« LES RESEAUX SOCIAUX SONT PLUS PUISSANTS QUE LES MEDIAS ! "
LE MONDE ECONOMIE | 19.03.2016 à 08h01 • Propos de la journaliste Emily Bell, ex-journalise au Guardian, recueillis par Alexandre Piquard
1°)- Brigitte Pascall : Voici le texte intégral de l'entretien de Emily Bell, ex- journaliste des activités numériques du Guardian pour le journal Le Monde. Il s'agit donc d'une professionnelle des médias, expliquant comment Facebook à avalé le journalisme classique papier ou de télévision. Dans le journalisme traditionnel, il y a un seul émetteur captant un nombre élevé de lecteurs, auditeurs. Les réseaux sociaux, c'est exactement l'inverse. Il y a presque autant d'émetteurs que de lecteurs, chacun étant un peu des deux à la fois. Chacun se construisant son lectorat jour après jour. Et d'établir une relation gratuite, n'existant pas avec la presse papier, qui va séduite les jeunes forcément désargentés. Et abordant des sujets très différents du "JT" des télés confisquées par 10 milliardaires.
Parmi les sujets très souvent abordés sur les réseaux sociaux, il y a la politique internationale et la dénonciation (féroce) de l'hégémonie états-unienne. Très modestement, nous parlons régulièrement du chômage et de la pauvreté depuis 2009.
Pour parler d'un sujet d'actualité, la loi El Khomri a fait l'objet de très nombreuses analyses : en droit du travail, dans son volet politique, économique, etc...Interrogés dans les manifs, j'ai été frappée de la très bonne connaissance des jeunes vis à vis de la loi Travail : ce qui ne va pas de soit vu son caractère très technique. En effet, le projet de loi fait 132 pages. Martine Orange en a fait une présentation rigoureuse et exhaustive dans un long article du "Monde Diplomatique", qui montre son extrême complexité : inversion de la hiérarchie des normes afin d'obtenir le primat de l'accord d'entreprise sur l'accord de branche, ce qui permet à chaque employeur d'avoir son code du travail à lui tout seul : sans aucun rapport avec le code du travail national. Article 30 bis facilitant les licenciements en CDI, par une appréciation de la réalité du motif économique au niveau de l'entreprise, et non plus du groupe international, ce qui facilite de façon extraordinaire les licenciements.
Derrière les transformations du droit du travail, il y a des enjeux pour la vie quotidienne des salariés non écrits naturellement, Et qu'il faut déchiffrer par soi même. Or, tout ce travail d'analyse a été fait et bien fait sur les réseaux sociaux, alors que les télés menteuses nous abreuvaient en faits divers crapoteux et en sport. Et c'est là où on voit la puissance de Facebook : c'est elle qui a le monopole aujourd'hui de la formation des jeunes consciences : alors que ce monopole a longtemps été détenu par les télévisions. Nul doute que BOURDIEU se retournerait dans sa tombe, s'il entendait parler des réseaux sociaux : un sujet qu'il aurait adorer décortiquer sans aucun doute...!
En ce moment, je pense au film "Mourir à trente ans" de Romain Goupil, parlant de son ami de la Ligue Communiste Révolutionnaire, Michel RECANATI. Et de Maurice NAJMAN, mon vieux pote du PSU. On voit les réunions étudiantes des deux compères de la Ligue. Et la voix off de Goupil disant : "on a fait le compte : on avait tenu 82 réunions" dans la semaine. Moi, si je fais le compte de toutes mes articles sur la loi EL Khomri, réforme du code du travail depuis le début, je dois atteindre la quarantaine, facile. Sans parler des analyses de grande qualité sur le sujet postées sur mon mur et les murs FDG. Il faudra un jour faire le compte. Mais il y a eu une TRES GROSSE BATAILLE IDEOLOGIQUE MENEE SUR LES RESEAUX SOCIAUX. Naturellement, dans cette bataille juridique, la pétition de Caroline de Haas n'est qu'un epiphénomène !
Les dessins de PACO et d'autres ont joué un rôle primordial : avec beaucoup d'humour, en une seule image, ils expliquaient mieux les enjeux de la loi El Khomri que ne pouvaient le faire les juristes de droit du travail. Des réunions publiques sur la loi El Khomri ont également eu lieu bien sûr, organisées par le NPA, PG, Filoche, etc...Or, cette bataille des idées, nous l'avons gagnée, puisque le gouvernement a reculé, d'abord en repoussant le projet de 15 jours. Puis mis un tout petit peu de vin social dans son eau libérale...!
Combien de fois ai-je eu ce débat ? Jusque là, il y avait les "beaux", les "vrais" militants, ceux qui descendent dans la rue, usent noblement leurs chaussures entre Bastille et Nation. Et les "pelés", les "lépreux", les "fainéants", "ceux qui se contentent de mettre leur cul derrière un ordi" (sic), comme par exemple, Ariane et moi en écrivant sur Facebook. Après la mobilisation de la loi travail, on ne pourra plus jamais dire cela... ! Même Philippe MARTINEZ, Secrétaire de la CGT, qui n'est pas ce qu'on fait de plus gauchiste en a convenu, déclarant le 9 mars dans la manif : "les réseaux sociaux ont beaucoup aidé à mobiliser dans la rue. Beaucoup de salariés, après avoir lu Facebook, ont contacté les syndicats, pour avoir des infos complémentaires sur la manif du 9 mars, ce qui n'était pas arrivé depuis bien longtemps... !" (sic).