La mentalité américaine - Howard Zinn
Présentation du livre rédigé par Howard Zinn : la mentalité américaine effectuée le 15 septembre 2023 par les équipes de ELUCID
Selon Howard Zinn, derrière le légendaire patriotisme américain, se cache une mentalité politique dangereuse. Dans La Mentalité Américaine. Au-delà de Barack Obama (2008), il entend montrer comment la psychologie américaine en matière de politique a pu être à l’origine du « meilleur comme du pire ».
Cependant, la victoire électorale de Barack Obama provoqua un soulagement collectif : on célébrait la fin d’un gouvernement orwellien, caractérisé par un usage répété de la force. Cet espoir fut malheureusement déçu.
Ce qu’il faut retenir :
L’histoire nous a maintes fois prouvé qu’il est parfois nécessaire d’enfreindre la loi pour dénoncer l’injustice d’un acte gouvernemental. On tente de dissuader les citoyens de pratiquer la désobéissance civile, faisant passer cette pratique pour un acte antipatriotique. Quiconque désobéit au gouvernement fait désormais preuve d’antipatriotisme.
Le meilleur exemple de cette pression pour empêcher la désobéissance est la politique étrangère. La population américaine a ainsi laissé son gouvernement étendre son influence partout dans le monde. L’élection de Barack Obama a laissé croire que cette politique allait cesser. Cependant, ces attentes ont été déçues.
Le patriotisme américain est largement exploité par le gouvernement afin de persuader la population d’entrer en guerre, puis lorsque ce dernier n’est pas suffisant convainquant, on s’en remet à l’exceptionnalisme américain, c’est-à-dire, à l’idée selon laquelle les États-Unis incarnent la liberté et la démocratie et donc, se doit d’en faire bénéficier le reste du monde.
L’histoire nous a prouvé que les pires atrocités ne furent pas le fruit de la désobéissance civile mais de l’obéissance et de la soumission à l’autorité. L’auteur considère que la désobéissance civile est essentielle au bon développement de la société.
Biographie de l’auteur
Howard Zinn (1922-2010) est un historien et ancien combattant américain. Militant chevronné, il s’est engagé dans les mouvements suffragiste, pacifiste, syndicaliste et abolitionniste. Dans ses écrits, il offre ainsi une analyse critique et contestataire du pouvoir.
Dans son Histoire populaire des États-Unis (1980), Zinn considère que la politique aux États-Unis, fondée sur l’idée selon laquelle tout le monde partagerait les mêmes intérêts, a pour objectif d’enrayer toute tentative de révolte. La Mentalité Américaine (2008), publiée peu de temps avant sa mort, renouvelle ce message, tout en voyant dans les déceptions nées de la politique de Barack Obama, les prémisses d’un mouvement social.
Avertissement : Ce document est une synthèse de l’ouvrage de référence susvisé, réalisé par les équipes d’Élucid ; il a vocation à retranscrire les grandes idées de cet ouvrage et n’a pas pour finalité de reproduire son contenu. Pour approfondir vos connaissances sur ce sujet, nous vous invitons à acheter l’ouvrage de référence chez votre libraire. La couverture, les images, le titre et autres informations relatives à l’ouvrage de référence susvisé restent la propriété de son éditeur.
Plan de l’ouvrage
1. Au-delà de Barack Obama
2. La loi et la justice
3.Du refus d’abandonner
Synthèse de l’ouvrage
1. Au-delà de Barack Obama
Les Américains ont grandi avec l’idée selon laquelle l’ensemble de la population partage les mêmes intérêts. Depuis la nuit des temps, les citoyens sont aveuglés par l’illusion du pouvoir du peuple alors que cette même Constitution ne fut jamais rédigée dans le but de servir les intérêts du peuple, mais plutôt ceux de la classe sociale à laquelle appartenait les 55 hommes blancs, riches, qui ont rédigé ce document. D’emblée, les privilèges inscrits dans la Constitution ne s’appliquaient ni aux Noirs ni aux Autochtones.
Derrière le mythe d’une grande belle famille américaine, se cachent des décennies de conflits, d’émeutes, de famines, de rébellions d’esclaves, et d’autres sombres expériences. La majorité de ces évènements sont absents des cours d’histoire et les élèves sont abreuvés de récits idéalisés. De cette manière, la lutte des classes qui traversaient les États-Unis avant, pendant et après la révolution est parfaitement éludée.
« La Constitution défendait les intérêts d’une classe, celle des détenteurs d’obligations, des propriétaires d’esclaves, des marchands et des spéculateurs des terres de l’Ouest. Ce document a scellé la domination d’une classe sur les autres pour toute l’histoire des États-Unis. Dès lors, les gouvernements n’ont eu pour raison d’être que de servir les intérêts de l’élite fortunée ». La domination de la classe dirigeante consacrée par la Constitution atteindra des sommets pendant la présidence de George W. Bush, ce qui a probablement permis la victoire du Parti démocrate et de Barack Obama.
Cette domination ne se limite pas aux frontières américaines, mais s’étend sur le reste du monde. L’histoire des États-Unis est une histoire d’expansion territoriale, à commencer par la conquête du territoire américain, marquée par la destruction des populations autochtones. On la présente pourtant comme une histoire glorieuse, en cachant que les « centaines de tribus autochtones qui vivaient [sur le territoire] et qui en ont été chassées ou que l’on a anéanties » ont permis « aux États-Unis de l’occuper et de doubler leur superficie ».
Pour persuader la population d’entrer en guerre, les élites exploitent le sentiment patriotique des Américains et, lorsque cela n’est pas suffisamment convainquant, renvoient à la nécessité d’étendre la démocratie – mission dont sont prétendument chargés les États-Unis en tant que nation incarnant la liberté. Cette politique a permis d’engager de nombreuses guerres, de la cession mexicaine à la libération de Cuba, en passant par les guerres du Pacifique. Cette longue histoire de l’expansion américaine montre comme il est facile de convaincre les citoyens américains que l’extension de leur influence est bénéfique, qu’elle permet d’offrir liberté et démocratie aux populations concernées. Ainsi, personne n’a élevé la voix lorsque le président a affirmé que l’invasion de l’Irak fut un mal pour le bien de la liberté et de la démocratie.
Pourtant, la Déclaration d’indépendance, « texte philosophique fondateur de la démocratie américaine », donne au peuple américain le pouvoir d’abolir un gouvernement en faveur d’un nouveau, lorsque ce dernier représente une menace à la liberté et à la recherche du bonheur. Mais, la désobéissance au gouvernement est présentée comme de l’antipatriotisme. On semble vouloir nous faire oublier que le gouvernement n’est qu’une création du peuple et que ce dernier dispose donc lui-même le pouvoir de lui désobéir ou de l’abolir.
Dans ces conditions, il est impératif de redéfinir le patriotisme. « Si un gouvernement ne remplit pas sa mission, ne respecte pas ses promesses ou n’assume pas sa responsabilité de veiller au “droit pour tous à la vie, à la liberté et à la recherche du bonheur”, il mérite qu’on lui désobéisse, se conduisant lui-même de manière antipatriotique ».
Outre le patriotisme, un autre élément explique l’adhésion des citoyens américains aux guerres engagées par son gouvernement : la croyance selon laquelle la force militaire est une solution adéquate à la réalisation de certains projets – par exemple, lorsqu’un peuple étranger se trouve opprimé par un tyran, ou lorsqu’apparaît une menace terroriste. Mais, « ne pourrait-on pas envisager la possibilité que le terrorisme soit justement engendré par le fait que les États-Unis possèdent des bases militaires aux quatre coins du monde, par le fait qu’ils envahissent et bombardent d’autres pays ? Pour éviter le terrorisme, ne devrait-on pas reconsidérer cette politique étrangère fondée sur la menace, l’intimidation et la puissance militaire, et modifier radicalement notre comportement dans le monde ? ». La majeure partie de la population n’est pas consciente que les actions d’Al-Qaïda sont motivées essentiellement par un fort sentiment anti-américain et un rejet de la politique étrangère américaine au Moyen-Orient.
Dans ce contexte, l’élection de Barack Obama promettait des améliorations. Ces attentes furent cependant tout à fait déçues. Il était clair que le nouveau Président n’avait ni l’intention de mettre en place un régime public d’assurance maladie universel ni de renoncer au militarisme. L’élection d’Obama a confirmé qu’au cours de l’histoire des États-Unis, les Présidents n’ont jamais permis à la société de s’améliorer. Seule la révolte publique, seules les revendications et les actions des gens ordinaires ont cette portée. Or, il semble que « les circonstances sont aujourd’hui tout à fait favorables à l’émergence d’un tel mouvement social, dont on constate déjà les signes avant-coureurs. »
2. La loi et la justice
Dans certains cas, afin de respecter la loi, il est parfois nécessaire de lui désobéir – spécialement lorsque cette dernière vous envoie à la guerre. Malheureusement, selon l’idéologie dominante, la loi est absolue et doit être inflexiblement appliquée, quel que soit le gouvernement qu’il l’a édictée, communiste ou fasciste. S’écarter de cette règle revient, toujours selon l’idéologie dominante, à accepter le chaos et l’anarchie.
Bien que l’obéissance absolue à la loi instaure temporairement un certain ordre, elle est loin de garantir la justice. En outre, l’injustice présente une menace importante pour les gouvernements. En effet, ceux qui en sont victimes, n’ayant pratiquement rien à perdre, sont susceptibles de provoquer de véritables révolutions – comme ce fût le cas des mouvements anti-esclavagistes au XIXe siècle.
Dans ces circonstances, que faut-il privilégier, la loi ou la justice ? La loi sert parfois la justice – lorsqu’elle interdit le viol ou le meurtre par exemple – mais, peut pousser dans le sens contraire en envoyant des jeunes à la guerre ou en punissant les pauvres alors qu’elle protège les riches. S’y opposer semble alors nécessaire.
D’autant que la désobéissance ne conduit pas nécessairement à l’anarchie. Les grandes manifestations des Noirs dans les années 1960 ont certainement contribué à ébranler l’ordre établi, mais, en définitive, ont permis une reconfiguration de l’ordre social plus juste. En revanche, l’obéissance absolue à toutes les lois peut mener à de graves désordres, l’Allemagne nazie constituant un exemple paradigmatique.
La loi américaine, dans une moindre mesure, porte également un potentiel de désordre, en consacrant des injustices flagrantes. Les sociétés modernes, fondées sur la primauté du droit sur l’arbitraire, devaient garantir une application démocratique du droit, qui s’applique de façon similaire à tous les individus. Cependant, cette nouvelle ère bureaucratique, caractérisée par le droit, n’a pas mis fin à l’inégal partage des richesses et du pouvoir.
Ce sont toujours les mêmes hommes blancs, riches et privilégiés qui adoptent les lois et président les cours où elles sont appliquées. Ces hommes détiennent un pouvoir véritablement discrétionnaire. Rien n’empêche la Cour suprême de rendre une décision au nom de libertés civiques, puis de les ignorer quelques jours plus tard. Cette « roulette social » a engendré de fortes disparités économiques, favorisant quiconque a les moyens d’acheter, de vendre ou de subventionner. Les rares victoires de la justice servent à maintenir une impression d’équité afin d’éviter un trop fort mécontentement qui pourrait menacer le bon fonctionnement du système. Veillant à maintenir les inégalités, les élites n’hésitent pas à utiliser le patriotisme pour intimider quiconque refuserait de se soumettre au gouvernement.
Le respect envers la loi n’en reste pas moins essentiel au développement de la société. Toutes les lois ne sont pas injustes. Cependant, « c’est un peu comme si l’on demandait aux enfants, au nom du fait que les pommes sont bonnes pour eux, de ne jamais refuser celles qui sont pourries, cela risquant de les amener à les rejeter toutes. […] Pourquoi ne pas faire confiance à l’intelligence humaine, apte à faire les distinctions qui s’imposent pour les lois aussi bien que pour les pommes ? ».
La désobéissance civile n’est pas une entrave à la démocratie ; au contraire, elle est lui est essentielle. Il s’agit d’une « nécessaire perturbation » afin de préserver l’ordre démocratique.
La politique étrangère américaine constitue le parfait exemple d’un déni de démocratie. À de nombreuses reprises au cours de l’histoire le peuple américain a soutenu des candidats qui promettaient qu’ils feraient tout pour éviter la guerre. Pourtant aussitôt au pouvoir, ils s’empressaient de faire le contraire. Par exemple, dès lors qu’elles sont mises en œuvre à l’insu du peuple américain, les “opérations de couverture”, opérations secrètes, sont parfaitement antidémocratiques.
Si chaque guerre a reçu sa part de critiques, celle du Vietnam se distingue des autres. Les attaques qui ont eu lieu au Vietnam ont suscité la colère des civils et d’innombrables actes de désobéissance civile au nom des millions de Vietnamiens tués parce que les États-Unis tenaient absolument à étendre leur influence en Asie du Sud-Est. Ces mouvements ont inquiété les responsables de l’appareil judiciaire américain, craignant que l’idée selon laquelle la justice est supérieure à la loi gagne en popularité.
Le psychanalyste Erich Fromm a écrit que « L’histoire de l’humanité a commencé par un acte de désobéissance, et il n’est pas improbable qu’elle se termine par un acte d’obéissance ». Or, « le mécontentement croissant, qui se manifeste par un rejet de la conscription et par des troubles sociaux dans les villes résultant de la conviction que le gouvernement néglige les problèmes nationaux, risque de provoquer une crise intérieure d’une ampleur inouïe ».
3. Du refus d’abandonner
À la fin du XXe siècle, de nombreux historiens ont étudié l’apparition d’un consensus progressiste-conservateur aux États-Unis. Herbert Marcuse a qualifié la société et la pensée américaine d’« unidimensionnelles », considérant, comme d’autres, qu’une transformation de la société américaine est peu probable. Mais, l’espoir n’est pas mort.
Tous les mouvements des droits civiques ont commencé par des actes de désobéissance civile. Deux semaines après que quatre étudiants noirs du Collège agricole et technique de Caroline du Nord ont refusé de quitter une cafétéria réservée aux Blancs, des actes de rébellion du même type ont lieu dans plus de quinze villes de cinq État du Sud. Quelques mois plus tard, plus de 50 000 personnes participaient à des manifestations de partout dans le pays.
Les campus sont aujourd’hui les principaux lieux d’actions politiques contestataires. Les étudiants, préoccupés par leur avenir, vivant dans un monde où le système économique est insensible à l’injustice sociale, sont plus susceptibles de se révolter que les autres. Howard Zinn conclut :
« Il va sans dire que l’histoire ne repart pas à zéro chaque décennie. Toute époque récolte les fruits d’époques précédentes. Les êtres humains, les écrits et toutes sortes d’agents de transmission portent leurs messages d’une génération à l’autre. Pour rester dans le coup, j’essaie d’être pessimiste, mais quand j’observe les décennies passées, il me semble que l’avenir, bien qu’incertain, est possible. »
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