La guerre en Ukraine fragilise toujours plus les arsenaux militaires occidentaux
publié le 21/08/2023 Par Marco Cesario sur le site ELUCID
Les États-Unis vont produire plus de 20 000 obus par mois cette année, et sans doute davantage en 2024. Cependant, le pays de l'Oncle Sam est aujourd'hui à court de munitions et selon Joe Biden, il s'agit d'un problème structurel. De l'autre côté de l'Atlantique, les industries européennes hésitent à faire de gros investissements, craignant que ces derniers partent en fumée si la guerre se termine. Les exigences de la guerre ont mis à rude épreuve les chaînes d'approvisionnement américaines et surtout européennes.
Depuis des mois, la guerre en Ukraine met sous pression l’industrie militaire américaine et européenne, dont la production ne parvient pas à suivre l’énorme consommation de munitions et de matériels nécessaires au soutien de l'armée ukrainienne. Face aux difficultés productives, certains pays occidentaux envoient depuis longtemps en Ukraine les armements déjà présents dans leurs arsenaux. Mais après plus d'un an et demi de combats, ces derniers sont proches d'être vides.
Les États-Unis – tout comme certains pays européens – sont désormais à court de munitions. C’est aussi pour cette raison que l’administration de Joe Biden a récemment approuvé l’envoi de bombes à fragmentation à l’Ukraine, malgré de grandes polémiques sur leur dangerosité pour les civils : elles font partie des rares types de munitions dont l’arsenal américain dispose en abondance.
La guerre en Ukraine a replongé l'Europe dans la réalité rudimentaire des guerres du XXe siècle, où l'un des éléments les plus importants reste la profondeur des arsenaux militaires. Or, à l'heure actuelle, en raison des choix effectués au cours des dernières décennies, les arsenaux des États-Unis et surtout de l'Europe ne sont manifestement pas assez profonds. « Les Ukrainiens sont à court de munitions », avait déclaré Joe Biden en juillet dernier. « Il s'agit d'une guerre de munitions. Ils sont à court de munitions et nous n'en avons pas beaucoup ».
Selon le Wall Steet Journal, les États-Unis ont fourni à Kiev plus de deux millions d'obus d'artillerie de 155 mm, et le Pentagone affirme que l'Ukraine consomme en moyenne 3 000 obus par jour. Selon l'armée américaine, les États-Unis augmentent leur production pour produire plus de 20 000 obus par mois cette année, et sans doute davantage en 2024. Mais les adversaires des États-Unis peuvent faire le calcul et comprendre que ces derniers pourraient avoir du mal à soutenir une guerre de longue durée. Joe Biden a invoqué des stocks limités pour justifier la rétention du système de missiles tactiques de l'armée, qui pourrait aider Kiev à frapper en profondeur les positions russes. L'administration laisse maintenant entendre qu'elle pourrait fournir les missiles alors que l'offensive estivale de l'Ukraine devient laborieuse.
Dans l'éventualité d'une guerre à Taïwan, par exemple, les États-Unis auraient besoin d'environ 1 200 missiles antinavires à longue portée, connus sous le nom de LRASM (Long Range Antiship Missiles). Or, les stocks américains ne comptent que quelques centaines de missiles de ce type, après des années de petites commandes. Néanmoins, le budget de défense pour 2024 poursuit l'augmentation constante sous la présidence Biden, et s'élève à 842 milliards de dollars, soit 69 milliards de plus que la requête pour 2023.
Le budget initial de l'administration Biden prévoyait des fonds pour l'achat de missiles sur plusieurs années afin d'exploiter les économies d'échelle. Mais l'opposition de certains élus Républicains a débouché sur un accord budgétaire qui, en échange du relèvement du plafond de la dette autorisé par le Congrès, limite l'augmentation des dépenses de défense pendant les deux prochaines années : le budget 2024 est plafonné à 886 Md$, tandis que celui de 2025 ne pourra progresser « que » de 1 % (soit... 895 Md$). Et le Congrès se querelle à présent au sujet de la part fixe du gâteau.
Le 10 août dernier, le président Biden a présenté une demande officielle détaillée pour un nouveau projet de loi de dépenses d'urgence de 40 milliards de dollars, qui comprend quelque 25 milliards de dollars d'aide à l'Ukraine.
En Europe, une course aux armements sans véritable stratégie
Armin Papperger, patron de la société allemande Rheinmetall, affirme que son entreprise peut rapidement faire passer sa production de 70 000 à 450 000 obus par an, voire davantage, après avoir récemment accepté d'acheter Expal Systems, un producteur espagnol de munitions. Rheinmetall est également en train de mettre en place une nouvelle usine de munitions en Hongrie. Olaf Scholz, le chancelier allemand, s'est engagé à consacrer 100 milliards d'euros supplémentaires à la défense dans les années à venir, mais aucune somme n'a été affectée à la reconstitution des stocks de munitions.
CSG, un fabricant d'armes tchèque qui a produit 100 000 obus l'année dernière, espère porter sa production à 150 000 cette année. Une entreprise norvégienne, Nammo, pourrait également augmenter sa production. Les anciens pays du Pacte de Varsovie envisagent même de rouvrir des usines pour fabriquer des munitions de 152 mm, afin que l'Ukraine puisse continuer à utiliser son artillerie soviétique. La Pologne a beaucoup investi dans les F-35, la nouvelle génération d'avions de combat, mais pas assez dans leurs munitions : en cas de guerre, elles seraient épuisées en quelques semaines.
Selon Seth Jones du Centre for Strategic and International Studies (CSIS), un groupe de réflexion américain, même si les taux de production s'accélèrent, il faudra plusieurs années pour remplacer les munitions que l'Ukraine a reçues et utilisées jusqu’à aujourd’hui. Francis Tusa, rédacteur en chef de Defence Analysis, estime que les membres européens de l'OTAN ne disposent probablement que de 10 % de ce qui serait nécessaire pour les premières étapes d'une guerre en Europe. Il estime à 20 milliards d'euros le coût de la constitution des stocks de l'Allemagne pour couvrir 30 jours de guerre de haute intensité.
Les exigences de la guerre ont ainsi mis à rude épreuve la chaîne d'approvisionnement américaine, mais surtout européenne. Effectivement, le problème d'approvisionnement d’armes se pose surtout en Europe, où les industries locales hésitent à faire de gros investissements : elles craignent qu'une fois la guerre terminée, les pays européens ne réduisent à nouveau leurs dépenses militaires, rendant ainsi inutiles les investissements réalisés. Mais l'Union européenne est tellement préoccupée par le risque d'une pénurie de munitions qu'elle a proposé la création d'un fonds de 20 milliards d'euros destiné à l'approvisionnement de l'armée ukrainienne.
La proposition n'impliquerait pas que l'UE paie directement les armes de l'Ukraine. Bruxelles aiderait plutôt les pays à couvrir leurs propres frais d'achat et de don d'articles tels que des munitions, des missiles et des chars. Elle participerait également au financement de la formation des soldats ukrainiens. Cette approche a été adoptée par l'UE peu après l'invasion de l'Ukraine par la Russie, mais la nouvelle proposition, rédigée par le service diplomatique de l'UE, donnerait un coup d'accélérateur à cette stratégie.
Tout cela témoigne d'un échec profond pour l'UE, qui s'est toujours présentée (avec insistance) comme un projet de paix sur le continent. La guerre en Ukraine a fait de la course aux armements l'activité favorite du projet politique européiste, sans qu'aucune véritable stratégie diplomatique en soit le guide. Cette course fragilise les arsenaux nationaux sans garantir qu'elle soit à même de favoriser une résolution plus rapide du conflit (qui devrait être notre seul objectif). Ironie du sort (et peut-être révélatrice), tout cela se fait par l'intermédiaire d'un fonds préexistant baptisé « European Peace Facility ». Orwellien ? Tout à fait.
Photo d'ouverture : Obus de chars sur la ligne de front dans la région de Donetsk, au milieu de l'invasion de l'Ukraine par la Russie, 19 août 2022 - Anatolii Stepanov - @AFP
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