LA SOCIÉTÉ DU SPECTACLE – GUY DEBORD
Présentation du livre par les équipes d'ELUCID rédigée le 17 décembre 2021
Dans La Société du Spectacle (1967), Guy Debord présente le concept de « spectacle » — un concept fondamental pour penser le capitalisme tel qu’il tend à se développer au XXe et au XXIe siècle. Plus qu’un simple système économique, celui-ci tend à créer, à travers la production d’images, de médiations, et de marchandises, un monde « séparé » du réel, bien qu’ayant tendance à se présenter comme le seul réel possible.
Dans cet ouvrage, Debord revient également sur l’importance de la classe bourgeoise dans le développement du capitalisme et de la société du spectacle, ainsi que sur le rôle historique du prolétariat en tant que force politique capable de mettre fin au « spectacle ».
Écrit par le chef de file du mouvement « situationniste », un mouvement intellectuel néomarxiste actif au moment de mai 68, l’ouvrage est un formidable manuel de théorie critique nous aidant à comprendre les évolutions récentes du capitalisme contemporain.
Biographie de l’auteur
Guy Debord (1931-1994) est un intellectuel français qui sera au cours de sa vie à la fois écrivain, théoricien, cinéaste et poète. Dès l’âge de 19 ans, en 1951, il participe au mouvement lettriste, une avant-garde intellectuelle et artistique fondée par Isidore Dou. Quelques années plus tard, il participe à la fondation de l’Internationale lettriste, un groupe aux mêmes inspirations, mais qui se veut plus proche du mouvement révolutionnaire européen.
En 1957, Debord finit par fonder l’Internationale Situationniste, un mouvement artistique. Au même moment, il travaille à la théorisation du concept de « situation », qu’on peut comprendre comme l’ensemble des situations permettant de créer des brèches, notamment artistiques, au sein du système capitaliste marchand.
Au milieu des années 1960, le mouvement situationniste, prônant une révolution politique et sociale, prend une dimension politique. Lors de mai 68, le mouvement dispose d’une grande influence au sein de la jeunesse étudiante et des différents groupes sociaux engagés dans les manifestations. L’ouvrage La société du spectacle, écrit l’année précédente, en 1967, est cité par de nombreux soixante-huitards.
Tout au long de sa vie, Debord s’intéresse aux arts, et notamment au cinéma. Il réalise d’ailleurs plusieurs moyens-métrages, dont une version filmée de La société du spectacle, reprenant la plupart des théories abordées au sein de l’ouvrage (visible sur YouTube).
Après sa mort en 1994, les idées situationnistes exercent toujours une grande influence dans le champ intellectuel de la critique marxiste, mais aussi au sein de nombreux groupes de militants politiques.
Avertissement : Ce document est une synthèse de l’ouvrage de référence susvisé, réalisé par les équipes d’Élucid ; il a vocation à retranscrire les grandes idées de cet ouvrage et n’a pas pour finalité de reproduire son contenu. Pour approfondir vos connaissances sur ce sujet, nous vous invitons à acheter l’ouvrage de référence chez votre libraire. La couverture, les images, le titre et autres informations relatives à l’ouvrage de référence susvisé restent la propriété de son éditeur.
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Plan de l’ouvrage
Chapitre I. La séparation achevée
Chapitre II. La marchandise comme spectacle
Chapitre III. Unité et division dans l’apparence
Chapitre IV. Le prolétariat comme sujet et comme représentation
Chapitre V. Temps et histoire
Chapitre VI. Le temps spectaculaire
Chapitre VII. L’aménagement du territoire
Chapitre VIII. La négation et la consommation dans la culture
Chapitre IX. L’idéologie matérialisée
Synthèse de l’ouvrage
Chapitre I. La séparation achevée
Les sociétés dans lesquelles sont mises en place les conditions de production modernes sont des sociétés de spectacle, concept entendu comme un « mouvement autonome du non -vivant », comme un ensemble d’images et d’apparences détachées de la réalité à laquelle elles sont initialement associées. Le spectacle se présente comme la société réelle alors qu’il n’en représente qu’une partie. En effet, le langage employé par le spectacle est celui de la séparation avec le réel.
Le spectacle découle des conditions de production modernes tout en étant le projet et le but de ces conditions de production.
Sous toutes ses formes, il constitue le « modèle présent de la vie socialement dominante ». Dans la mesure où le spectacle envahit la réalité, il devient lui-même une réalité objective.
Le spectacle est ainsi une immense « positivité ». Il présente tout ce qu’il produit comme des choses bonnes et positives. Il recherche la passivité et l’acceptation totale des spectateurs.
Cette domination exercée par le spectacle est liée à la domination de l’économie sur la vie sociale. Alors que la première phase de domination de l’économie se singularisait par un passage de l’être à l’avoir, la phase de domination actuelle repose quant à elle sur le passage de l’avoir au paraître. Parce que la réalité sociale n’est plus, elle est ainsi en mesure d’apparaître.
Par conséquent, le spectacle est un discours que l’ordre politique et économique en place tient sur lui-même. Il est en quelque sorte « l’autoportrait du pouvoir à l’époque de sa gestion totalitaire des conditions d’existence ». La scission du spectacle vis-à-vis de la réalité est indissociable de la scission effectuée par l’État moderne vis-à-vis de la société.
Le spectacle est lié à la séparation du travailleur vis-à-vis de son activité de production et à l’impossibilité pour celui-ci d’avoir un point de vue sur son activité et de communiquer avec les autres travailleurs. Ce système est fondé sur l’isolement des travailleurs, que symbolisent des outils comme la télévision et l’automobile.
Le spectacle entraîne une irréversible aliénation des spectateurs. Plus ceux-ci contemplent les choses du spectacle, moins ils sont capables de comprendre leur existence, leur désir, en somme, de vivre. En somme, « Le spectacle est le capital à un tel degré d’accumulation qu’il devient image. »
Chapitre II. La marchandise comme spectacle
La société capitaliste est dominée par un fétichisme de la marchandise. Les marchandises sont élevées à un niveau suprasensible alors qu’elles sont des choses sensibles. Le spectacle rend visible le monde de la marchandise, accentuant encore la séparation, l’éloignement des hommes entre eux et vis-à-vis de ce qu’ils produisent.
Le règne de la marchandise est lié à une domination du quantitatif sur le qualitatif. En définitive, il entraîne le règne de l’économie elle-même. La puissance de la marchandise et de l’économie semble favoriser la survie des sociétés, mais en réalité, elles les placent dans une situation de dépendance, de soumission, vis-à-vis de ces libérateurs que sont la marchandise et l’économie.
Actuellement, la domination de l’économie ne repose plus sur le rabaissement de l’ouvrier à un statut de prolétaire. La situation d’abondance et la nécessaire collaboration de l’ouvrier au maintien de cette abondance favorisent une reconsidération de l’ouvrier. Celui-ci revêt alors l’aspect du consommateur, à qui il faut octroyer temps libre et occupations.
Le monde de la marchandise produit un règne de la consommation. La valeur d’usage des marchandises s’est dégradée, il n’y a plus que la valeur d’échange qui importe. Cette dernière s’est totalement autonomisée.
La victoire de l’économie autonome entraîne en même temps la perte de son essence. Le développement des forces de l’économie supprime la nécessité économique et la remplace par la nécessité du développement économique. Les premiers besoins humains essentiels sont remplacés par des pseudobesoins et, finalement, au pseudobesoin du maintien du règne de l’économie.
Le règne de l’économie, de la marchandise et de la consommation séparant l’homme des autres, et de lui-même, empêche la lutte des classes, nécessaire à l’émergence d’une conscience de classe et d’une conscience de soi.
Chapitre III. Unité et division dans l’apparence.
Dans le système du spectacle, il y a des rivalités et des luttes apparemment contradictoires qui appartiennent en réalité au même système capitaliste et qui sont toutes liées à la société du spectacle.
Ces rivalités apparentes s’observent dans la constitution d’une « division des tâches spectaculaires » à l’échelle mondiale. Mais derrière les oppositions et les rivalités propres à la société du spectacle se déploie en réalité « l’unité de la misère ». Bien que refoulée par la société du spectacle, la misère est pourtant une condition essentielle de cette dernière.
Les agents du spectacle, ceux qui en sont l’expression même, les « vedettes », sont le contraire des « individus ». Renonçant à toute qualité autonome, ils obéissent au cours des choses et à ce qui est communément désiré et recherché par les spectateurs.
Le spectaculaire s’accompagne d’un contrôle bureaucratique. La « police » en tant que fonction de contrôle et de répression détenue par un pouvoir est en cela indissociable de la société du spectacle.
La marchandise ne donne plus tant satisfaction à travers sa fonction d’usage qu’à travers la reconnaissance de sa valeur en tant que marchandise. Ainsi, la marchandise en vient à se suffire à elle-même.
L’apparente unité engendrée par la société du spectacle, réunie par la marchandise, est en fait « le masque de la division de classe sur laquelle repose l’unité réelle du mode de production capitaliste ».
Chapitre IV. Le prolétariat comme sujet et comme représentation
La philosophie hégélienne est une philosophie de l’Histoire. Elle interprète l’Histoire pour déterminer les principes directeurs de son déroulement. À cette fin, la pensée d’Hegel examine ce déroulement en prenant la posture d’un observateur extérieur. A contrario, la philosophie marxienne est une « pensée pratique », c’est-à-dire, qui cherche à agir sur l’Histoire. Le projet philosophie de Marx est ainsi celui d’une « histoire consciente » dont le principal acteur est évidemment le prolétariat.
La théorie de Marx est liée à la pensée scientifique, car elle est une tentative de compréhension des rapports de force existant réellement dans la société. Cependant, cette théorie dépasse la science, car elle ne se contente pas de formuler des lois. Ces lois ou principes directeurs de l’histoire ne permettent pas seulement de comprendre les luttes de classe, mais également d’agir en fonction d’elles.
Dans sa théorie historique, Marx a eu tendance à surévaluer le caractère révolutionnaire des luttes de classe. En réalité, la seule classe révolutionnaire qui ait gagné est la bourgeoisie, aidée dans sa victoire par le développement de l’économie et l’émergence de l’État moderne en tant que « puissance centrale dans la gestion calculée du processus économique ».
Il faut reconnaître qu’il n’existe que deux classes révolutionnaires : la bourgeoisie et le prolétariat.
Cependant, alors que la révolution bourgeoise est déjà faite, la révolution prolétarienne est un projet. De fait, l’originalité et l’importance historiques de la révolution bourgeoise doivent être reconnues afin que le projet révolutionnaire prolétarien puisse avoir conscience de l’immensité de la tâche qui lui revient.
La fusion de la connaissance et de l’action doit être réalisée dans la lutte historique. Le moment révolutionnaire de la constitution du prolétariat en sujet doit se faire grâce aux « conditions pratiques de la conscience », à la « théorie pratique » qui mêle connaissance théorique et action révolutionnaire.
L’organisation du prolétariat sur le modèle bolchévique, à partir de « l’état d’arriération russe » et de l’affaiblissement du mouvement ouvrier des « pays avancés » contenait toutes les conditions menant au mouvement contre-révolutionnaire mis en place par les bolchéviques. De fait, le parti bolchévique devint le « parti des propriétaires du prolétariat », c’est-à-dire les seuls représentants de ce que pouvait et devait être le prolétariat aux yeux du monde.
En Russie, une dictature aux mains des représentants de l’idéologie bolchévique se mit ainsi en place, qui commença à vouloir éradiquer toute possibilité d’opposition politique interne.
La bureaucratie soviétique seule au pouvoir a d’abord assuré son pouvoir en faisant alliance avec la paysannerie. Elle a ensuite rompu cette alliance en terrorisant la paysannerie, dans le but de réaliser une accumulation capitaliste primitive.
De cette manière, la bureaucratie soviétique a elle-même perpétué le règne de l’économie. Elle a simplement démontré que cette domination pouvait se faire sans la classe bourgeoise, à travers une « classe de substitution » : elle-même.
La « classe idéologique totalitaire », telle que la bureaucratie bolchévique, met en place un renversement : plus elle est puissante, plus elle est capable de démontrer qu’elle n’existe pas, plus elle se rend invisible à la conscience. Cependant, cela ne l’empêche pas de se présenter comme une force à la pointe du développement historique.
Le stalinisme a été un règne de la terreur exercé au sein même de la classe bureaucratique. Dans le stalinisme, personne ne pouvait prétendre être un bureaucrate, personne ne pouvait se fixer dans cette fonction, seul Staline pouvait décider d’octroyer le statut de « bureaucrate ».
Le fascisme est quant à lui apparu comme une « défense extrémiste de l’économie bourgeoise menacée par la crise et la subversion prolétarienne ». Il a été une tentative de préservation des institutions bourgeoises (la famille, la propriété, l’ordre moral, la nation).
Cependant, le fascisme n’était pas idéologique et reposait principalement sur l’exaltation d’une communauté primitive fondée sur le sang, la race et le chef. Il a contribué à la formation du « spectaculaire moderne » et à la destruction de l’ancien monde ouvrier.
Néanmoins, le prolétariat continue d’exister. Il se compose des travailleurs subissant l’aliénation engendrée par le capitalisme, ceux qui sont « le négatif à l’œuvre dans la société ». Le prolétariat porte ainsi « la révolution qui ne peut rien laisser à l’extérieur d’elle-même ».
La forme politique du conseil ouvrier est apparue comme une organisation pouvant émanciper les travailleurs. C’est le lieu où les travailleurs, à travers le rejet de la spécialisation, de la hiérarchie et de la séparation, peuvent renouer avec l’unité et l’émancipation. C’est aussi le lieu où le travailleur prend conscience de lui et de sa propre action, ce qui est la condition de l’intervention dans l’histoire.
L’organisation révolutionnaire ne peut être qu’une critique unitaire de la société, ne pactisant avec aucun pouvoir séparé et luttant contre toutes les formes de l’aliénation sociale. Elle doit aussi lutter pour ne pas être déformée dans le « spectacle régnant ». Cette organisation doit enfin permettre à ses membres d’avoir conscience de la cohérence de la critique qu’ils exercent à l’encontre de la société.
Chapitre V. Temps et histoire
La conscience historique permet d’humaniser le temps, de lui donner une consistance, une réalité sociale.
La classe exploitant la plus-value produite par les travailleurs est aussi une classe qui exploite la « plus-value temporelle » et qui a une emprise sur le temps disponible aux travailleurs. On peut parler de « plus-value historique » pour désigner ce temps qui est dégagé de l’organisation collective du temps et de la vie sociale quotidienne. Cette « plus-value historique » est détenue par les classes dirigeantes. C’est le temps de la guerre et de l’aventure.
L’écriture permet d’instituer un « temps irréversible » qui est d’abord l’apanage du pouvoir politique. Avec l’écriture apparaît ainsi une « mémoire impersonnelle », celle de l’administration et de l’État.
Lorsque l’histoire cessa d’être une chronologie d’événements divins et devint une histoire humaine, la participation de nouveaux groupes humains à l’histoire fut permise.
Les religions monothéistes sont des compromis entre le mythe et l’histoire, entre le temps cyclique du mythe et le temps irréversible de l’histoire où les peuples se font face. Elles instituent un temps sans cesse projeté vers un autre monde, le monde divin.
La bourgeoisie est liée au temps irréversible du travail. En se liant au travail, elle a fait de celui-ci un facteur de transformation de l’histoire. Pour la bourgeoisie, seul le travail est doté d’une valeur positive.
La victoire de la bourgeoisie est aussi celle du temps historique universel, temps de la production économique qui transforme la société et la fait évoluer. C’est un temps opposé au temps cyclique des sociétés agraires qui est une continuelle répétition des mêmes événements.
La bourgeoisie a donné une origine absolue au nouveau temps irréversible qu’elle a voulu mettre en place : l’an I de la république. Cependant, elle s’est ensuite réinscrite dans le temps religieux institué par le christianisme, scellant ainsi une alliance avec le christianisme.
Le développement du capitalisme a achevé l’émergence d’un temps irréversible mondialement unifié. Il s’agit du temps de la production économique, du marché mondial. Ce temps de la production est cependant relatif aux marchandises. Il s’agit donc d’un temps particulier.
Chapitre VI. Le temps spectaculaire
Le temps spectaculaire est un temps pseudocyclique, corollaire du temps-marchandise de la production. Parce qu’il est lié à la consommation des marchandises produites, il redevient partiellement cyclique. Le temps spectaculaire est consommable, devenant alors une image de la consommation du temps.
La vie individuelle quant à elle n’a pas encore d’histoire. Elle est totalement extérieure au temps irréversible de la société et en opposition avec le temps cyclique lié à la consommation. La vie individuelle reste sans langage, sans mémoire.
Pour libérer les consommateurs et les producteurs du travail, il a d’abord fallu leur exproprier une part de leur temps. Ce temps supplémentaire dévolu au travail a ensuite permis aux travailleurs et aux producteurs d’obtenir un temps libre tout juste équivalent au temps « donné » au travail.
Le projet révolutionnaire d’une société sans classes vise à entraîner la disparition de la mesure sociale du temps afin de permettre à chaque individu de vivre réellement son propre temps et, éventuellement, d’unir son temps à celui des autres.
Chapitre VII. L’aménagement du territoire
Le capitalisme a entraîné une unification et une banalisation de l’espace. Ces deux processus ont considérablement affaibli l’autonomie et la qualité des lieux.
Le tourisme est un aménagement à des fins économiques de lieux pourtant différents. Il entraîne une « équivalence » de ces lieux ce qui conduit à retirer du voyage la réalité de l’espace.
L’urbanisme est une prise de possession de l’environnement naturel et humain par le capitalisme, ce dernier visant à faire de cet environnement son propre « décor ». Il permet de maintenir l’atomisation des travailleurs et d’éviter qu’ils soient trop rassemblés. Il consiste à isoler les travailleurs, mais à permettre leur rassemblement ponctuel lorsqu’il s’agit de produire et de consommer.
La « révolution prolétarienne » est une critique de la « géographie humaine » appelant les individus à renouer avec les lieux, à leur redonner leur autonomie.
Une idée révolutionnaire à propos de l’urbanisme consisterait à reconstruire l’espace en fonction des besoins d’un Conseil de travailleurs.
Chapitre VIII. La négation et la consommation dans la culture
La culture renvoie à l’ensemble des connaissances et des représentations du vécu humaines. Elle est un « pouvoir de généralisation » existant à part, séparé. Dans le même temps, elle est intrinsèquement liée à l’histoire.
La fin de l’histoire de la culture peut être réalisée à travers deux mouvements : soit par le dépassement de la culture dans une histoire totale, soit son maintien à une forme de contemplation spectaculaire. Le premier mouvement est révolutionnaire, le second consiste à défendre les intérêts de la bourgeoisie.
L’art est devenu de plus en plus une marchandise liée au « spectacle ». Celui-ci tend lui aussi à être séparé du réel. Il y a donc un dévoiement des possibilités pourtant offertes par l’art.
Chapitre IX. L’idéologie matérialisée
L’idéologie constitue « la base de la pensée d’une société de classes, dans le cours conflictuel de l’histoire ». Elle est la conscience déformée des réalités et exerce en retour une action déformante.
Le spectacle est l’idéologie en ce qu’il contient les principales dimensions de l’idéologie : « l’appauvrissement, l’asservissement et la négation de la vie réelle ». Le spectacle se compose des caractères idéologiques du matérialisme et de l’idéalisme. Il conserve en effet l’aspect contemplatif du matérialisme dans son idéalisation de la matière – notamment de la marchandise – et un aspect idéaliste à travers la médiation de signes et d’images.
Le spectacle est l’effacement des limites du moi et du monde par l’effacement du moi au détriment d’un monde irréel.
« S’émanciper des bases matérielles de la vérité inversée, voilà en quoi consiste l’autoémancipation de notre époque. » Quant à cette émancipation, elle ne peut être réalisée que par le Conseil, « forme désaliénante de la démocratie réalisée ».
Ce qu’il faut retenir :
Le « spectacle » est un ensemble d’images et de médiations se faisant passer pour le réel. En réalité, le spectacle repose sur la séparation avec le réel et entraîne l’aliénation des « spectateurs ». Le développement de la « société du spectacle » est lié au règne de la marchandise et de l’économie au sein de nos sociétés.
Les forces qui ont prétendu incarner le prolétariat, comme l’URSS, ont elles-mêmes reproduit des formes de « spectacle ». L’URSS s’est fondée sur la domination d’une classe bureaucratique qui a entraîné la soumission et l’aliénation du prolétariat. À travers la forme politique du « Conseil ouvrier », le prolétariat est la seule force politique capable de mettre fin au spectacle en tant que forme dévoyée du réel.
Le capitalisme et la domination de la classe bourgeoise ont entraîné l’émergence d’un « temps irréversible » universel, celui du marché mondial et de la production économique. Cela a modifié la conscience de l’histoire des sociétés et des individus. Cela a également entraîné une aliénation du champ culturel et artistique.