LES CHEMINOTS TRES MOBILISES LANCENT LA SEMAINE SOCIALE...!
Médiapart, 2 avril 2018 Par Martine orange et Mathilde Goanec
(Brigitte Bouzonnie : très bon article rédigé par Martine Orange !)
Le gouvernement prévoyait un bras de fer syndical, mais s'attendait-il à une telle mobilisation ? La SNCF est presque à l'arrêt depuis ce mardi matin, avec un TGV sur huit sur les rails et des lignes intercités parfois complétement stoppées. Chez Air France, un quart des avions restent au sol, alors que d'autres mouvements – éboueurs, électriciens, fonction publique, universités – lancent des actions à partir d'aujourd'hui. Le scénario d'une « coagulation » est possible.
En lançant sa réforme par ordonnances, le gouvernement savait qu’il s’engageait dans une épreuve de force avec les salariés de la SNCF. Certains le soupçonnent même d’avoir délibérément choisi une confrontation brutale, d’être à la recherche d’un moment thatchérien comparable à la grève des mineurs en 1984, qui avait marqué la fin du mouvement ouvrier en Grande-Bretagne. Mais, même en ayant anticipé un bras de fer, le gouvernement s’attendait-il à une mobilisation aussi forte des salariés de l’entreprise publique contre son projet ?
La SNCF s’apprête à être quasiment à l’arrêt les 3 et 4 avril, dans l’impossibilité de faire rouler plus d’un TGV sur dix ou, au mieux, un TER sur cinq dans toute la France. Selon les premières indications données dimanche 1er avril, 47 % des personnels de l’entreprise publique se sont déclarés grévistes. 95 % des contrôleurs, 90 % des aiguilleurs, 77 % des conducteurs ont déjà prévenu de leur intention de faire grève. Et encore, ces chiffres ne concernent que les catégories qui sont tenues de se déclarer grévistes avant le début du mouvement. Les autres le feront savoir le jour même. Et les premières indications laissent à penser qu’ils seront encore nombreux à le faire. « C’est sans précédent. Même en 1995, le nombre de grévistes n’était pas si élevé au début du mouvement », se souvient un ancien cadre de la SNCF.
Les semaines à venir s’annoncent à hauts risques pour le gouvernement. D’autant que ce conflit social à la SNCF prend une tournure à laquelle il ne s’attendait pas. L’exécutif tablait sur une répétition de la grève de 1994, avec un blocage complet pendant quelques jours. Un mouvement condamné à s’épuiser rapidement, d’après les calculs du gouvernement. En choisissant une grève perlée – deux jours de grève suivis de trois jours de reprise puis à nouveau deux jours de grève –, le tout jusqu’en juin, l’intersyndicale de la SNCF (CGT cheminots, CFDT cheminots, Sud Rail, Unsa cheminots) a pris le gouvernement de court. C’est un mouvement de protestation long qui se dessine avec une menace de désorganiser durablement la SNCF, et avec elle tout le pays.
De plus, cette grève commence alors que les mécontentements sociaux sourdent de toutes parts. Le choix d’annoncer une réforme par jour – un jour la formation professionnelle, le lendemain la justice, le surlendemain la santé, le quatrième la fonction publique, etc. – sur fond d’imprécision et d’illisibilité, nourrit les inquiétudes et les exaspérations. Les mécontentements s’additionnent aujourd’hui les uns aux autres.
La fédération CGT des éboueurs et celle des électriciens ont annoncé une journée de grève le 3 avril. Les salariés d’Air France ont prévu d’engager les 10 et 11 avril leur troisième grève consécutive pour obtenir des augmentations de salaires. L’intersyndicale de la fonction publique doit se réunir le 3 avril pour déterminer la ligne commune face au projet de réforme du gouvernement, avec possibilité d’appel à la grève. À ceux-là s’ajoutent les retraités, les personnels hospitaliers, maisons de retraites, les avocats…
« Et puis, il y a les facs », dit un proche du gouvernement. C’est peu dire que l’irruption de violence à l’Université de Montpellier a pris le gouvernement par surprise. Alors qu’il pensait avoir fait accepter sans encombre la réforme de l’admission à l’université (Parcoursup), le gouvernement réalise que les difficultés sont peut-être devant lui. Aux côtés de Montpellier, il y a Toulouse en grève depuis trois mois, Bordeaux, Nancy, Nantes, Paris-Tolbiac… Jusqu’où le mouvement peut-il s’étendre ? La question hante le gouvernement, qui sait que le pouvoir, quel qu’il soit, vacille toujours lorsqu’il se heurte aux lycéens et aux étudiants. Certains proches du pouvoir font le pari que le mouvement s’éteindra rapidement avec les vacances scolaires, qui commencent à la fin de la semaine, pour une partie de la France.
Mais à ce stade, ce n’est qu’un pari.
Même s’il feint la sérénité, la perspective d’une « coagulation » des mouvements sociaux, selon les termes du pouvoir – d’une convergence des luttes, comme disent les syndicats –, avec la SNCF comme point d’appui, commence à sérieusement agiter le gouvernement. D’ailleurs, le ton a changé. Il y a quelques semaines encore, le gouvernement affichait une détermination ferme et assurée face au conflit de l’entreprise ferroviaire. « Il y aura dix à quinze jours difficiles », pronostiquait-on dans l’entourage du premier ministre, Édouard Philippe, début mars. Aujourd’hui, ils ne semblent plus en être si sûrs.
Tout au long du week-end, les membres du gouvernement se sont relayés pour tenir des propos crispés. « Les Français n’ont pas envie d’une grève de trois mois que rien ne justifie », a déclaré la ministre des transports, Élisabeth Borne, dans un entretien au Parisien. « Je ne crois pas un seul instant que des syndicats responsables, y compris la CGT, sont capables de prendre en otages les Français pendant de très longues semaines », a surenchéri le ministre de l’action et des comptes publics, Gérard Darmanin, sur RTL.
La nervosité au sein du gouvernement est d’autant plus manifeste qu’il n’est plus aussi assuré de gagner la bataille de l’opinion publique. En focalisant la réforme de la SNCF sur le seul statut des cheminots, l’exécutif pensait s’ouvrir un boulevard, obtenir d’emblée le soutien des Français. La dream team Macron a beau continuer à tweeter sur les « privilèges » insupportables des cheminots, l’argument peine à convaincre, y compris au sein de la majorité, semble-t-il.
« Il va quand même falloir nous expliquer en quoi cette réforme de la SNCF va permettre aux trains d’arriver à l’heure. Car pour l’instant, la démonstration n’est pas faite », se serait énervé Richard Ferrand, figure historique du macronisme, lors d’une réunion de la majorité, selon des propos rapportés par Le Canard enchaîné.
De fait, le bien-fondé de cette réforme peine à trouver écho auprès de l’opinion publique. Au fil des semaines et des explications syndicales, le pays découvre l’état réel de la SNCF, trop longtemps passé sous silence : son endettement massif, le coût de la politique du tout TGV, le sous-investissement massif depuis des années dans le réseau ferroviaire provoquant des retards de plus en plus fréquents et la fermeture des lignes, la décrépitude du fret ferroviaire, l’organisation rigidifiée de l’entreprise publique, le renoncement à tout aménagement du territoire. Autant de sujets qui sont au centre des préoccupations quotidiennes des Français mais qui semblent totalement passés sous silence dans les projets de réforme avancés par le gouvernement.