Ce sont les russes, qui par surprise, libèrent le camp d'Auchwitz le 27 jan…vier 1945. Et non pas les alliés, pourtant parfaitement au courant, depuis de longs mois, des atrocités et de la mort de masse se déroulant chaque jour dans le camp d'Auchwitz-Birkenau-Monovitz.
Deux livres, selon moi, racontent de façon poignante la libération de l'infirmerie du camp d'Auchwitz : celui de Primo Lévy, "Si c'est un homme", édition Pocket, n 3117 et celui de Joseph Bialot, "C'est en hiver que les jours allongent", édition point Seuil, P 1335, 2002.
1)-"Si c'est un homme" de Primo Lévi :
"-18 janvier, la nuit de l'évacuation, les cuisines du camp avaient encore fonctionné. Et le lendemain matin, à l'infirmerie, on nous distribua la soupe pour la dernière fois. L'installation du chauffage central ne fonctionnait plus. Il y avait encore un reste de chaleur dans les baraques, mais à chaque heure qui passait, la température diminuait. Et il était clair que nous ne tarderions pas à souffrir du froid. Dehors, il devait faire au moins 20 degrés au dessous de zéro. La plupart des malades, quand ils avaient quelque chose sur la peau, n'avaient qu'une chemise (...).
- 25 janvier : "Nous nous répétons l'un l'autre que les russes n'allaient pas tarder à arriver. Qu'ils seraient là demain ; tout le monde le proclamait bien haut, tout le monde en était sûr, mais personne ne parvenait à se pénétrer sereinement de cette idée. Car, au lager, on perd l'habitude d'espérer, et on en vient même à douter de son propre jugement. Au lager, l'usage de la pensée est inutile, puisque les événements se déroulent le plus souvent de façon imprévisible ; il est néfaste, puisqu'il entretient en nous cette sensibilité génératrice de douleur, qu'une loi naturelle d'origine providentielle se charge d'émousser lorsque les souffrances dépassent certaines limites" (sic).
2)-C'est en hiver que les jours rallongent" de Joseph Bialot :
"Ils sont là (Les nazis sont revenus).
En tenue de combat, un cordon de soldats barre la rue. Impassibles comme toujours. Ils règnent à nouveau sur le lager frappé de stupeur. Les maîtres de la planète des morts, les robots de l'assassinat, les gérants de la plus incroyable entreprise de meurtres en gros ou en détail, les rejetons d'un pays dégénèré qui fut un modèle de culture sont de retour.
Un lent filet humain s'écoule des blocks qui composent l'hôpital. Tous les valides sortent. Et chacun a retrouvé immédiatement son statut de bête à l'affut du moindre mot, du plus petit geste, qui annonce sa mort imminente.
Un grade nous parle :
"On va vous evacuer.
Toujours le même discours lénifiant chez les SS quand il s'agit de manipuler une masse de prisonniers. Un calme étonnant, presque de la douceur. Pas un geste de violence. Pas de coups.
Un à un les malades quittent le KB.
Tous, les mousoulmanes, les chiasseux, les crevards, ceux qui s'appuient sur un copain pour marcher, les hâves, les dépenaillés, ceux qui sont en chemises et ceux qui sont vêtues, un homme nu, squelette encore vivant, yeux immenses dans un visage sans viande, côtés saillantes, fesses disparues, fémurs et tibias presque visibles entrent en scène. La cour des miracles, l'hôpital d'Auchwitz déverse ses ruines, ses blessés, ses mendiants, ses infirmes, ses désespérés. Seuls manquent ceux qui n'ont plus la force de se lever. Les veinards ! Ils mourront dans leur lit ! (...)
Nous sommes tous frappés d'un incroyable sentiment d'indifférence" (...)
Le tueur compte toujours en prenant son temps.
Bruit de moteur. Une moto surgit, freine, fait jaillir sous ses roues un paquet de neige sale, s'arrete devant le chef du detachement.
Conciliabule. Messe basse. La messe des morts sans doute. C'est inaudible. L'estafette salue, remonte sur son engin, repart. Les ordres tombent. Les SS se regroupent, s'alignent, partent. Le détachement s'éloigne.
Le long du mur, personne ne bouge." (sic).
PRIMO LEVI ECRIT :
(Aujourd'hui, anniversaire de la liberation du camp d'AUCHWITZ :
"Vous qui vivez en toute quiétude
Bien au chaud dans vos maisons,
Vous qui trouvez le soir en rentrant
La table mise et des visages amis,
Considérez si c'est un homme
Que celui qui peine dans la boue,
Qui ne connaît pas de repos,
Qui se bat pour un quignon de pain,
Qui meurt pour un oui ou pour un non.
Considérez si c'est une femme
Que celle qui a perdu son nom et ses cheveux
Et jusqu'à la force de se souvenir,
Les yeux vides et le sein froid
Comme une grenouille en hiver.
N'oubliez pas que cela fut,
Non, ne l'oubliez pas :
Gravez ces mots dans votre cœur,
Pensez-y chez vous, dans la rue,
En vous couchant, en vous levant ;
Répétez-les à vos enfants,
"Si c'est un homme" de Primo LEVI.
ET oui sont les ruses les libérateurs