« LE MEDIA » OUT
La naissance de la web télé « Le Media » avait suscité un grand espoir. On allait enfin voir surgir dans le paysage audiovisuel français cette télévision de gauche qu'appelait de ses vœux le journaliste devenu député François Ruffin dans « Hollande, DSK, etc... » (2012). Il y aurait désormais un media audiovisuel proposant tous les jours un autre son de cloche que le point de vue dominant (pro-capitaliste, pro-productiviste, pro-atlantiste, anti-communiste, ultra-sécuritaire...).
On imaginait que les journalistes et réalisateurs/trices mettant en valeur des points de vue rompant avec le préchi-précha néo-libéral, tout en bâtissant une critique radicale du système médiatique, allaient être sollicités par Le Media. On était persuadé que des Gilles Balbastre (réalisateur des « Nouveaux chiens de garde » et auteur de plusieurs documentaires sur la casse des services publics), Julien Brygo (« Glasgow contre Glasgow », « Profession domestique »), Nina Faure (« Dans la boite », « On revient de loin »), Les Mutins de Pangée... allaient être appelés à commenter l'actualité. Et que des snipers comme Nadir Dendoune (« Nos rêves de pauvres »), Nadja Harek (« BGirls »), Henri Maler (Acrimed) ou Pierre Souchon (ex « Fakir », « Moins une ») se verraient offrir une tribune.
En réunissant tous ces francs-tireurs de l'audiovisuel, il y avait moyen de fabriquer un JT complètement différent du JT de droite des chaînes de télévision traditionnelles.
Mais aucuns de ses réfractaires n'a été contacté par Le Média. Plutôt qu'un duo Gilles Balbastre/Nina Faure pour diriger cette web télé aspirant à incarner une alternative aux médias dominants, c'est l'attelage Sophia Chikirou/Gérard Miller, issus du vieux système des médias ou de la com' , devenus subitement critiques à l'égard de ce dernier, que l'on a vu débarquer. Et qui donc a été embauché pour diriger la rédaction ? Aude Rossigneux, formée à la télé par... Yves Calvi et Serge Moati, des apparatchiks du PAF inféodés au pouvoir économique ou politique.
Dans sa profession de foi publiée sur le site du « Média », Rossigneux se garde bien de citer le nom de ses anciens employeurs tout en affirmant, sans rire : « J’ai (…) été rédactrice en chef pour des émissions de débat et de confrontation d’idées ». Parmi les chroniqueurs de « Le Media », on trouve aussi Isabelle Alonso venue recaser son féminisme « soft » parfaitement compatible avec les chaînes du PAF.
Mais ce n'est pas tout : qui a été le premier invité du JT du Média ? Quel homme ou femme de gauche a été approchée pour parrainer les débuts de cette première télé de gauche ? Serge Halimi, le directeur du Monde Diplomatique ? Aline Pailler, la journaliste communiste proche de feu Pierre Bourdieu ? François Ruffin, le réalisateur de « Merci patron ! » ? Non, c'est une des figures emblématiques de la chaîne privée Canal +, Bruno Gaccio, proche du multi-millionnaire Pierre Lescure, qui a été l'invité du premier JT. Un cadre de Canal +, symbole de l'arrogance et la fausse impertinence de la vieille télé, pour parrainer un média prétendant se démarquer du système, il fallait y penser !
Il ne s'agit pas d'un accident ni d'une erreur de programmation. Le Media a ainsi révélé sa fonction première : redorer le blason des pseudo rebelles du PAF cherchant à se refaire une virginité, tentant par ce biais-là à ne pas être assimilées au vieux système médiatique en perte de vitesse dont ils ont été les collabos. Et contrairement à ce qui a été annoncé ici et là, l'objectif du Média n'était pas de permettre à la fine fleur du journalisme audiovisuel indépendant de proposer un son de cloche dissident, d'offrir aux spectateurs le JT alternatif tant attendu. Quel gachis.
Pierre Carles