« La meute », ouvrage à charge sur Mélenchon, ne contient aucune révélation explosive. Au contraire, il est remarquablement creux
Article rédigé le 12 mai 2025 par Old Fashioned (Christophe @PoliticoboyTX) sur son compte Substack, critiquant à juste titre la vacuité du livre : « la meute » écrit par deux journalistes du pouvoir
« La meute », un livre hautement révélateur
Que faut-il retenir de l’enquête sur le fonctionnement interne de LFI, qui vient d’occuper les médias français pendant une semaine et continue de faire parler d’elle ?
« La Meute » Enquête sur la France Insoumise de Jean-Luc Mélenchon (Flamarion) est un ouvrage de 352 pages, fruit de deux ans d’investigations des journalistes Charlotte Belaïch (Libération) et Olivier Pérou (Le Monde). Sa sortie fait suite à la diffusion d’un numéro de « Complément d’enquête » visant à disséquer les luttes de pouvoir internes à LFI. Elle a été marquée par une couverture médiatique inouïe, comme le démontre ce court article d’Acrimed.
Même les mémoires de Jacques Chirac ou de Nicolas Sarkozy n’avaient pas bénéficié d’une telle promotion. Le cycle est bien huilé : bonnes feuilles publiées dans la presse papier avant la sortie du livre, émissions de radio et matinales télé pour commenter les citations les plus « explosives », invitation des journalistes et interview de politiques pour rebondir. Puis nouveau cycle médiatique pour commenter les commentaires. Par exemple :
« Fabien Roussel compare La France insoumise à une « secte » après la publication de « La Meute » sur le parti de Jean-Luc Mélenchon » (Le Monde, 6/05).
Je m’étais juré de ne plus commenter la politique française hors période électorale, mais le battage médiatique autour de ce livre me pousse à proposer quelques réflexions.
1) Des choix éditoriaux révélateurs
L’actualité mondiale était particulièrement chargée cette semaine (et plus globalement dans la période récente). En particulier :
Israël revendique désormais publiquement de commettre un génocide (« Gaza va être entièrement détruite ») et a approuvé un plan visant la conquête du territoire et le nettoyage ethnique (« déplacement forcé ») de ses résidents. Israël affame un million d’enfants à Gaza, commet des massacres de masse sans précédent depuis quelques jours et continue d’opérer un centre de torture géant ou des millers de palestiniens sont soumis à tout types d’abus, y comprit le viol. Même le Financial Times juge, dans un éditorial au vitriol, que l’inaction des Occidentaux pour stopper Israël est une « honte ». Cela inclut la France (principaux médias et partis politiques), qui soutient activement les crimes commis par Israël, continue d’attaquer ceux qui les dénoncent et refuse d’appliquer le mandat d’arrêt de la Cour pénale internationale contre Netanyahou lorsqu’il survole le territoire.
L’Inde et le Pakistan, deux puissances atomiques qui ont la capacité de provoquer un hiver nucléaire global, sont en pleine escalade militaire.
En France, tout se passe comme si l’extrême droite était déjà au gouvernement, suite à des élections violées par le Président. Pendant que ce dernier continue son œuvre de destruction du modèle social français et planifie un troisième mandat, deux milliardaires rachètent un à un tous les médias et maisons d’édition, dans le but revendiqué d’installer l’extrême droite à l’Élysée.
Dans ce contexte, accorder autant de place à un livre qui ne concerne que le fonctionnement interne d’un parti politique n’étant pas au gouvernement est étonnant.
Je cite Acrimed :
Bonnes feuilles dans Le Monde (4/05), recensions dans Le Point, L’Express (5/05), Le Figaro, RTL, L’Indépendant (6/05), en Une de Libération, du Parisien (6/05) et Marianne (7/05), entretiens sur France Inter, dans Marianne, RTL, mais aussi « Quotidien » (6/05), où, dès la veille, Jean-Michel Aphatie anticipait l’interview : « [Ils] racontent dans La Meute [...] la vraie vie de La France insoumise : une dictature en miniature. Épouvantable ! » (TMC, 5/05)
Tous les médias (RMC, France Culture, CNEWS, Europe 1, France Info, France 24, France 5, Médiapart...) ont couvert la sortie de cet ouvrage pourtant remarquablement creux en termes de contenu et de révélations (nous y reviendrons).

Les autres formations et hommes politiques ne bénéficient pas d’un tel traitement. Il y aurait pourtant matière à déchainer le même genre de passions :
Le procès accablant du RN, dont l’ampleur de la fraude et l’arrogance démontrées au cours du procès, a débouché sur une peine d’inéligibilité de Marine Le Pen. Il n’a pourtant fait l’objet d’aucune couverture médiatique significative (seul le verdict a été commenté, plutôt négativement).
Emmanuel Macron a fait l’objet d’une longue enquête du Monde, elle aussi accablante (on apprend que le président tient des propos racistes que même Marine Le Pen n’oserait pas prononcer, que la dissolution de l’Assemblée a été organisée à la dernière minute par des courtisans voulant se faire mousser, que Macron décide de tout seul et souvent à la dernière minute, etc.). Elle faisait suite au livre de 600 pages « Le traitre et le néant » de Davet et Lhomme, lui aussi peu flatteur. Mais qui n’a rencontré aucun écho médiatique significatif.
François Ruffin est connu pour être un patron toxique qui sous-paie ses employés. Une ancienne collaboratrice et compagne a publié un livre accablant sur son rapport avec ses collaborateurs et partenaires, mais n’a fait l’objet d’aucune reprise dans les médias.
Raphaël Glucksmann dirige son parti Place Public d’une main de fer. Une enquête avait démontré l’absence de démocratie , les purges et la verticalité du pouvoir au service de son dirigeant. Les deux autres cofondateurs du parti (Claire Nouviant et Thomas Porchet) ont rapidement quitté le navire, la première déplorant « un lieu tenu par « de petits arrivistes médiocres et infréquentables », comme le rappel Nicolas Framont dans Frustration mag.
Le traitement particulier du cas LFI est donc un choix. On ne touche pas à Bayrou, à Macron, aux principaux adversaires de Mélenchon à gauche et encore moins au RN, véritable entreprise familiale sans la moindre trace de démocratie interne. Mais contre la France Insoumise, c’est open-bar.
La première révélation de « La Meute », c’est bien ce parti pris des grands médias contre LFI. Une formation qu’il faut à tout prix « empêcher de nuire ». Tous les autres sont acceptables, semble-t-il. Même un raciste multirécidiviste comme Éric Zemmour, qui continue d’être reçu avec courtoisie à peu près partout.
2) Sur le fond, uniquement de la forme
« La meute » ne contient aucune révélation explosive. Au contraire, il est remarquablement creux. Il ne présente aucune information pouvant déboucher sur des procédures judiciaires, aucune allégation de violences sexuelles ou sexistes, aucune allégation de fraudes financières, ni aucune révélation de nature politique. Si le livre nous apprenait que Mélenchon a pris des dispositions pour renoncer à son programme en cas de victoire, ce serait un fait majeur. Si on apprenait que LFI est en partie financée par des milliardaires ou intérêts étrangers (comme Emmanuel Macron et Marine Le Pen), ce serait une information déterminante. Rien de tout cela ne sort de « La Meute », qui se contente de parler des luttes de pouvoir au sein de LFI sans aborder les questions politiques.
Si on prend ses « révélations » pour argent comptant, que retenir ? Je vais citer Nathalie Arthaud, la candidate de Luttes ouvrières :
"Le culte du chef, les règlements de comptes et le bal des égos dénoncés à LFI sont la règle de TOUTES les écuries présidentielles. Cf. Macron/Le Pen. La meute qui s’active à gauche, contre Mélenchon, est bien dressée et ridicule. D’autant qu’elle ne cherche qu’à prendre la place".
Comme le démontre Nicolas Framont, c’est malheureusement la norme en politique, particulièrement dans un régime ultra présidentiel comme la Ve république.
Certes, le fait que ce ne soit pas mieux ailleurs n’excuse en rien le fonctionnement interne de LFI ou la violence verbale attribuée à Mélenchon. Encore faut-il que « La meute » en livre une description factuelle, déontologique et non biaisée.
Or, il s’agit clairement d’une enquête à charge, truffée d’erreurs et de jugements ridicules. Tous les articles auparavant signés par ces deux auteurs sur ce courant politique étaient à teneur négative. Et leur tournée promotionnelle dans les médias montre parfaitement que l’intention du livre est, au minimum, de faire éclater LFI.
« La meute » s’appuie très largement sur les propos rapportés par les personnalités écartées de LFI pour divergences politiques ou ambitions personnelles mal placées. Cela ne veut pas dire qu’ils soient forcément faux (les auteurs ont eu accès à des SMS, par exemple). Mais le narratif est nécessairement orienté. Et il semblerait que de nombreuses scènes rapportées par les dissidents de LFI aient été racontées sans prendre le temps de vérifier auprès d’autres sources ou de pratiquer le contradictoire. D’où de multiples erreurs factuelles qui auraient pu être évitées en prenant le temps de vérifier les affirmations de certains protagonistes. Des phrases-chocs n’ont pas nécessairement été prononcées et plusieurs éléments sont manifestement faux.
Ensuite, rien que les commentaires contenus dans les « bonnes feuilles » et propos des auteurs apparaissent disqualifiant. On peut ainsi lire que le POI est « un groupuscule trotskiste », un qualificatif qui démontre l’inculture politique des auteurs. Charlotte Belach explique aussi à Marianne que "LFI est un mouvement dans lequel on parle très peu de politique. On pourrait penser que ce sont des gens très politisés, mais en réalité pas tellement". Pas besoin d’avoir fait partie d’un groupe d’action insoumis ou d’avoir écouté une conférence organisée aux Amphis d’été ou par l’Institut de la Boétie pour juger de tels propos absurdes.
On pourrait également revenir sur le terme de « purge » appliqué aux dissidents insoumis non réinvestis dans leurs circonscriptions en 2024, qui comptent parmi les principales sources de l’ouvrage. Ceux-là mêmes qui complotaient pour renverser la direction du mouvement et avaient déposé les statuts d’une organisation politique concurrente (« l’après ») par anticipation d’une débâcle aux Européennes. Elle n’a pas eu lieu, mais l’organisation « après » a bien vu le jour et regroupe également d’anciens élus insoumis partis d’eux-mêmes. Les mêmes qui avaient été frustrés de ne pas figurer dans le comité de direction de LFI et avaient étalé leurs rancœurs dans la presse.
Côté Macronie et LR, les candidats qui n’avaient pas été réinvestis en juin 2024 dans leurs circonscriptions (don’t l’ancien ministre Gilles Legendre) n’ont pas eu le droit à des émissions spéciales, « compléments d’enquêtes » et livres de 350 pages pour dénoncer le manque de démocratie interne à ces partis. Les médias n’ont jamais parlé de « purges » au sein de la droite.
Ce terme, imposé par les dissidents insoumis, évoque l’URSS de Staline et évite d’interroger leurs propres torts. Rappelons que Clémentine Autain, depuis 2017, publie fréquemment des appels et tribunes pour réclamer un changement de ligne à LFI et critique fréquemment les positions de sa formation (elle avait néanmoins été réinvestie). Et que dire de François Ruffin, qui a fait campagne contre Mélenchon et LFI aux législatives, après avoir reçu l’investiture insoumise ?
Pour prendre la mesure du scandale médiatique dont nous ne sommes pas témoins, il suffisait d’écouter Thomas Guénolé, interrogé sur Sud Radio. Ce politologue ayant figuré sur la liste LFI des Européennes de 2019 en position éligible avant d’être « écarté » suite à des allégations de harcèlement sexuel. Il a estimé le procès médiatique en cours « délirant ». Il avait pourtant lui-même sorti un livre à charge sur « le système Mélenchon » pour régler ses comptes. Mais là, il juge l’acharnement à la fois inouï par son intensité et irresponsable pour toute personne engagée à gauche, dans le contexte actuel de montée du fascisme.
LFI = Nazis ; Mélenchon = Goebbels
La sortie de « La meute » a libéré la parole médiatique dans une forme d’orgie grotesque à laquelle participe un peu près tout ce que le paysage médiatique français compte de journalistes audiovisuels et d’éditorialistes. Même des gens comme Jean-Michel Apathie, récemment défendu par Mélenchon suite à sa mise en retrait de RTL, où Alain Duhamel, qui a défendu la position de LFI sur Gaza, y vont de leurs attaques. Médiapart s’est fendu d’un article et C ce soir d’une émission entière. Ce déchaînement a créé les conditions du franchissement d’un nouveau seuil.
Dans l’émission d’Apoline de Malherbe (BFMTV), le président de la LICRA a comparé LFI à un mouvement fasciste et Jean-Luc Mélenchon à Goebbels, le ministre de la propagande nazi. Personne n’a bougé en plateau. L’insulte est passée sans susciter la moindre réaction.
Elle a provoqué un tollé dans les heures qui ont suivi. Jean-Luc Mélenchon a immédiatement annoncé porter plainte. La SDJ de BFM a dénoncé ce dérapage dans un communiqué officiel. Apolline de Malherbe s’est excusée dans un tweet. Puis le lendemain en direct dans son émission. Libération a jugé l’insulte « outrancière et contre-productive ». À vouloir aller trop loin, le déchainement médiatique finit par faire le jeu de LFI.
Mais il témoigne surtout d’un grave problème démocratique. Pas au sein de LFI, formation que personne n’est obligé de rejoindre et que n’importe quel membre peut quitter, mais bien de notre pays. Lorsque les médias s’en prennent aussi unanimement et violemment à une formation politique, en dehors de tout cadre déontologique, il faut craindre le pire. Ceux qui s’imaginent que de tels procédés ne seront pas appliqués ensuite contre quelqu’un comme François Ruffin ou Marine Tondelier ne sont pas au bout de leurs surprises.
Une thèse centrale contestable et révélatrice
La thèse centrale du livre est que LFI est un mouvement politique verrouillé autour d’un chef déplaisant, qui ne tolère ni la critique ni le débat d’idées. Que Mélenchon conserve la main sur le mouvement est un fait qui n’est ni nouveau ni particulièrement scandaleux, comme l’expliquait le philosophe Geofroy de Lasgarnerie.
Sur la question de la critique, LFI pourrait bénéficier d’une certaine introspection. Jean-Luc Mélenchon a commis certaines erreurs importantes : la décision de faire la NUPES au lieu de tuer le PS constitue sans doute la principale. LFI a également commis des erreurs de communication qu’on peut attribuer à sa grande proximité avec les milieux activistes. Par exemple, en appuyant trop fortement les émeutes qui ont fait suite au meurtre de Nahel par un policier (alors que l’opinion publique désapprouvait majoritairement ces dernières, y compris les résidents des quartiers populaires). Ou lors du communiqué initial de LFI faisant suite à l’attaque du Hamas du 7 octobre, qui ne montrait pas assez de compassion pour les victimes. On peut y voir le résultat d’un manque de débat interne.
La « purge » de 2024, critiquée via une tribune par des soutiens politiques membres de l’Union populaire, comme l’économiste Cédric Durant et le politologue Stefano Palombarini, était certainement une erreur tactique (bien que les faits montrent depuis à quel point garder des gens comme François Ruffin ou Rachel Garrido au sein de la direction du mouvement revenait à laisser des personnalités principalement mues par des ambitions personnelles et en désaccord avec la ligne politique anti-capitaliste et antiraciste de LFI saboter le mouvement). Du reste, les auteurs de la tribune critiquant la « purge » n’ont pas été écartés, ils continuent d’être invités aux différentes conférences organisées par LFI.
Sur la question de l’absence d’ouverture et du manque de débats, il convient de rappeler quelques faits pour déconstruire le mensonge médiatique qu’on cherche à nous imposer :
Le programme de LFI a été élaboré suite à un long procédé consultatif avec la société civile, le monde associatif et syndical. Tout le monde s’accorde à dire qu’il s’agit du programme le plus riche et détaillé. Même sur une thématique où on n’attend pas une formation de gauche (la sécurité), le journal Le Monde avait écrit en 2022 « la France insoumise a de loin le programme le plus abouti ». Il n’est clairement pas le fait d’un seul homme refusant le débat. Ce programme est systématiquement défendu par les élus insoumis dans les médias (à l’exception de Clémentine Autain et François Ruffin, qui n’ont jamais réellement fait référence au programme depuis leur élection de 2017).
Après 2017, LFI a effectué un tournant politique majeur en renonçant au discours consistant à revendiquer le droit à l’islamophobie (présenté comme une défense de la laïcité et une critique anticléricale des religions) pour dénoncer l’islamophobie comme un racisme anti-musulman. Ce changement de position, résultant des remontées de terrains et liens avec la société civile, est le minimum qu’on puisse attendre d’une formation de gauche humaniste. Du reste, le monde occidental reste médusé par l’islamophobie rampante qui empêche la France de traiter le problème du racisme, comme vient encore de le démontrer l’attentat perpétré contre des musulmans à l’intérieur d’une mosquée. LFI a été à la pointe du combat antiraciste sur ce thème, malgré le passif « laicard » de Mélenchon. Et la notion d’islamophobie s’impose désormais dans le débat public, au point d’être reconnue par des modérés comme Alain Duhamel et François Truffaut sur BFMTV.
LFI est le seul parti politique actuel à organiser avec autant d’intensité d’innombrables conférences où sont invités intellectuels et responsables associatifs, ainsi que des ateliers de formation divers. Consultez le programme des amphis de 2024 pour vous faire une idée de la richesse des débats et des formations proposés.
LFI reçoit fréquemment le soutien de nombreux intellectuels et artistes français et internationaux de premier plan (appels, tribunes, participations à des conférences-débats, etc.)
LFI est très proche du monde associatif, militant et syndical. Ce qui explique sa part active dans de nombreuses luttes : contre les mégabassines (victoire), contre l’autoroute A69 (victoire, alors que le PS continue de défendre le projet), contre les violences policières (les directions du PS, PCF et EELV avaient défilé aux côtés de Gérald Darmanin et des syndicats policiers factieux venus demander la fin de l’indépendance de la justice), contre le génocide des Palestiniens (les cadres du PS comme Jérôme Guedj et Carole Delga continuent de le nier et de défendre Israël).
LFI a été à l’impulsion de la NUPES, du Nouveau Front Populaire, de la candidature commune de Lucie Castet à Matignion en acceptant des concessions sur le programme et une répartition des circonscriptions ne reposant pas sur les scores des présidentielles. LFI proposait une liste commune aux Européennes dirigée par EELV en 2024 (refusée par tous les autres partis de gauche). LFI a proposé un groupe commun NUPES puis NFP à l’Assemblée nationale. Le PS a rompu le premier avec la NUPES (citant les désaccords sur Gaza) et tient un Congrès où l’un des courants majeurs et son candidat (Glucksmann) revendiquent une rupture définitive avec le NFP et LFI.
Mélenchon a été le premier à demander la constitution d’un Front républicain contre le RN dans l’entre-deux tours des législatives de 2024, acceptant de retirer tous les candidats insoumis arrivés second sans condition et forçant ainsi la main à Emmanuel Macron pour qu’il renvoie l’ascenseur.
Comme l’écrivait Médiapart lors de l’attribution des investitures aux législatives de 2024 « À gauche, seule LFI poursuit l’ouverture vers la société civile ».
Je vais largement citer l’article, car il montre à quel point l’histoire de la « purge interne » et de la fermeture autour d’un gourou est une manipulation :
Quant à LFI (229 circonscriptions), après avoir fait entrer à l’Assemblée nationale une aide-soignante en 2017 (Caroline Fiat), une femme de chambre et syndicaliste (Rachel Keke), une ouvrière agricole (Mathilde Hignet) ainsi que des figures du climat (Alma Dufour) et d’Attac (Aurélie Trouvé) en 2022, le mouvement était attendu au tournant. (…)
Aly Diouara, du collectif « Seine-Saint-Denis au cœur », avait reproché à LFI de leur « tourner le dos ». Une vidéo dans laquelle il débattait à ce sujet avec Raquel Garrido, piquée au vif, a refait surface ces derniers jours. (Et pour cause : Diouara y a été investi à sa place).
LFI a aussi investi Amal Bentounsi, fondatrice du collectif « Urgence notre police assassine », dans la 6e circonscription de Seine-et-Marne, Abdelkader Lahmar, membre de l’Assemblée nationale des quartiers populaires dans la 7e circonscription du Rhône, Amadou Ka, conseiller municipal de Creil et militant antiraciste dans la 3e circonscription de l’Oise, ou encore Lyes Louffok, militant de la défense des droits de l’enfant, et Adel Amara, militant associatif, respectivement dans la 1e et la 4e circonscription du Val-de-Marne.
LFI se distingue donc par son avance en la matière. « Nous sommes dans la continuation d’un appel qui avait été lancé dans la Nupes, en 2022, à une société civile constituée, avec des gens qui ont l’habitude du combat politique, sans forcément avoir des mandats politiques », décrypte le sociologue Étienne Ollion. Et si les Insoumis sont plus proactifs que les autres partis politiques, c’est que « son organisation est plus centralisée et verticale qu’au PS ».
« LFI a un mode d’investiture qui est beaucoup plus favorable à la société civile, car le parti n’a pas besoin de passer par les logiques notabiliaires locales, abonde le politiste Rémi Lefebvre. Par ailleurs, les réseaux dans la société civile du PS sont très faibles, c’est un parti d’élus et de collaborateurs. »
Autrement dit : la verticalité – voire l’absence de démocratie interne – des Insoumis·es permet d’imposer des candidatures en dépit de résistances locales, ou des baronnies que constituent les fédérations socialistes.
Médiapart aurait également pu souligner le ralliement du grand reporter et militant de la cause animale Aymeric Caron (qui a nié la violence des échanges en interne ou l’impossibilité de critiquer la direction, contredisant la thèse de « La meute »). Du syndicaliste CGT et ex-Hamoniste Thomas Portes. Où de l’élection du militant issu d’une association antifasciste Raphaël Arnault dans le Vaucluse. Tous ces gens ont été investis dans des circonscriptions convoitées et se sont construits politiquement en dehors de LFI. Manon Aubry, qui avait dirigé la liste insoumise aux Européennes, venait d’Oxfam. Et la juriste et réfugiée palestinienne Rima Hassan, approchée par EELV pour les Européennes de 2024, a été placée en position éligible sur la liste insoumise.
Peut-être que Mélenchon parle mal à ses cadres et écarte les plus ambitieux de la direction, mais LFI accueille fréquemment des figures du monde associatif et syndical dans ses rangs.
On pourrait aussi bien évoquer la sociologie du vote de gauche hors LFI. Si le parti de Mélenchon fait des scores importants auprès des ouvriers et des jeunes, EELV et le PS sont essentiellement des partis de vieux citadins et CSP+. Ce qui explique pourquoi ils tirent leur épingle du jeu dans les élections à faible participation (municipales, européennes, régionales) et se vautrent dans les scrutins nationaux (moins de 5 % pour leurs candidats respectifs à la présidentielle de 2022).
Ceux qui font le procès de LFI sont les mêmes qui voudraient revenir à une gauche « de gestion » déconnectée des Français et du monde intellectuel, emmenée par « un parti d’élus et de collaborateurs ».
La fin justifie-t-elle les moyens ?
La France Insoumise a-t-elle besoin d’un fonctionnement vertical et structuré autour d’un chef charismatique pour remporter des succès électoraux ? À ce sujet, je vous renvoie à l’excellent billet du chercheur Samuel Hayat.
Ce qu’on peut constater, c’est que le fonctionnement de LFI, à la fois centralisé dans les décisions, mais ouvert sur la société civile et le monde intellectuel, a permis à cette force politique d’émerger dans un contexte d’effondrement des gauches dans de nombreux pays. Puis de jouer un rôle majeur, y compris à l’étranger (Mélenchon revient du Canada et des États-Unis où il a tenu des discours remarqués dans des universités et médias alternatifs). Les insoumis interviennent régulièrement dans des médias et revues de gauche très influents, Mélenchon est reçu par divers chefs d’État (Mexique, Brésil, Colombie...). Le mouvement reste la référence à gauche, y compris hors de nos frontières.
LFI a ainsi pu tenir la ligne et prendre des positions qui se sont avérées déterminantes pour éviter que des millions de Français se détournent de la politique. Citons les principales décisions prises malgré un risque politique majeur :
Soutien aux gilets jaunes dès le début du mouvement et jusqu’à la fin.
Dénonciation de l’islamophobie comme phénomène raciste structurant dès 2017 (repeint par les autres formations de gauche et la droite comme de l’anti-républicanisme avant d’être associé à de l’islamisme...).
Combats contre les mégabassines, pour les ZAD et contre les mégaprojets absurdes types A69. Et défense des militants radicaux ciblés par la répression policière.
Refus de manifester avec Darmanin et les syndicats de policiers factieux contre la justice, et dénonciation des violences policières systémiques (qui ont conduit à la mort de Nahel, entre autres « bavures » ayant débouché à l’inculpation de nombreux policiers depuis quelques années).
Refus d’aller au vote sur la réforme des retraites, une stratégie validée par la décision d’utiliser le 49-3 qui montre que le vote du parlement n’aurait pas été respecté.
Dénonciation des traités européens forçant une austérité budgétaire, monétaire et un libre-échange dogmatique depuis 2005 (des traités qui ont depuis été largement mis de côté par l’UE pour répondre à la crise Covid, la guerre en Ukraine et la guerre commerciale de Donald Trump).
Alerte sur le risque de génocide contre les Palestiniens dès la première semaine qui a suivi le 7 octobre (et les premières déclarations des dirigeants israéliens sur les « animaux humains » qui seraient tous privés de nourriture et d’électricité).
Vote contre une loi instrumentalisant l’antisémitisme pour faire interdire toute critique d’Israël dans les universités (le PS et la moitié des élus EELV ont voté pour cette loi, dénoncée par les universitaires et les associations juives telles que Tsedek !).
Ce n’est pas parce que Mélenchon et les insoumis parlent mal que le monde médiatique leur tombe ainsi dessus. Ce n’est pas non plus parce que leur programme propose de modestes hausses d’impôts sur le capital et les revenus supérieurs à 4000 euros par mois. C’est parce que Jean-Luc Mélenchon a commis de nombreuses transgressions du point de vue de l’ordre bourgeois : dénoncer l’islamophobie et le racisme de la classe dominante en France, dénoncer les violences policières systémiques contre les habitants des quartiers populaires, défendre les gilets jaunes jusqu’au bout, dénoncer les crimes d’Israël à Gaza dès le mois d’octobre 2023 et continuer d’appuyer les luttes écologiques ou de faire vivre l’affaire Betharam qui embarrasse le pouvoir.
Depuis la sortie de « La Meute », le reste de la gauche se tait ou amplifie les attaques contre LFI, ce qui est révélateur de leur opportunisme et absence de convictions, mais constitue aussi une erreur stratégique de leur propre point de vue.
La « Meute » nuit surtout à la gauche non à LFI
Le but de « la Meute » et de ses promoteurs est la disparition de LFI comme force politique afin de permettre le retour au premier plan de la gauche « responsable » autour des héritiers de François Hollande. Ceux qui soutiennent le gouvernement actuel en refusant de voter la censure.
En admettant que cette offre politique soit susceptible d’atteindre le second tour d’une présidentielle (ce que les sondages et le bon sens démentent) puis parvienne à prendre le pouvoir, quel sera le résultat ? Un retour en arrière de 15 ans avec le Hollandisme 2.0, désormais entaché du soutien au génocide de Gaza et de l’islamophobie anachronique (à gauche) du Printemps républicain ? On parle des gens qui reconnaissaient ne pas savoir qui choisir entre le racisme de Marine Le Pen et le timide programme social-démocrate de Mélenchon.
C’est de bonne guerre, diront certains. Mais le fait que la première secrétaire de la CGT et la dirigeante d’EELV participent à la « meute » en souscrivant aux commentaires médiatiques accompagnant la sortie du livre témoigne d’un manque de solidarité dommageable et d’une absence évidente de vision stratégique.
En effet, la violence médiatique qui se déchaîne actuellement contre LFI ne peut que nuire aux perspectives d’Union de la gauche. D’abord parce que les insoumis (électeurs et élus) n’en voudront pas, quand on voit que les principales attaques viennent précisément de la gauche derrière laquelle ils seront sommés de se ranger. Ensuite, par ce qu’il sera de moins en moins possible aux autres forces de gauche de s’allier à une FI aussi stigmatisée auprès des électeurs de centre gauche et du centre droit (au lieu de s’additionner, le score de la gauche sera inférieur au total des scores d’une gauche éclatée). Enfin, cela facilite la victoire du RN en cas de second tour l’opposant à une force issue de la gauche (une partie des électeurs du PS refusant de faire barrage pour LFI, ou inversement).
Les auteurs du livre eux-mêmes ont reconnu que leur enquête allait probablement renforcer les liens unissant les insoumis et la fidélité de la base électorale envers LFI. Mais si elle parvient à marginaliser le parti, cela garantit le scénario d’une gauche éclatée en 2027 et un score semblable aux Européennes. Avec le triomphe de l’extrême droite en prime.
Ce ne sera pas la première fois que la bourgeoisie facilite l’accès de l’extrême droite au pouvoir. Fort heureusement, la tentative de déstabilisation de LFI semble se retourner contre leurs auteurs, qui ont commis l’erreur d’essayer de faire accoucher d’une montagne une enquête particulièrement creuse, dont le titre semble désigner les auteurs plus que leur sujet. Quand c’est trop gros, ça ne passe plus.
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Par Brigitte Bouzonnie · Lancé il y a 6 mois
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