Tristement, le Peuple pris dans sa globalité est mis au rancart. Dans l'indifférence générale, notamment des soi disant "chercheurs" et "hommes politiques" !
Version n°2 : Article rédigé le 11 juin 2023 par Brigitte Bouzonnie, en réponse à la vidéo de Alain Badiou face à Laurent Bouvet à l'émission Contre-courant en 2017.
Tristement, le Peuple français, pris dans sa globalité est mis au rancart. Dans l’indifférence générale, notamment des “chercheurs” et des hommes politiques. Pendant des siècles, le Peuple a été l’enfant chéri des romanciers, intellectuels, philosophes français, hommes politiques français. Outre Karl Marx bien sûr, Victor Hugo ne dit-il pas magnifiquement ? “Il me convient d’être avec le peuple qui meure. Je vous plains d’être avec les hommes (dirigeants) qui tuent” (sic).Et Jean-Paul Sartre de renchérir : “il ne faut pas désespérer Billancourt”. Le Parti communiste français se construit autour de la seule défense des ouvriers et des employés : on se réfèrera à l’excellent ouvrage de Gérard Noiriel : “les ouvriers dans la société française”, 1986. Louis Aragon écrit en 1965 : “J'AI REVE D'UN PAYS, QUI ARRACHE LE PEUPLE AU MALHEUR OPAQUE, OU IL S'ENFONCE EN CE MOMENT”(sic) (cf Murmure, très belle nouvelle incluse dans l'ouvrage : "La mise à mort", édition Gallimard, 1965, édition de La Pléiade, pages 174 et 175).
Dans le programme du PSU (1977), il est question de travailler autrement et d’imposer la logique autogestionnaire à “tout le Peuple” (cf l’ouvrage : “L’utopie réaliste. Une autre logique pour la gauche” rédigé par Michel Mousel et la commission économique du PSU, Christian Bourgeois éditeur, 1977).
De son côté Coluche dit : J'ai vu d'assez près certains représentants des partis politiques puissants, pour savoir que de toute manière, on ne peut pas s'entendre avec ces gens-là, parce qu'ils n'ont pas du tout le même but que les français, si je puis dire. Ils veulent gagner les élections, mais moi j'aimerais que ce soient les français qui gagnent les élections"(sic). Là encore, Coluche défend tout le Peuple français dans sa globalité, sans le compartimenter, comme d’aucun s’y emploieront ensuite grossièrement, opposant de manière fallacieuse les salariés français aux salariés immigrés.
Que nous disent en substance Victor Hugo, Louis Aragon, Jean-Paul Sartre… ? Le Peuple français dans son entier souffre. Il faut le sortir de sa souffrance. L’émanciper de sa dure exploitation déployée par le capitalisme. En faire un acteur, un “sujet” de premier plan de l’Histoire de France. Et les lecteurs de Hugo, Aragon, Sartre…, trouvent “normal”, “allant de soi”, ce choix en faveur du Peuple pris dans sa globalité. Ce soutien inconditionnel à la classe ouvrière, vue comme une réalité globale.
De plus, on voit qu’il n’y a pas besoin d’être marxiste pour mobiliser tout son talent littéraire, philosophique, politique, afin de défendre le Peuple français de toutes ses forces. Les intellectuels non communistes comme un Victor Hugo défendent avec brio le Peuple français dans son ensemble.
Comment a-t-on pu en arriver à abandonner lâchement sur le bord de la route le Peuple français pris dans sa globalité, vu comme un tout monolithique, jusque là enfant chéri, le “préféré” des intellectuels et des hommes politiques de notre pays ? Comment a-t-on pu faire tomber dans l’amnésie collective quasiment du jour au lendemain toute une tradition de très belle défense humaniste de tout le Peuple français, qui structurait jusque là les discours des intellectuels français ?
Telle est bien la vraie question qui nous occupe dans le présent article.
Tout est arrivé avec le tournant des années quatre-vingt, qui voient une véritable “contre révolution”. Le mot de “contre-révolution” est de Alain Badiou, et il est malheureusement très juste. En effet, dans les années quatre-vingt avec le félon mitterrand, on assiste à l’ouverture des frontières et aux délocalisations massives de notre secteur industriel. Résultat : le Peuple français est paupérisé de façon importante, comme le montre l’explosion du chômage de masse passé de 1 million de chômeurs en 1980, 2 millions en 1988. 2,5 millions en 1995, à la fin des deux septennats mitterrand. 3 millions en 1997 sous Jospin. 6,5 millions aujourd’hui selon les chiffres de la DARES. Dans l’indifférence générale, notamment des pseudos “intellectuels” de gôche. Le Peuple français bascule dans la grande pauvreté : 15 millions de français vivant en-dessous du seuil de pauvreté, selon mes calculs. Il connait aussi un triste tassement de la hausse des salaires. Entre 1959 et 1979, le salaire augmente de +2,25%. Entre 1980 et 2018, il augmente en moyenne de moins de 1% par an. Dans le partage de la valeur ajoutée, le facteur travail perd dix points par rapport au Capital. Toujours dans la plus totale indifférence.
Mais ce n’est pas tout. Comme dit si bien l’adage : “tombé très bas, on peut toujours tomber plus bas”. A partir des années 80, le Peuple français est “invisibilisé”, comme écrit en 1988 avec lucidité George Peyrol, journaliste du parti politique l’Union des communistes de France marxiste léniniste animé par Alain Badiou, cité par ce dernier dans son ouvrage : “Mémoires d’outre-politique”, édition Flammarion, 2023. Le Peuple français disparait des télévisions, des journaux, et de façon générale du débat public. Que l’on me permette de raconter deux anecdotes personnels. En 1988, j’ai rédigé deux articles pour la Revue française des affaires sociales sur les effectifs syndicaux et le nombre de journées individuelles non travaillées pour fait de grève depuis 1913. Et sur l’audience syndicale, ayant retrouvé des archives sur les résultats des élections aux comités d’entreprise au cours des années cinquante, où on voyait la CGT décliner dès cette époque, chaque année. Donc je voulais faire mon DEA de sciences politiques sur le syndicalisme. Mon directeur de thèse s’y opposa catégoriquement m’expliquant que “le syndicalisme était un vieux cheval fatigué”(sic). Fin de la première histoire. En 2009, je rédige l’équivalent de Guerre et paix en articles dénonçant le chômage de masse, qui s’abattait alors sur notre pays, suite à la crise des subprimes : par exemple, +90 250 nouveaux demandeurs d’emploi en janvier 2009. +82 540 au mois de février 2009 : articles que j’envoie au journal du Parti de gauche, bien mal appelé : A Gauche. François Delapierre en personne s‘oppose formellement à la publication de mes articles. Je rédige aussi un livre intitulé l’emploi, l’emploi, l’emploi, refusé par toutes les maisons d’édition parisienne, notamment Les éditions La Découverte. L’année suivante, Monique Pincon-Charlot publie un livre soi disant sur “la violence des riches” faite aux pauvres : ramassis de vieilles idées 68 ardes. A aucun moment, son livre ne parle du chômage et de la pauvreté en France dans sa globalité, comme j’essaie modestement de le faire en disant par exemple qu’il y a 15 millions de pauvres vivant en dessous du seuil de pauvreté. Voilà pourquoi je vais sur Facebook au mois de juin 2009 poster mes articles sur le chômage et la pauvreté.
Je peux donc témoigner de l’extrême prolophobie (haine du populaire), l’extrême détestation du Peuple français de ces soi disant “élites” de gôche. Et il n’y a pas un seul cheveu d’exagération dans mon propos.
Une détestation qui ne va pas de soi, au regard de la longue tradition d’empathie et de défense vigoureuse du Peuple français par nos plus grands intellectuels : Rousseau, Hugo, Aragon, Sartre, Jules Vallès, Henri Barbusse, Paul Nizan et son célèbre : “il n’y a que deux partis à prendre : celui des oppresseurs ou celui des opprimés” (cf son ouvrage : Les chiens de garde, 1934).
Pourquoi ce rejet féroce des classes populaires ? Emmanuel Todd et Alain Accardo, sociologue proche de Pierre Bourdieu, développent une analyse lutte des classes du problème. E. Todd pointe l’abandon du bloc historique “le peuple de gauche” des années soixante-dix, formé des classes populaires alliés à la classe moyenne + intellectuels de gauche. A la place se forme une nouvelle alliance formée par les classes moyennes + l’oligarchie dominante, oeuvrant au seul service de l’immobilisme social. Transformant notre société en “Belle au Bois dormant” (sic), pour reprendre la formule de Todd. Dans son livre “le petit bourgeois gentilhomme. Sur les prétentions hégémoniques des classes moyennes”, édition Agone, 2009, Alain Accardo dresse la même analyse. Et pointe la “moyennisation de la société française”. En clair, les enfants d’ouvriers rêvent, via internet, de devenir des bobos. Ils ont honte d’être des fils d’ouvriers.
Donc, on arrive à la vidéo de l’émission de Contre-courant avec Aude Lancelin, Alain Badiou et Laurent Bouvet en 2017. Laurent Bouvet était (il est malheureusement décédé depuis cette émission) un professeur de sciences politiques, qui a fondé le courant et réseau d’élus du Parti Socialiste intitulé : “la gauche moderne” avec le député PS : François Kalfon (voir fiche Wikipedia postée sur la lettre politique indépendante). Bouvet rédigé un livre intitulé : “Le Peuple, la démocratie, le populisme”, 2012.
Dans ce livre, il perçoit de façon un peu naïve la dernière apparition du Peuple français, comme sa présence à la Bastille le soir du 10 mai 1981, suite à la victoire électorale de François mitterrand, qualifiée de ”grand espoir”(sic) par Laurent Bouvet.
En guise de réponse, Alain Badiou lui oppose de façon très lucide et très convaincante les grandes démonstrations populaires de 1995 contre la réforme des retraites Juppé. Et de citer le cas de la ville moyenne de Roanne, où 40% de la population est dans la rue à ce moment-là.
Sur ce point, je partage 5 sur 5 l’analyse développée par Alain Badiou, pointant l’importance du mouvement social victorieux de 1995. J’irai encore plus loin que lui. J’ai connu, politiquement parlant au Parti de gauche, l’excellent Claude Debons, l’un des deux animateurs de ce mouvement avec Bernard Thibault, pour qui j’ai une très grande admiration. En 2009, Claude Debons chapeautait une grande commission emploi, chômage et précarité du PG. Moi, j’animais une sous-commission de l’emploi et du chômage. De fait, nous faisions nos réunions ensemble. Au cours de ces réunions, il nous parlait souvent du mouvement social de 1995. Il faut savoir que Bernard Thibaut était responsable de la Fédération CGT des transports. Et Claude Debons de la FGTE, fédération générale des transports et de l’équipement de la CFDT. Mais, loin d’être un adepte d’Edmond Maire et du recentrage, Claude Debons était un “gauchiste” de la CFDT, venu de la Ligue communiste révolutionnaire en 1968 (de la JCR, je crois). En 1995, Thibaut était donc très gauchiste, sur la même ligne politique que Claude Debons. Ceci expliquant la ligne très à gauche suivie tout au long du mouvement social de 1995. Tous les deux voulaient bloquer véritablement le pays avec leurs camions, ce qui montre leur extrême détermination.
Autre souvenir de Claude Debons : c’est lui qui rédigé le programme d’urgence du parti de gauche présenté au congres de Limeil-Bévannes de décembre 2008, avec notamment l’excellente proposition visant à donner un droit de véto aux membres du comité d’entreprise, afin de contre-carrer les ignobles plans sociaux initiés par les employeurs. La proposition de Claude Debons, si elle venait à être réalisée, serait une véritable révolution dans l’entreprise, où les salariés cesseraient d’être la triste variable d’adaptation actuelle du capital mortifère. Ce serait aussi une révolution du droit du licenciement français, où l’employeur peut aujourd’hui licencier du jour au lendemain n’import quel salarié statutaire en bloc ou en détail. Dans l’indifférence générale des “intellectuels” de gôche. Mais revenons à la proposition de Claude Debons : naturellement, je l’ai intégrée dans le programme du Rassemblement Pouvoir au Peuple, car je la juge essentielle.
Donc, je suis tout à fait d’accord avec ce bout d’interview entre Alain Badiou et Laurent Bouvet. En revanche, je ne partage pas son analyse privilégiant les seuls salariés étrangers, ce qui revient à occulter le Peuple français dans sa globalité, comme le voyait un Victor Hugo par exemple.
Voilà ce que dit Alain Badiou, à propos de la grande grève chez Chausson en 1972 : “Quand il y a eu le déclenchement de la grande grève chez Chausson, qui a duré deux mois, à Ivry, qui était entièrement le fait d’ouvriers étrangers maliens, marocains, algériens. D’un soulèvement spontané de leur part. Alors, on voyait les types de la CGT et du PCF monter à la tribune et dire :”comme nous sommes heureux de voir comment nos amis étrangers nous suivent dans nos luttes et nous aient aujourd’hui ralliés”(sic) (Alors que c’était tout le contraire ) !
Alain Badiou oppose la triste CGT des années soixante-dix, qui avait toujours trois métros de retard dans le déclenchement des grèves, à la “base” formée par les seuls salariés étrangers. Que l’on me permette de trouver son analyse juste, mais incomplète. Comme aurait dit Anne Roumanov : “elle en nous dit pas tout”. La “base” est une notion beaucoup plus complexe, qu’elle n’en a l’air à première vue. Elle dispose d’un petit encadrement de proximité formé par les délégués syndicaux.
Dans son livre magnifique Flins sans fin, édition François Maspéro, 1972, Nicolas Dubost, délégué syndical CFDT proche de l’autogestionnaire Frédo Krumnov, raconte comment c’est lui, tout ce qu’il y a de plus français, pas la seule base de salariés étrangers qui est à l’initiative de chaque grève à Flins. Et comment, il a la trouille au ventre que cette grève échoue, car il en porte seul la responsabilité. De plus, et en amont de la grève, il va voir les “chefs” des clans des salariés étrangers (maliens, marocains, algériens…), afin que les “étrangers” comme il dit rentrent d’un bloc dans la grève : ce qu’ils font d’ailleurs. Donc, le salariat français joue aussi un rôle aussi considérable que les salariés étrangers. Personne n’a oublié l’importance d’un Charles Piaget, militant du PSU, également de la CFDT tendance autogestionnaire de Frédo Krumnov, dans la grande grève des salariés de “Lip” en 1974, qui était tout ce qu’il y a de plus français.
Raison donc de parler du Peuple français dans sa “globalité”. Non pas de “compartimenter”, “trier”, “choisir” telle ou telle fraction (salariés étrangers par exemple). Et d’occulter, abandonner l’autre fraction des salariés français sur le bord du chemin, au seul “motif” qu’ils ne sont pas étrangers. Donc pas “intéressants”. Jamais Victor Hugo n’a procédé de la sorte. Il parle du Peuple dans sa globalité et il a bien raison.
Le concept de “prolétariat nomade” des fois utilisé par Alain Badiou est donc très contestable. Je ne le partage pas. Car il divise, fragilise et in fine nie le Peuple français en tant qu’acteur historique autonome. Il faut parler du Peuple français dans sa globalité comme le faisait Marx, Hugo, Sartre, Aragon, Paul Nizan, Vallès. Aujourd’hui, ce mot “Peuple dans sa globalité” (salariés français + salariés étrangers) est devenu un gros mot. Les soi disant intellectuels qui jouent le jeu de la division du Peuple font le jeu du capital, au delà de toute espérance. Et sont les meilleurs alliés de la Bourgeoisie pour parler comme Lénine.
Dans ce distinguo : intellectuels jouant sciemment le division du Peuple travaillant en France contre intellectuels restés fidèles au Peuple pris dans sa globalité (un Victor Hugo par exemple), je soutiens que le philosophe Alain Badiou a un pied dedans, un pied dehors. Un pied dans la définition du Peuple global, par exemple, lorsqu’il défend avec beaucoup de lucidité et de conviction les grévistes du mouvement social de 1995 (voir vidéo Contre-courant avec Laurent Bouvet). Et le mouvement social de 2009 contre la réforme des retraites (voir son excellent livre : “Le réveil de l’histoire”, édition Lignes, 2012). En revanche, Alain Badiou est beaucoup moins convainquant lorsqu’il ne parle que du “prolétariat nomade”.