Les accords Matignon "pour de vrai" !
Article rédigé par Brigitte Bouzonnie à partir de l'ouvrage rédigé par Jacques Kergoat : "La France du front populaire", édition La Découverte", 1986 + Article de Histoire d'apprendre
1°)- Brigitte Bouzonnie : Les accords Matignon occupent une place importante dans le débat politique. Mais en réalité bien peu de responsables de “gôche” ne connaissent le sujet de façon raisonnée, argumentée : tant le mythe a pris la place de la réalité. Tant il est important dans le système capitalo-parlementaire qui est le notre, de faire croire au bon Peuple qu’il existe de vrais responsables de gauche honnêtes, tenant leurs promesses quand ils sont au pouvoir. Même si la réalité est beaucoup plus terne, contrainte, que l’image idyllique trônant en bonne place dans le coeur et la tête de tout électeur de gauche.
Pour rédiger cet article, nous nous appuyons sur l'ouvrage écrit par Jacques Kergoat : "La France du front populaire", édition La Découverte", 1986. L’accord Matignon ne fait l’objet que d’un court chapitre dans un livre de 412 pages.
Au départ, ce sont des préparatifs de grève dans les transports de la Région Parisienne, qui inquiètent Blum et les patrons. Le patronat estime qu’il appartient au Gouvernement socialiste de “prendre ses responsabilités” (sic). le 5 juin 1936, Lambert-Ribot, dirigeant du Comité des forges et de la CGPF, demande à Blum d’organiser une rencontre avec la CGT. Consultée, la CGT est d’accord. Et les délégations se rencontrent le 7 juin. Pour la CGT, on compte notamment Jouhaux, Belin, Frachon, Semat, secrétaire de la fédération des métaux. Le patronat est représenté par Duchemin (président de la CGPF), Richemont (Président de l’UIMM), Lambert-Ribot (comité des forges).
Sur le principe de l’accord sur les conventions collectives, l’accord se fait rapidement. Cet accord ne va pas de soi, lorsqu’on sait combien la patronat renâclait depuis le rapport Laroque de 1934, proposant des conventions collectives, à toute idée de négociation avec les syndicats de salariés. L’accord est rapide aussi pour la reconnaissance de “délégués ouvriers”, ancien nom pour désigner les délégués du personnel.
Reste la question des salaires, que les syndicaliste abordent, fiche de paye à la main. Les patrons font semblant d’être surpris de la modestie des sommes figurant dessus. Ils demandent d’examiner les conséquences sur l’économie (catastrophiques), que ne manqueraient pas d’avoir des augmentations généralisées. Léon Blum répond avec un raisonnement keynésien impeccable : “les augmentations auront un effet bénéfique sur la consommation, et donc sur la relance des entreprises” (sic). Ce problème évacué, la discussion bute sur l’augmentation des salaires : 7 à 10% proposent les patrons. 10 à 15% répondent les syndicats.
A vingt heures, la séance est suspendue, faute d’accord. A 21 heures, les patrons de la métallurgie donnent mandat à Richemond d’accepter les propositions syndicales. A 22 heures, la CGPF adopte la même position, à l’exception des banques, des assurances et des grands magasins. A 23 heures, la séance reprend, où Chevalme, de la fédération des métaux, vient renforcer la délégation CGT. Peu avant 1 heure du matin, la séance est close. Les représentants patronaux acceptent une formule de compromis, qui prévoit des augmentions de salaires de 7 à 15%. Le total des augmentations ne doit pas dépasser 12% par établissement. Et un paragraphe spécial prévoit le réajustement de salaires anormalement bas. “Ils ont cédé sur tout”, lâche Frachon en sortant de l’hôtel Matignon.
On le voit : il s’agit d’une négociation salariale somme toute très classique : avec ses désaccords, ses suspensions de séance, ses formules de compromis in fine. Rien ne justifiait l’avenir exceptionnel, dont bénéficient les accords Matignon dans les livres d’histoire. La vérité est que aujourd’hui, les augmentations salariales pour tous sont devenues tellement rares, prime au mérite oblige, que les observateurs des années 2022 portent au pinacle un accord de rattrapage salarial, comme il devrait en exister pour tous les salariés, dont le salaire stagne aujourd’hui depuis les années 80 : +0,77% contre +2,25% entre 1959 et 1979. Et comme le propose le programme du Rassemblement “Pouvoir au Peuple”.
2°)- Histoire d’apprendre : une vision plus classique des accords Matignon :
8 juin 1936 : signature des accords de Matignon, qui fut l'un des événements les plus importants dans l'histoire de la gauche française de par ses nombreuses avancées sociales dans le cadre du Front populaire (1936-1938). Le développement du monde ouvrier en France au XIXe siècle, central dans le cadre de la Révolution industrielle, s'accompagna de nombreuses revendications destinées à améliorer leurs conditions de travail et donc leurs conditions de vie. Le pays était alors garant d'un libéralisme économique, si chère aux élites aristocratiques puis bourgeoises, qui plaçaient le profit avant les travailleurs qui étaient soumis aux propres règles de leurs patrons en l'absence de code du travail.
Cette époque se caractérise néanmoins par un paradoxe entre paupérisation des classes travailleuses - majoritaires - et avancées sociales, certes timides, accordant plus de droits aux travailleurs. On peut notamment citer la création de délégués mineurs en 1890 ou encore la création d'une retraite ouvrière et paysanne obligatoire en 1910, bien que cette dernière ne s'appliquait qu'à partir d'un certain âge - soixante-cinq ans - que peu atteignait. Le temps de travail fut également reformé avec l'instauration de la journée de 10 heures à partir de 1900 mais aussi avec la loi de 1919 qui instaura la journée de 8 heures et la semaine de quarante-huit heures. Les congés payés existaient quant à eux depuis 1853 sous une forme primitive, alors que des premiers codes du travail existaient depuis 1910. Ces mesures représentaient certes une avancée pour les travailleurs, mais elles restaient trop modérées pour une partie d'entre eux qui poursuivaient donc leurs revendications via divers moyens comme le syndicalisme et les manifestations.
Ces revendications sociales étaient alors principalement défendues par les mouvements de gauche (anarchistes, socialistes, communistes) et parfois de droite avec les partisans du catholicisme social. Cet espoir du monde ouvrier se concrétisa finalement en 1936 lorsque la gauche, unie au sein du Front populaire (SFIO, PCF, Parti radical) remporta les élections législatives et arriva au pouvoir. C'est ainsi qu'un gouvernement de coalition fut constitué le 4 juin 1936 par Léon Blum (1872-1950) et incluait des socialistes, des républicains socialistes et des radicaux tout en étant soutenu par les communistes.
Cette victoire provoqua aussitôt un grand mouvement de grève - pacifiste mais massif - pour appuyer les mesures sociales promises par le Front populaire, mais aussi de grandes manifestations et d'occupations d'usines. Blum demandait en parallèle que soient rapidement votées les principales mesures de son programme et c'est dans ce contexte que le patronat, pourtant opposé au Front populaire, entama des négociations avec le président du Conseil. Celles-ci aboutirent rapidement à une réunion entre plusieurs membres du gouvernement, des représentants du patronat (CGPF) et des représentants des travailleurs (CGT) qui se tint le 7 juin 1936. C'est finalement peu après minuit que furent signés les accords que l'on connaît aujourd'hui sous le nom d'accords de Matignon, du nom de l'hôtel particulier où se résidaient les présidents du Conseil.
Les accords de Matignon constituent une étape importante dans l'amélioration des droits des travailleurs en créant des délégués du personnel, en créant les contrats collectifs - ancêtre des conventions collectives - ou encore en augmentation les salaires de 15 à 17 % selon le niveau de ceux-ci. Ils donnèrent également aux travailleurs le droit de se syndiquer sans subir des discriminations de la part de l'employeur tandis qu'aucune sanction pour fait de grève ne peut être prise. Ces accords représentent une avancée majeure pour les droits des travailleurs en France, même si leur application rencontra l'opposition du patronat et notamment lorsque le Front populaire commença à s'affaiblir. Le droit du travail en France fut néanmoins continuellement agrémenté jusqu'à nos jours et se situe dans la lignée des efforts entrepris depuis le XIXe siècle pour améliorer les conditions de vie des travailleurs, mais ce droit reste fragile et est même grandement menacé - voire déjà abîmé - par les dirigeants politiques actuellement au pouvoir et tenant d'un ultralibéralisme jurant plus sur le travail que sur le respect des travailleurs.
N'oubliez pas les élections de ce dimanche
En images : Une du quotidien « Le Peuple » qui était alors l'un des journaux de la CGT, et qui existe d'ailleurs toujours aujourd'hui sous une forme bimensuelle.