou.
2°)-Brigitte Bouzonnie : Je partage 5 sur 5 la réponse écrite par Alain Badiou, même si elle n’épuise pas le sujet. Et toutes les questions posées par le relatif silence du philosophe, sous l’ère Macron : c’est-à-dire entre 2017 et 2023. En rupture avec plus de cinquante ans d’engagement idéologique très actif : 1958-2017. A la pointe de l’épée. Nonobstant tous les dangers. Au mépris de tel ou tel “plan de carrière”, à défendre les idées de l’extrême gauche et du PSU : ce n’est pas facile d’être minoritaire à 3,3% (score obtenu par Rocard, candidat du PSU aux Présidentielles de 1969) : et je parle d’expérience.
Oui, la critique, « Badiou = intellectuel de salon », Badiou = marxiste de la chaire universitaire », “Badiou = absent par sa faute du débat politique” est tenace. Pareille au scotch du capitaine Haddock. Comment expliquer cela ? A mon avis, Badiou longtemps fidèle à son idéal communiste est victime depuis 2017 d’une stratégie punitive voulue par Macron himself et ses sbires. Ceux qui traitent Alain Badiou de « planqué dans un cocon universitaire » ne voient que l’écume des apparences.
Oui, c’est un crève coeur de voir et d’entendre Alain Badiou sans son intelligence, son dynamisme, sa critique entière et habituelle passée. C’est un crève coeur de voir un Badiou devenu ‘réservé’. “sage”. “Policé”. “A-politique”. Comptez sur moi pour le dire : le philosophe qui consacrait tout un chapitre de son livre : “De quoi Sarkosy est-il le nom ?”, à l’éloge du courage, commençant par ces lignes : “Tous les points que j’ai nommés, et les dizaines d’autres que vous inventerez, nous ramènent à ce que j’ai déclaré être la vertu cruciale du moment : le courage”(sic) (cf De quoi Sarkosy est-il le nom , op cit). Donc le philosophe qui répondait toujours présent à tous les rendez-vous truqués de l’histoire anti-populaires : De Gaulle, Giscard, Mitterrand, Sarkosy, Hollande, le candidat Macron : aurait-il soudain changé de camp ? Sincèrement, je ne le crois pas.
Pour comprendre cette mutation, il importe d’aller au delà des apparences. Très modestement, on souhaite analyser : 1°)- la sociogenèse du processus, qui voit Badiou, être pendant 59 ans (1958-2017) un philosophe très critique du Pouvoir gaulliste ou hollandiste, et que beaucoup, dans le monde entier admire. 2°)- Processus conduisant à l’émergence d’un “nouveau Badiou”, aux positions plus réservées, plus “sages”, de 2017 à aujourd’hui.
1°)- Badiou, toujours au centre des combats contre la Bourgeoisie et le pouvoir en place : 1958-2017:
Pourquoi voulez-vous qu’à 80 ans (2017), Badiou commence de lui-même une carrière d’intellectuel renégat et de « planqué à l’université « »? Qu’est-ce qu’il y gagnerait à titre personnel, sinon de perdre son public fidèle ? Ceux qui critiquent Badiou, en le traitant d’intellectuel de salon, etc, ont une attitude très hypocrite. Ils renversant l’ordre des responsabilités. Ils font comme s’il était tout seul sur une île. Décidant tout seul, par exemple, en buvant son café le matin, de « trahir » tout ce pour quoi il a vécu intensément et totalement depuis sa jeunesse et sa maturité.
Souvenons-nous : entre 1958 et 2017, l’examen des prises de positions politiques de Alain Badiou montre ce dernier toujours au centre des combats les plus anti pouvoir du Patronat et de la Bourgeoisie triomphante. Du côté du Peuple qui souffre. Son premier engagement militant à la SFIO, est de créer en 1958 une section SFIO à l’Ecole Normale Supérieure, sur une position violemment anti Guy Mollet. Anti Algérie française. Avant de rejoindre le PSU créé en 1959, où il reste dix ans, jusqu’en 1969. Au PSU, il est responsable (bénévole) de la fédération départementale PSU de la Marne très actif. Et manque de peu de devenir maire de Reims, comme il le raconte dans ses “Mémoires d’outre-politiques”, édition Flammarion, 2023. Naturellement, il est très actif en Mai 68. En 1969, il crée le groupe maoïste l’UCFml, Union des communistes français marxistes léninistes, où il milite activement de 1969 à 2011. Distribuant tous les jours au petit matin des tracts maos devant l’usine Chausson de Vitry dans le sud de Paris, dont il suit les grèves de salariés avec passion.
En 2009, il rédige un livre critiquant sévèrement Sarkosy : De quoi Sarkosy est-il le nom, édition Lignes, 2009, ouvrage vendu à 270 000 exemplaires. Puis il écrit l’ouvrage : “Le réveil de l’Histoire”, édition Lignes, 2012, où il analyse avec brio les révolutions tunisiennes et égyptiennes de 2011. Vient ensuite “Notre mal vient de plus loin. Penser les tueries du 13 novembre”, édition Fayard, 2016, où Badiou dénonce les meurtres de masse de cette sombre journée. En 2017, Badiou dénonce aussi courageusement le coup d’état de Macron, dans son livre : Eloge de la politique, édition Café Voltaire/Flammarion, 2017. Sans parler de ses nombreux passages média, notamment chez Frédéric Taddei sur le plateau de l’émission : Ce soir ou jamais et avec Aude Lancelin, animant l’émission contre-courant sur le site Médiapart, à compter de 2016.
-De plus, Alain Badiou surmonte courageusement la trahison de nombre d’intellectuels : tous ceux qui sont passés du col Mao au Rotary, pour reprendre le titre du célèbre livre de Guy Hocquenghem, publié en 1986 aux éditions Albin Michel. Il surmonte notamment les terribles années 1980. Le règne arrogant du capitalisme mondialisé. Le triste chômage de masse d’un Peuple trahi par les hommes politiques de “gauche”. La triste mitterrandie. Le culte du fric douteux cultivé dans l’entourage de Mitterrand, style J-P Pelat et Jean-Christophe Mitterrand. Le culte aussi de l’arrivisme étroit. La “chance” inouïe d’être un “killer”(sic), pour parler comme Fabius. Le triomphe des seules apparences, du seul “look”, aux dépends de l’émergence d’idées nouvelles et de la défense sincère du Peuple français abandonné de tous. Sans parler de Madonna, qui pointe son nez à ce moment-là. On n’a jamais rien vu d’aussi vulgaire. Pour avoir moi-même traversé les années 1980, ces terribles moments, comme pour tout militant(e) sincère de la gauche critique, je peux vous assurer combien les rares intellectuels, qui ont gardé le front haut et leurs convictions, je pense notamment à Alain Badiou, sont des intellectuels courageux.
2°)- Le tournant de l’année 2017 :
A aucun moment, les calomniateurs de Badiou ne mentionnent la censure grave, dont le philosophe est victime au cours de l’année 2017. En effet, au mois de mai 20217, sur la chaine Public Sénat, et avec beaucoup de courage, Badiou analyse l’élection de Macron comme un « coup d’état démocratique » (sic). Terme qu’il reprend dans son livre intitulé : « Eloge de la Politique« , édition Café Voltaire/Flammarion, publié au mois de septembre 2017.
Commence alors la promotion de son livre, qui, au début, se passe très bien. Ainsi, il participe à l’émission C. Politique du 4 octobre 2017, où il remet courageusement en cause la légitimité de Macron. C’en est trop pour la Macronie, qui se venge : tous ses passages média restants sont supprimés. Le Pouvoir oblige Badiou à taire. Fin du premier acte.
Et ensuite, on trouve que Badiou est moins “allant”, moins “critique” vis à vis du pouvoir en place. “Trop planqué à l’université”, disent certains, alors que c’est le pouvoir macronien, qui est directement responsable de ses silences obligés. Fin du second acte.
Comme dit avec lucidité Coluche : «Si la Gestapo avait les moyens de nous faire parler. Aujourd’hui, le pouvoir a les moyens de nous faire taire »(sic).
Hélas, rien de plus juste. On sait comment les pouvoirs français, hier la Mitterrandie, aujourd’hui la Macronie empêchent par tous les moyens un adversaire politique critique de parler.
-Dans les années 1980, on n’a pas oublié les sketchs de Coluche censurés par le régime à la fin de sa vie : ce dernier critique notamment l’inaction de Mitterrand face à l’explosion du chômage de masse observée au cours de la décennie : 1 million de chômeurs en 1980. 2 millions en 1988. On n’a pas oublié sa mort mystérieuse en 1986, heurté par un camion, alors qu’il était toujours très prudent en moto.
-Avec Macron, on a pu voir sa « haine », le terme n’est pas trop fort, vis à vis de ses adversaires politiques. Et tout ce qu’il entreprend, afin de leur pourrir la vie. Les réduire au silence. Par exemple vis à vis du Professeur Didier Raoult, à qui on a opposé un faux article rédigé par une prostituée, et publié dans la célèbre revue The Lancet, “prouvant” faussement le caractère dangereux et inefficace de la Chloroquine. Pire, à la même époque, Macron fait chanter Didier Raoult. Menace de supprimer les crédits publics de l’IHU, dont Raoult est Président, si ce dernier continue de défendre publiquement la Chloroquine. Bonjour la démocratie, Bonjour la possibilité minimale d’exprimer un point de vue contraire à celui du pouvoir en place !
De façon très modeste, je suis privée pendant quatre mois de la possibilité de rédiger des articles sur la lettre politique indépendante (du 1er novembre 2002 au 1er mars 2023), ne pouvant que publier des vidéos. De plus, récemment, je ne peux plus accéder à mon compte Facebook : du 5 mars 2024 au 5 mai 2024. De plus, les comptes Facebook de mon ami Dominique Kern et de moi sont “invisibilisés”, c’est à dire fléchés sur des fils d’actu de 25ème importance vus par personne. Résultat : personne ne lit nos articles. Les pressions réitérées, je les connais. Croire que dans la France 2024, nous vivons dans un monde intellectuel “libre”, où tout le monde peut exprimer une opinion critique, contraire à celle du Pouvoir est une idée d’une grande naïveté. Invalidée par la seule observation élémentaire des faits. Mais de cette mise au silence brutale, il n’est jamais question : il est plus facile de s’en prendre au philosophe Alain Badiou, qui n’a aucun pouvoir personnel.
3°)- Le nouveau Alain Badiou “raisonnable”, “rangé des révolutions” : pourquoi ?
La vérité est que, pour dévaluer, démonétiser un adversaire politique, Macron ne se bat jamais à la loyale : mais par des coups de couteaux dans le dos. Ne reculant devant aucune bassesse. Aucune opération de basse police politique. Aucun procédé ignoble. Alors ne soyons pas naïfs : depuis 2017, Macron met au pas, fait taire Badiou, à qui il ne pardonne pas son attitude critique l’année de son « élection » truquée.
Et ce qui rend « possible » la mise à mort symbolique d’un intellectuel mondialement célèbre et reconnu comme Badiou, c’est qu’il n’y a plus de « contre-pouvoirs ». Avec le dispositif de financement de la vie politique, 22 millions d’euros reçus entre 2017 et 2022, les dirigeants de la France Insoumise adoptent une ligne « macron compatible ». Comme explique le beefsteackard Corbière : « il faut critiquer Macron mais pas trop »(sic). Résultat : trop occupés à se faire des c. en or, satisfaire leur basse cupidité, faire des passages médias inutiles, les responsables de la FI ne défendent plus aucun intellectuel et acteur critiques vis-à-vis de Macron et de sa politique : Didier Raoult, Christian Perronne, Alain Badiou, Jacques Sapir, Facebook et les Gilets Jaunes. Ces derniers sont dès lors livrés à eux-même. Et au silence.
Idem pour les organisations syndicales achetées à prix d’or avec l’argent du dispositif de la vie syndicale. Ainsi Sophie Binet reçoit chaque mois le salaire de 13 000 euros par mois, pour obéir à Macron.
Il y a deux jours, j’écrivais un article sur Michel Onfray, montrant comment ce dernier a été “retourné” par la Macronie. Comment il a troqué son idéologie autogestionnaire des débuts pour un discours macroniste pro-vaccin, anti-Raoult, etc…Au vu de la place majeure dans le champ intellectuel, occupée par le philosophe Alain Badiou, tant au niveau national, qu’international (aux Etats-Unis par exemple, où il est une véritable vedette), on peut se demander jusqu’où il ne subit pas le même traitement.. ?
Il faudrait aussi citer Xavier Azalbert, directeur de France Soir, dont les deux comptes bancaires ont été bloqués. Les géopolitologues Thierry Meyssan, interdit de séjour en France et Xavier Moreau, fiché S, de son propre aveu.
Conclusion :
En conséquence, on analyse l’émergence d’un nouveau Badiou plus “raisonnable”, plus “posé”, comme le résultat d’une volonté dictée par le dictateur Macron, ne supportant pas l’existence d’un intellectuel véritablement critique contre lui.
C’est la Macronie qui, à force de pressions réitérées, l’oblige à adopter ce nouveau comportement : ce qui n’est pas du tout la même chose, en terme de responsabilité.
La vérité est que, comme écrit avec lucidité Alastair Crooke, ex-ambassadeur américain au Liban, géopolitologue, et auteur d’articles géopolitiques de grande qualité : “la classe dominante occidentale ne veut plus de contrepouvoirs, car elle sent que sa domination est menacée. Ils ont besoin d’un Pouvoir parfaitement contrôlé”(sic) (cf titre de l’excellent article rédigé par Alastair Crooke, posté le 9 mai 2024 sur le blog de Bruno Bertez, que je reposte à l’occasion). De la même Façon, Macron ne veut plus de contre pouvoir. Il ne veut plus d’un Alain Badiou critique, ruant dans les brancards, car il sent sa domination intellectuelle menacée.
Oui, depuis 2017, nous vivons en dictature. Ceux qui parlent de “dérive autoritaire”, sont bien en deçà de la réalité. Et les rares intellectuels qui ne filent pas droit comme Alain Badiou sont impitoyablement censurés. Punis. Stigmatisés. Saqués. Démonétisés. Mis au placard de la société et de l’Histoire. “Coupables”, sous prétexte de fausses querelles insignifiantes. Et personne ne moufte. Personne pour dénoncer la mise à mort actuelle de nos Libertés Publiques imposée par le sieur Macron : notamment la liberté de dire ce que l’on veut, comme le montre la mise au silence de l’excellent Alain Badiou. Mais aussi la fin scandaleuse du droit de manifester existant depuis la loi de 1884, et qui fut toujours appliquée de façon très libérale, jusqu’à une période récente. Or, avec Macron, depuis 2017, le nombre d’interdictions de manifester explose. Bondit, étant multiplié par vingt. Là-aussi, mis à part quelques juristes comme Claire Hédon, François Sureau et Olivier Cahn dans un entretien au Monde du 12 mai 2023 (posté sur la lettre politique indépendante), personne ne l’ouvre !
C’est nous, les gilets jaunes, traités pire que les peuples colonisés avant 1914, journalistes et piétons-militants politiques comme Domi et moi sur le net, qui sommes les véritables “classes dangereuses” de Macron : quand la pègre de la drogue et du sexe commet ses crimes en toute tranquillité. Sans aucun policier pour l’arrêter dans ses méfaits. Quand pour elle, c’est open bar : surtout depuis 2017 avec un Macron, uniquement préoccupé de traquer et de punir sévèrement ses opposants politiques.
Comments