Les BRICS forgent un nouvel ordre mondial multipolaire
Article du 8 novembre 2023 publié sur le site ELUCID
Avec l’élargissement annoncé lors de leur dernier sommet, les BRICS deviennent les BRICS+ et s’imposent comme tête de pont du monde multipolaire.
Les BRICS (Brésil, Russie, Inde, Chine, Afrique du Sud) ont annoncé l’intégration de nouveaux membres à l’occasion de leur 15e sommet, fin août à Johannesburg. Vingt-sept pays ont déposé une candidature et six d’entre eux ont été invités à rejoindre le bloc au 1er janvier 2024 : l’Arabie Saoudite, les Émirats arabes unis (EAU), l’Égypte, l’Argentine et l’Iran. Par choix, le groupe de pays n’a pas explicité les critères qui ont présidé à l’élargissement. On peut donc penser que ces choix ont été faits au cas par cas, ce qui mérite une revue de détail des raisons politiques et économiques qui ont motivé cette sélection stratégique.
Un acteur d’envergure globale
Cet élargissement ne modifie pas le rapport de force interne aux BRICS – qui restent largement dominés par la Chine – mais élève le bloc à un nouveau rang mondial, puisqu’il représente à présent 29 % du PIB, 46 % de la population du globe, 43 % de la production de pétrole, 25 % des exportations de biens mondiaux.
Ces nouvelles dispositions confèrent aux BRICS+ une mainmise significative sur le marché pétrolier ; des positions stratégiques sur les routes commerciales (détroit d’Ormuz, canal de Suez, golfe Persique) ; des opportunités pour une action diplomatique sur les conflits contemporains ; la volonté de réduire leur dépendance au dollar, commune à tous les membres anciens et nouveaux, fera l’objet d’une action commune plus large ; et le bloc verra son influence renforcée dans les cercles de discussion diplomatique globaux comme le G20 et l’Union africaine.
En maniant intelligemment tous ces atouts supplémentaires, les BRICS+ disposent d’un levier d’influence considérable pour forger l’ordre mondial multipolaire et dépasser définitivement le monde unipolaire dominé par les États-Unis, hérité de la fin de la Guerre froide.
Arabie Saoudite et EAU : rupture consommée avec l’Occident
L’intégration de l’Arabie Saoudite et des Émirats Arabes Unis représente bien entendu un atout majeur en termes de ressources fossiles, particulièrement du pétrole, mais aussi du gaz. La Russie et l’Arabie Saoudite sont respectivement les deuxième et troisième principaux producteurs de pétrole du monde (derrière les États-Unis). Dans le classement des plus grands consommateurs de pétrole, on trouve là aussi à la première place les États-Unis, suivis de la Chine, de l’Inde, de l’Arabie Saoudite et de la Russie, ces derniers étant tous à présent membres des BRICS+. Cette alliance des premiers producteurs et acheteurs leur confère un contrôle du marché pétrolier sans commune mesure dans le monde.
Concernant l’Arabie Saoudite, l’intégration aux BRICS+ démontre que la rupture avec les États-Unis est irrémédiablement consommée. L’alliance historique (depuis le Pacte du Quincy en 1945) qui avait donné naissance au pétrodollar, a clairement était remise en question par Riyad depuis plusieurs années, mais pas de manière aussi officielle.
Cette nouvelle alliance jouera un rôle clé dans l’approvisionnement du bloc en ressource énergétique, mais aussi dans le challenge posé par les BRICS+ à la domination du dollar sur le système monétaire mondial, qui doit beaucoup au pétrodollar.
Iran : le paria réintégré
L’Iran présente des atouts similaires à Riyad et Abou Dabi sur le plan des ressources. Sur le plan politique et diplomatique, le symbole est très différent en revanche. Sa rivalité avec les États-Unis lui a valu des sanctions internationales et des difficultés à nouer des liens économiques et politiques avec le reste du monde. Son intégration à un bloc, que même le monde occidental n’a pas le luxe de considérer comme infréquentable, démontre également que l’ordre occidental ne parvient plus à imposer ses préférences politiques et économiques aux autres pays du globe.
Cette recomposition de la scène internationale et de ses circuits commerciaux a été incarnée immédiatement après le sommet, par l’inauguration d’une nouvelle ligne de fret reliant la Russie à l’Arabie Saoudite, via l’Iran.
Argentine : acteur stratégique de la transition énergétique
L’Argentine jouera également un rôle essentiel dans les dossiers de la dépendance au dollar et des ressources énergétiques, bien que son intégration aux BRICS+ soit caution du résultat de l’élection présidentielle, dont le second tour se tiendra le 19 novembre. Concernant les ressources, c’est dans la transition énergétique que le pays est un acteur stratégique, puisqu’il possède les deuxièmes plus grandes réserves de lithium du monde.
Sur le plan de la dépendance au dollar et aux États-Unis plus généralement, l’Amérique du Sud a longtemps été considérée comme le backyard des États-Unis. Le gouvernement sortant a affiché à plusieurs reprises sa volonté de diversifier ses dépendances et de se tourner à la fois vers la Chine et vers ses partenaires du continent, à commencer par le Brésil (nous y avions déjà consacré un article). Son intégration éventuelle au BRICS+ ne pourra qu’accentuer cette tendance à l’œuvre.
Les drapeaux des BRICS - Dilok Klaisatapron - @Shutterstock
Éthiopie et Égypte : géostratégie et diplomatie en Afrique
Les candidatures de l’Égypte et de l’Éthiopie démontrent que l’aspect stratégique et diplomatique a été pris en compte au même titre que les enjeux économiques et commerciaux. L’Éthiopie est le deuxième pays le plus peuplé d’Afrique, derrière le Nigeria ; il abrite le siège de l’Union africaine dont les ambitions diplomatiques sont croissantes. Il représente une position stratégique particulière sur le continent : voisin de Djibouti, pays qui accueille le plus grand nombre de bases étrangères au monde du fait de son accès direct au détroit de Bab el-Mandeb, et de l’Érythrée, avec lequel l’Éthiopie est un des rares pays à entretenir une relation politique.
L’Égypte aussi présente des atouts géographiques stratégiques, avec notamment le canal de Suez et le contrôle de la plus grande partie du Nil. Le pays occupe une position unique dans le conflit israélo-palestinien, comme les événements récents l’ont une nouvelle fois démontré.
Mais le point central réside dans le fait que ces deux pays entretiennent un conflit qui s’étale depuis plusieurs années, suite à la construction par l’Éthiopie d’un barrage en amont du Nil menaçant les ressources en eau de l’Égypte et du Soudan. Bien qu’elles n’aient pas encore abouti, les négociations tripartites, interrompues depuis 2021, ont repris quelques jours après le sommet de Johannesburg.
Les BRICS+ constitueront dès 2024 un bloc renouvelé, reflet du monde multipolaire, dotés d’atouts stratégiques (approvisionnement en ressources énergétiques, sécurisation de route commerciale, positions diplomatiques) sans pareils, et de plus en plus à même de tenir tête à l’hégémonie américaine. Pendant la seconde moitié du XXe siècle, beaucoup ont vu en la construction européenne une innovation institutionnelle d’avenir. Les BRICS ont opté pour une structure beaucoup plus agile, ne liant par leurs destinées au sein d’institutions gravées dans le marbre de traités. L’enjeu principal sera de préserver l’attractivité dont les BRICS ont bénéficié jusqu’à aujourd’hui, et de démontrer que ce groupe de pays peut rester aussi efficace et productif en procédant à un (voire plusieurs) élargissements.
Photo d'ouverture : Le président chinois Xi Jinping (C) s'exprime lors du dialogue de la table ronde des dirigeants Chine-Afrique le dernier jour du Sommet 2023 des BRICS à Johannesburg, le 24 août 2023 - Alet Pretorius- @AFP
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