La macronie, dictature ou totalitarisme !
Article rédigé le 9 janvier 2020 par Vincent Verschoore sur le Site Zerhubarbeblognet
Rien qu’à l’énoncé du titre j’entends de nombreuses voix disant « tu n’as qu’à aller voir en Corée du Nord, on en parlera après » pour disqualifier toute critique un peu sanglante d’un régime qui n’est, de toute évidence, pas directement comparable à celui des Kim. Mais faut-il attendre d’en arriver à la situation nord-coréenne (ou arabe ou autres du même acabit) pour oser la critique? Tous les états qui nous séparent de cet Etat-là sont-ils recevables car « moins pires » que lui? Evidemment non, d’autant qu’à force d’attendre il en arrive un jour à être trop tard.
La critique du macronisme existe, bien évidemment, mais il ne faut pas la confondre avec l’opposition à certaines mesures politiques, telle la réforme des retraites ou les Gilets Jaunes. Ces oppositions sont actionnées par des politiques perçues, pour l’essentiel, comme des attaques contre le niveau et la qualité de vie matérielle des personnes concernées. Les Gilets Jaunes sont le signe d’une population se sentant en voie de paupérisation du fait des politiques publiques, la révolte contre la réforme des retraites est avant tout un mouvement de protection d’acquis et de peur d’une paupérisation future. Les avocats en grève le sont pour des raisons diamétralement opposées aux cheminots par exemple, l’art de Macron étant en l’occurrence de se mettre tout le monde à dos mais pour des raisons différentes.
La question qui est posée dépasse l’aspect des luttes sociales, qui peuvent exister sous n’importe quel système politique. La question s’adresse à la nature fondamentale du système Macron, souvent décrit comme autoritaire ou comme une « démocrature », un terme bâtard initialement utilisé pour décrire les quasi-dictatures types russe, turque ou hongroise.
La critique du macronisme tend à mélanger allègrement autoritarisme, fascisme, totalitarisme, dictature etc (personnellement j’utilise souvent la référence mafieuse) mais il peut être intéressant d’essayer d’en revenir aux fondamentaux.
Le totalitarisme.
Le philosophe Claude Lefort proposa dans les années 80 un important travail sur la nature et les origines du fléau qui frappa l’Europe au début du XXème siècle: le totalitarisme, dont la déclinaison fasciste fut « inventée » par Gentile et Mussolini dans les années 20, pour se propager ensuite à l’Allemagne nazie et à l’URSS sous Staline, est un système qui réfute la séparation entre l’Etat et la société:
Le pouvoir politique irrigue la société, et toutes les relations humaines préexistantes – solidarité de classe, coopération professionnelle ou religieuse – tendent à être remplacées par une hiérarchie unidimensionnelle entre ceux qui ordonnent et ceux qui obéissent. Ceci est permis, en particulier, par l’association toujours plus étroite entre l’administration de l’État et la hiérarchie du parti, cette dernière devenant le pouvoir effectif. Lefort, comme d’autres théoriciens, identifie ainsi la destruction de l’espace public et sa fusion avec le pouvoir politique comme un élément-clef du totalitarisme…
… le projet d’un parti totalitaire est de se confondre avec l’État et la société en un système clos, unifié et uniforme, subordonné à la réalisation d’un projet.
La dictature.
Le totalitarisme diffère de la dictature au sens ou cette dernière implique que l’Etat n’est pas « la société » mais existe contre la société. La dictature accepte le fait de courants hors de son contrôle direct (notamment la religion) alors que le totalitarisme est religion et n’en tolère aucunes autres.
La dictature est une prédation de l’Etat sur la société, prédation maintenue en place par la police, l’armée et la corruption, alors que le principe totalitaire est que l’individu se dissolve dans l’idéologie étatique. « Fabriquer des âmes est bien plus important que fabriquer des chars », disait (à peu près) Staline (1).
La dictature n’a pas d’autre projet que la domination de ses élites sur un peuple soumis dont elles profitent abusivement. Le totalitarisme est un projet en soi qui ne vise pas spécialement l’enrichissement de ses dirigeants (et ne l’exclut pas non plus, restons sérieux) mais qui vise à la création d’une société parfaitement intégrée, parfaitement hiérarchique, un paradis de la servitude volontaire.
Dans une dictature le dirigeant est constamment entouré de gardes lourdement armés car il sait qu’il est l’objet de la haine populaire. Le dirigeant totalitaire doit pouvoir se balader en rue en serrant des paluches, sachant que les dissidents sont tous soit au goulag, soit morts. Hitler et Staline étaient par principe des dirigeants totalitaires, l’un le « meneur » du peuple, l’autre son petit père. Causescu par contre était un pur dictateur, tout comme de nombreux potentats de part le monde dont l’art premier est de transformer la sueur de leurs peuples en argent privé sur des comptes suisses.
Le Macronisme.
Revenons à Macron. D’abord, pourquoi se poser cette question? Parce que l’analyse de la prise de pouvoir d’Emmanuel Macron (2), outre le fait qu’il a bénéficié de circonstances favorables avec l’implosion de la gauche et l’explosion de la droite, relève d’une stratégie visant spécifiquement à permettre à l’élite économique et sociale française (celle étudiée notamment par les Pinçon-Charlot (3)) de prendre le pouvoir exécutif et législatif du pays. Ce, afin de le tourner à leur avantage sous couvert d’un projet politique de transformation sociale: la start-up Nation rationnelle, productive, efficace ou autrement dit, le rêve humide de tout technocrate, banquier ou actionnaire.
Non pas évidemment qu’il faille rechercher une société irrationnelle, improductive et inefficace (comme il en existe beaucoup là où la richesse sort toute seule du sol) mais l’efficacité rêvée par la Macronie, le projet de transformation sociale dont le but est de parvenir à cette efficacité, implique l’interdiction de tout choix alternatif.
Il faut s’adapter ou mourir, non pas parce que toute alternative serait objectivement impossible mais parce que seule celle-là garantirait la survie du groupe (la société) dans un monde qui serait soumis à des « lois » économiques indépassables. Position néolibérale à l’origine du TINA (there is no alternative) de Thatcher. Position darwiniste brillamment réfutée par Nietzsche à l’époque et aujourd’hui par Barbara Stiegler (4):
L’idée c’est qu’il y a ceux qui savent et sont environnés d’experts. Ils savent quel est le cap, quelle est la fin. Et il y a ceux qui ne savent pas, qu’il faut éduquer, rééduquer.
Le cap, ici, c’est qu’il y a une fin de l’évolution, le monde mondialisé.
L’idée de projet transformateur d’une société selon des lois perçues comme naturelles (la loi du marché mondialisé) ou divines (la loi de dieu) sont des idées totalitaires, au même titre que pouvait l’être un projet basé sur l’idée d’appartenance à une race supérieure (la loi du plus fort). Le macronisme est en ce sens un projet totalitaire qui, par définition, ne peut concevoir d’opposition interne. Ceux qui s’opposent sont soit trop cons mal informés et il faut leur « expliquer » façon Grand Débat, soit des « ennemis de la République » et il faut alors les intimider, les délégitimer, les enfermer voire les massacrer.
Le « management » étant tout autant au cœur du totalitarisme que de l’économie néolibérale si chère à la Macronie, on peut noter ce récent livre de l’historien Johann Chapoutot « Le nazisme a été une matrice du management moderne »:
Dans son essai «Libres d’obéir», l’historien met en lumière la conception non autoritaire du travail qui a prévalu lors du IIIe Reich, à l’opposé de son image uniquement policière et répressive. Ce système, fondé sur le consentement et la délégation de responsabilité, fait écho aux principes actuels de l’organisation du travail.
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