Le rôle de James Angleton dans l’assassinat de John Kennedy
Interview de Ron Unz, seconde partie, posté le 27 mars sur le site Réseau international
Question 4 : Qu’en est-il de l’agent de la CIA James Angleton ?
Mike Whitney : Que pouvez-vous nous dire sur l’agent de la CIA James Jesus Angleton et ses liens avec les services de renseignement israéliens ? Angleton a-t-il saboté la politique de JFK qui visait à empêcher Israël de se doter de l’arme nucléaire ou les faits sont-ils encore flous ?
«Angleton a été l’un des principaux architectes de la relation stratégique de l’Amérique avec Israël, qui perdure et domine la région à ce jour», écrit Jefferson Morley dans The Ghost : The Secret Life of CIA Spymaster James Jesus Angleton. Plus que tout autre homme, le chef de longue date du contre-espionnage américain a permis à Israël de passer «d’un État colonial en difficulté à un allié stratégique de la plus grande superpuissance du monde».
Ron Unz : Angleton a passé des décennies à la tête du contre-espionnage de la CIA, se classant parmi les personnalités les plus puissantes de cette organisation, tout en assurant la liaison exclusive avec le Mossad israélien. Comme le documente Robert A. Piper dans son livre, les liens d’Angleton avec le Mossad étaient si forts qu’il a parfois été considéré comme un agent du Mossad. Après sa retraite forcée en 1975, le gouvernement israélien a pris la décision de lui décerner une distinction exceptionnelle jamais accordée à aucun autre agent du renseignement américain. Selon Seymour Hersh et d’autres auteurs très estimés dans le domaine du renseignement, Angleton a secrètement fourni aux Israéliens des informations techniques sur le nucléaire à la fin des années 1950 et dans les années 1960.
Évidemment, étant donné sa position dans le contre-espionnage, il était chargé de déjouer l’infiltration de la CIA par les services de renseignement étrangers. Ainsi, si sa propre loyauté avait basculé du côté d’Israël, il aurait été à l’abri de toute enquête.
C’est précisément pour ces raisons que l’ouvrage phare de Piper, publié en 1994, désignait Angleton comme étant probablement le principal responsable de la CIA impliqué dans le complot visant à assassiner JFK.
D’autre part, pour des raisons totalement différentes, le professeur John Newman est parvenu exactement à la même conclusion dans son propre ouvrage sur l’assassinat de JFK. Fin 2022, Tucker Carlson a présenté dans son émission phare des éléments indiquant que des membres de la CIA ont été fortement impliqués dans l’assassinat de JFK, incitant Robert F. Kennedy Jr. à qualifier le reportage de «journal télévisé le plus courageux en 60 ans».
Cet événement m’a incité à écrire un article décrivant l’analyse très importante de Newman :
Par le plus pur des hasards, l’émission de Carlson a été diffusée quelques jours seulement après ma lecture d’un livre essentiel sur l’assassinat de JFK, porté à mon attention l’année dernière. Publié à l’origine il y a près de trente ans, cet ouvrage a fourni des informations cruciales quant à la manière dont la dissimulation politique du complot a été organisée, dissimulation ayant perduré pendant près de six décennies. L’homme le plus puissant du monde a été tué au plus fort du succès et de la prospérité de l’Amérique d’après-guerre, et pourtant, presque toutes les élites politiques américaines ont réussi à étouffer la vérité sur les événements.
John Newman a passé vingt ans dans les services du renseignement militaire avant de devenir professeur d’histoire à l’université du Maryland. Depuis, il a mis à profit les compétences techniques acquises au cours de ses nombreuses années de service au sein du gouvernement pour analyser les détails les plus infimes des dossiers gouvernementaux déclassifiés et utiliser ces données pour produire une série d’ouvrages sur la face cachée des politiques gouvernementales américaines durant les années 1960, notamment notre implication croissante au Vietnam et surtout les circonstances troubles de l’assassinat de JFK. Oswald and the CIA est paru pour la première fois en 1993, mais l’édition de 2008 comprenait un nouvel épilogue résumant certaines de ses découvertes les plus importantes.
C’est un livre volumineux, de plus de 650 pages avec des notes et des annexes, et son analyse exhaustive et détaillée des dossiers du renseignement rendus publics et de leur interprétation est parfois d’un ennui mortel, mais ses conclusions générales tombent sous le sens. La profusion de documents internes de la CIA concernant Oswald et ses déplacements semble totalement incompatible avec tout complot interne à l’Agence pour tuer Kennedy, mais cadrerait très bien avec l’hypothèse d’une «faction dissidente» de la CIA ayant joué un rôle central dans l’affaire.
Newman a soutenu qu’Oswald était bien le «bouc émissaire» annoncé, mais il a surtout établi une distinction très nette entre le petit groupe de conspirateurs qui avait effectivement organisé l’assassinat de JFK lui-même et le groupe bien plus important qui a ensuite dissimulé les faits, les motivations de nombre de ces derniers étant totalement différentes. Dans son épilogue, il expose de manière probante que les conspirateurs ont créé et fait circuler une fausse piste du renseignement suggérant qu’Oswald était peut-être un agent soviétique, puis ont utilisé cette fausse information pour amener nos dirigeants gouvernementaux effrayés à devenir leurs complices involontaires après les faits, les contraignant à supprimer toute preuve d’une conspiration à Dallas.
Les conclusions cruciales de Newman méritent d’être citées en détail :
Il est désormais établi que la plupart des dirigeants et des responsables américains impliqués dans la dissimulation de l’affaire par la Sécurité nationale n’avaient rien à voir avec le complot ourdi en amont de l’assassinat du président. Beaucoup d’entre eux, y compris des législateurs de premier plan et le président de la Cour suprême, Earl Warren, étaient préoccupés par la menace d’un échange nucléaire avec l’Union soviétique. Au sein de l’exécutif, beaucoup d’autres cherchaient à protéger leur poste et leur institution. Leurs agissements collectifs n’étaient toutefois pas le fruit du hasard, mais plutôt l’échec forcé d’un plan ingénieux.
Le plan était conçu pour forcer Washington à enterrer une histoire explosive au sujet d’Oswald afin que l’Amérique survive. Le plan a fonctionné. Peu importe la maladresse des tireurs à Dallas, peu importe les ratés de l’autopsie et de la manipulation des preuves, tout cela serait éclipsé par la menace d’une Troisième Guerre mondiale et de 40 millions de morts américains. Dès le début, le complot reposait sur l’hypothèse que, face à cette horrible éventualité, tout le monde se soumettrait. L’hypothèse s’est avérée correcte.
… L’objectif de la visite d’Oswald à Mexico allait plus loin. Il y avait été envoyé pour obtenir des visas auprès du consulat cubain et de l’ambassade soviétique… L’objectif était simplement d’établir un contact entre Oswald et l’homme qui délivrait les visas soviétiques à Mexico : Valery Kostikov. L’intérêt de ce contact s’expliquait par ce que seule une poignée d’agents du contre-espionnage à Washington savait : Kostikov était un agent clé des assassinats du KGB en Amérique… En mentionnant les noms d’Oswald et de Kostikov, celui qui dirigeait l’opération entendait faire figurer dans les dossiers de la CIA des preuves qui, le 22 novembre, permettraient d’établir un lien entre les assassinats du KGB et celui du président Kennedy. Ces activités ont permis au président Johnson de déclarer au sénateur Russell, le 29 novembre, que les enquêteurs «peuvent témoigner que Khrouchtchev et Castro sont responsables». Johnson a alors insisté sur la nécessité d’empêcher «que cela ne nous entraîne dans une guerre qui pourrait tuer quarante millions d’Américains en une heure».
Ainsi, selon la reconstitution convaincante de Newman, la plupart des puissants responsables américains qui ont joué un rôle si déterminant dans la dissimulation du complot ont peut-être agi avec les meilleures intentions, cherchant à protéger notre pays du risque d’une guerre de représailles dévastatrice avec les Soviétiques. Et il est évident que ces préoccupations ont été délibérément alimentées par ceux d’entre eux ayant été impliqués dans le complot et créé la fausse piste des preuves reliant Oswald aux tentatives d’assassinat du KGB.
L’auteur a donc soutenu que ces fausses pistes constituaient un élément absolument crucial du complot d’assassinat, et après un examen très attentif des dossiers du renseignement, il a conclu que le chef du contre-espionnage de la CIA, James Angleton, était probablement le coupable, le désignant ainsi comme l’un des principaux conspirateurs. Cette conclusion s’accorde parfaitement avec les arguments diamétralement opposés avancés par feu Michael Collins Piper dans son ouvrage phare de 1994, Final Judgment, qui affirmait également qu’Angleton était un personnage central dans l’assassinat.
«American Pravda : The JFK Assassination and the Covid Cover-Up, Manipulating the JFK Assassination Cover-Up», Ron Unz, The Unz Review, 19 décembre 2022
Un hommage à l’espion américain qui a doté Israël de l’arme nucléaire ?
Question 5 : Pourquoi les grands médias ignorent-ils cette histoire ?
Mike Whitney : Alors qu’internet regorge de théories liant l’assassinat de Kennedy à Israël, je n’ai pas réussi à trouver une seule agence de presse grand public qui ait même fait allusion à cette histoire. Pouvez-vous m’expliquer cette omission déconcertante ?
Ron Unz : Le silence total des médias grand public sur cette question très controversée n’est guère surprenant vu le niveau de protection extrêmement élevé toujours accordé à Israël sur tous les sujets.
Pour exemple, l’attaque israélienne non provoquée de 1967 contre l’U.S.S. Liberty dans les eaux internationales a tué ou blessé plus de 200 militaires américains, mais bien que tous les faits aient été minutieusement documentés pendant des décennies, les médias ont pratiquement totalement dissimulé cette histoire au public américain.
«American Pravda : L’attaque du USS Liberty», Ron Unz, The Unz Review, 18 octobre 2021
De même, les preuves accablantes du rôle central joué par Israël dans l’assassinat du président John F. Kennedy en 1963 ont été présentées pour la première fois par Michael Collins Piper il y a plus de trente ans. Son livre est devenu un best-seller clandestin, avec 40 000 exemplaires imprimés, mais l’hypothèse de Piper était si explosive que presque aucun membre de la communauté soi-disant intrépide des spécialistes dissidents des théories du complot sur JFK n’a même reconnu son existence, et encore moins laissé entendre qu’elle pourrait être fondée.
Jusqu’à présent, je n’ai pas connaissance de véritables révélations contenues dans les plus de 63 000 pages de documents gouvernementaux publiés la semaine dernière, bien que certaines d’entre elles semblent corroborer les affirmations de Piper et d’autres chercheurs sur le complot JFK au fil des décennies. L’article de 9000 mots du New York Times s’intitule «New Trove of Kennedy Files Offers Few Revelations So Far» [«La découverte des nouveaux dossiers sur Kennedy n’offre que peu de révélations jusqu’à présent»], et c’est probablement exact.
Mais une fois que de nombreux chercheurs expérimentés auront commencé à rassembler et à analyser tous ces éléments de preuve isolés et parcellaires et à relier les points, des conclusions majeures pourraient commencer à émerger.
Cependant, je pense que l’impact le plus immédiat de la publication de ces documents sera dû à un autre facteur.
La plupart des faits essentiels de l’assassinat, l’identité probable de certains des conspirateurs les plus importants et leurs principaux motifs sont probablement connus depuis des années, voire des décennies, par les adeptes de la théorie du complot et d’autres personnes réellement intéressées par cette affaire.
Mais la publication soudaine de tous ces documents pourrait focaliser à nouveau l’attention du public sur l’affaire. Cela encouragera peut-être de nombreuses personnalités publiques ayant longtemps gardé le silence à se manifester enfin et à admettre qu’un complot a été organisé, et que la bataille autour du programme de développement d’armes nucléaires d’Israël a probablement causé l’assassinat de notre 35ème président.
Ainsi, Roger Stone, consultant politique de longue date et conseiller de Trump, a totalement exclu toute référence à Israël dans son livre sur l’assassinat de JFK publié il y a plus de dix ans. Mais la semaine dernière, il a fait allusion au conflit autour du programme d’armement nucléaire israélien et l’a tweeté à ses plus de 800 000 abonnés, le tweet ayant été vu 1,3 million de fois :
Avec ces retombées d’informations se propageant sur les réseaux sociaux et le reste d’internet, les véritables circonstances des assassinats des Kennedy pourraient enfin être connues d’une grande partie du public américain au bout de six décennies.
Lectures connexes :
• Bibliographie
• American Pravda : The JFK Assassination, Part II – Who Did It ?
• American Pravda : The JFK Assassination, Part I – What Happened ?
• Israël a-t-il tué les Kennedy ? par Laurent Guyénot
• Final Judgment par Michael Collins Piper
• American Pravda : Les assassinats du Mossad
• American Pravda : JFK, LBJ et notre grande honte nationale
source : The Unz Review via Spirit of Free Speech