Jean-Claude Poirson, ancien militant de la Gauche Prolétarienne : "Aux jardin des utopies"
Présentation par Claude Vial du livre de souvenirs politiques rédigé par Jean-Claude Poirson, ancien militant de la Gauche Prolétarienne, édition Kaïros, 2023
Sous le pavé (de 367 pages), la rage !
Plusieurs fois il m’est arrivé d’échanger avec Jean-Claude Poirson dans les couloirs de France 3. Je le connais réalisateur de documentaires de talent. Un cinéaste respecté dans la profession puisqu’il est le récipiendaire de nombreux prix prestigieux.
D’habitude nous échangeons des politesses et des marques de sympathie quand nous nous voyons. Sauf la dernière fois où il est venu m’interpeller sur un terrain qui a suscité mon interrogation et de la méfiance : mes convictions politiques et syndicales.
Les hommes engagés, surtout ceux qui ont fréquenté « des courants alternatifs » ont le réflexe de ne jamais répondre à ces interrogatoires en renvoyant toujours leurs interlocuteurs dans leurs 22.
Jean-Claude Poirson avait parfaitement saisi mon trouble puisqu’il m’avait simplement dit : « je comprends Eric, c’est juste pour un livre ».
J’ai donc reçu « Au Jardin Des Utopies », chez Kaïros, éditeur nancéien (puisqu’il est de là), l’autobiographie de Jean-Claude Poirson avec cette dédicace : « À Éric Vial, sympathique homme de télévision qui a beaucoup de cœur et d’humanité ». Pour autant, je ne m’attendais à rien.
Je viens à l’instant de refermer le livre, je suis conquis.
Je découvre un homme aux mille vies, qui a traversé des aventures incroyables et surprenantes.
Qui peut soupçonner que derrière ce grand-père calme et tranquille, cette bouille sympathique et avenante, cette démarche un peu nonchalante qui donne forcément confiance, se cachent un ex-casseur de flics, un taulard habitué du mitard, un impulsif bagarreur, et un révolté incontrôlable ?
Car les révélations de Jean-Claude Poirson sont fracassantes. Il a été l’un des membres ouvriers les plus radicaux de la Gauche prolétarienne, le mouvement le plus violent issu de Mai 1968 : enlèvements de personnalités, destructions d’usine, subversions, déstabilisations et infiltrations dans les entreprises, organisations de grèves sauvages. Le mouvement avait la France à ses trousses.
Les objectifs de ces jeunes maoïstes, formés et financés par la Chine communiste : la révolution et la déstabilisation partout.
Il s’en est fallu de très peu pour que le groupe ne sombre pas dans la planification d’assassinats et d’actions terroristes comme avec les Brigades Rouges en Italie.
Heureusement, son dirigeant le philosophe Benny Lévy, refusa toujours l’inéluctable et l’impardonnable malgré la volonté de la majorité des militants de la Gauche Prolétarienne.
Le récit est haletant, enlevé, historiquement très intéressant, d’autant qu’il se déroule pour une grande partie dans l’Est de la France, de Nancy à Strasbourg, en passant par Sochaux, Mulhouse ou Florange.
Jean-Claude Poirson balance tout, sans doute parce qu’il y a prescription : les Jean-Luc Godard, Jean-Paul Sartre, Claude Buffet et Roger Bontems (qui seront condamnés à mort), l’assassinat du camarade Pierre Overney, le procès d’Alain Geismar, la violence policière, les interrogatoires à coups de latte dans les caves, la vengeance des gardiens de prison, les parodies de justice, les surveillances de la DST... C’est toute l’histoire post-soixante-huitarde qui défile.
Ça charcle, ça cogne, ça frappe, ça fait mal. Bienvenue dans les bas fonds de la République et de la misère sociale. C’est tellement fort que cela peut faire passer les émeutiers actuels pour des enfants du Bon Dieu.
Au milieu de tout cela, l’organe du mouvement maoïste, La Cause du Peuple, qui deviendra le Journal Libération. Les petites frappes maoïstes seront les premiers rédacteurs bénévoles du futur quotidien.
L’argument aurait pu en rester là, mais Jean-Claude Poirson parle aussi de sa rédemption : un long voyage initiatique en Asie, notamment en Inde et au Népal ; genre baba cool et flower power à plus de 4000 mètres d’altitude. Le mec voit des trucs très chelous.
C’est pourtant là que son esprit s’ouvre, qu’il rencontre le grand amour de sa vie. C’est là que tout se calme, que la colère s’arrête. La description du voyage est remarquable et passionnante. La transformation du déglingué en homme sage et responsable de ses actes, aussi.
« Au Jardin des Utopies » est finalement la grande épopée de nos parents. Le témoignage oculaire d’un homme qui a vécu l’échec d’une génération à bâtir un monde meilleur, plus juste, plus écologique ; d’un délaissé de la société qui a fait l’expérience de l’esprit.
« Voilà un homme riche », me suis-je dit à la fin de ma lecture. Riche d’une vie dense, pleine, et sans concession. Riche de ses rencontres, des ses rêves, et de l’expérience engrangée. Riche d’avoir sû trouver la paix et l’amour malgré les innombrables difficultés.
Ah non, je ne regarderai plus Jean-Claude Poirson de la même manière dorénavant. Ce type là est épatant, comme son livre.