La célébration de Mme Ernaux est devenue obligatoire. Le public suit. On attend juste le Nobel !
Article prémonitoire, rédigé par Frédéric Beigbeder en 2017 +commentaire de Danielle Bertrand
1°)- Thierry Blin : Evidemment d'accord pour estimer qu'une oeuvre peut être supérieure à son auteur. J'adore Céline. D'autres aiment Aragon qui était aussi une saloperie à sa façon.
Je vous offre donc une analyse de l'oeuvre par Frédéric Beigbeder en 2017, avec un esprit de prémonition avéré.
2°)- Frédéric Beigbeder : Annie Ernaux, l'écrivain officiel.
Il semble que la célébration de Mme Ernaux soit devenue obligatoire en France. Son dernier livre, Mémoire de fille, est unanimement salué par une critique béate. Le public suit. Les éditions Gallimard ont rassemblé son œuvre en un gros volume sous le titre : Ecrire la vie. La Pléiade est pour bientôt, le Nobel imminent, l'Académie s'impatiente, et ma fille l'étudie au lycée. Une suggestion à François Hollande: ouvrir le Panthéon aux vivants, spécialement pour Mme Ernaux. Seul Maxime Gorki a connu une gloire comparable, dans l'URSS des années 30. Il est permis de se méfier d'une telle sanctification collective.
Récapitulons: en un demi-siècle, Annie Ernaux a successivement écrit sur son père, sa mère, son amant, son avortement, la maladie de sa mère, son deuil, son hypermarché. Cette fois c'est sur son dépucelage raté durant l'été 1958, en colonie de vacances, quand elle s'appelait Annie Duchesne. L'événement est raconté à cinquante ans de distance avec un sérieux inouï. Ce qui est étonnant avec Mme Ernaux, c'est à quel point ses livres, qui ne cessent de revenir sur ses origines modestes, ne le sont pas.
C'est l'histoire d'un écrivain qui s'est installé au sommet de la société en passant sa vie à ressasser son injustice sociale. Ce dolorisme des origines révèle en réalité une misère de l'embourgeoisement. C'est comme si elle refusait d'admettre qu'elle s'en est très bien sortie. 2016 n'effacera jamais 1958.
Mme Ernaux invente la plainte qui frime, la lamentation sûre d'elle. C'est regrettable, car il y a des bribes à sauver dans ce galimatias autosatisfait : « C'était un été sans particularité météorologique » sonne très modianesque. Et cet autoportrait « au total une jolie fille mal coiffée » évoque Sagan. Mais Sagan n'aurait jamais ajouté : « Je la sais dans la solitude intrépide de son intelligence ». A chaque fois que Mme Ernaux trouve quelque chose de beau, elle le gâte par une explication de texte laborieuse. Autre exemple : « Elle attend de vivre une histoire d'amour » est une phrase charmante, qui contient tout, y compris la déception à venir. Pourquoi ajouter: « il faut continuer, définir le terrain - social, familial et sexuel » comme si l'on devait se farcir un commentaire composé du bac de français ? A force d'être statufiée, Annie Ernaux prend son lecteur pour un abruti. Elle annihile son talent en le noyant sous sa propre exégèse fascinée. On regrette l'écrivain qu'elle a failli être, le livre qu'elle a failli écrire, la légèreté qu'elle se refuse depuis cet été 1958.
Mémoire de fille, d'Annie Ernaux, Gallimard, 151 p., 15 €.
3°)-Daniele Bertrand :Pour solde de tout compte envers un Nobel de littérature dont on sait par avance, depuis sa création, qu'il ne récompense pas uniquement la qualité littéraire d'une oeuvre. Mais surtout a pour but de sanctifier l' influence sociologique du moment au travers de l' œuvre et l'auteur qui l'incarnent le mieux avec certains amis, admirateurs inconditionnels, qui en manifestant bruyamment leur satisfaction,rappellent que l' auteur n'a pas besoin d' ennemis détracteurs , (confert Sandrine Rousseau et autres sympathisants wokistes ).