J'AI REVE D'UN PAYS, QUI ARRACHE LE PEUPLE AU MALHEUR OPAQUE, OU IL S'ENFONCE EN CE MOMENT !
Article rédigé par Brigitte Bouzonnie le 10 juin 2016, à partir d'une citation de Louis Aragon
1)-ARAGON : "J'ai rêvé d'un pays. C'était dans une autre vie. J'ai rêvé d'un pays où il y avait fait grand vent. C'était dans un autre monde. J'ai rêvé d'un pays où le malheur était si fort si grand si noir que c'était comme un arbre immense entre le soleil et les gens. Alors un jour pareil à la plus profonde des nuits les bucherons se révoltèrent, et il n'y avait pas de scie assez grande ni de bras assez puissants pour trancher au pied l'arbre maudit. Mais les bûcherons s'y mirent tous ensemble, et c'était à la fin d'une guerre, et les champs étaient obscurs de vautours, et l'air empuanti d'hommes et de chevaux morts. J'ai rêvé d'un pays où les enfants et les femmes aidèrent les bûcherons à abattre le malheur. (...)
J'ai rêvé d'un pays où dans les bras rompus les hommes avaient repris la vie comme une biche blessée, où l'hiver défaisait le printemps, mais ceux qui n'avaient qu'un manteau le déchiraient pour envelopper de tendresse les pouces, j'ai rêvé d'un pays qui avait mis au monde un enfant infirme appelé avenir...J'ai rêvé d'un pays où toute chose de souffrance avait droit à la cicatrice et l'ancienne loi semblait récit de monstres fabuleux, un pays qui riait comme le soleil après la pluie, et se refaisait avec des bouts de bois, le bonheur d'une chaise, avec des mots merveilleux la dignité de vivre, un pays de fond en comble à se réécrire en bien.
Et comme il était riche d'être pauvre, et comme il trouvait pauvres les gens d'ailleurs couvert d'argent et d'or ! C'était le temps où je parcourais cette apocalypse à l'envers, fermant l'oeil pour me trouver dans la féerie aux mains nues, et tout manquait à l'existence, oh qui dira le prix d'un clou ? Mais c'étaient les chantiers de ce qui va venir, et qu'au rabot les copeaux étaient blonds, et douce aux pieds la boue, et plus forte que le vent la chanson d'homme à la lèvre gercée !
J'ai rêvé d'un pays tout au long de ma vie, un pays qui ressemble à la douceur d'aimer, à l'amere douceur d'aimer."(sic)
Murmure, nouvelle incluse dans l'ouvrage : "La mise à mort", édition Gallimard, 1965, édition de La Pléiade, pages 174 et 175.
2)-Brigitte Bouzonnie : Dans les années soixante, Aragon pose les bonnes questions : REVER D'UN AILLEURS, d'une autre vie possible, ou les femmes et les hommes auraient abattu l'arbre du malheur. Se seraient arrachés du malheur opaque, dans lequel ils s'enfoncent en ce moment. Telle est, à mes yeux, la seule question possible, essentielle à ce jour. A cent mille années lumière d'un fil d'actu de Facebook grossier. Fade. Ripoliné. Dépolitisé à mort. Vide de toute interrogation politique majeure sur le malheur des femmes et des hommes à survivre seulement. Quand je lis le fil d'actu, je vois la mort de Facebook, comme espace de liberté critique.
Nul doute que la loi sur les "faique niouzes", au-delà de son imposition arrogante de la Vérité et du Mensonge officiel, sa volonté de faire la peau aux blogueurs jugés trop critiques : c'est, plus profondément, de nous dégoûter à jamais de l'envie d'écrire sur le net. Faire de nous des êtres sans pensée, des êtres rampants aurait dit si justement Victor Hugo.
L'objectif est de nous priver de notre fonction essentielle : REVER D'UN AUTRE ESPACE DES POSSIBLES en lieu et place du capitalisme mondialisé occidental. Arrogant. Outrancier. Agressif ultra-libéral actuel. Mortifère. C’est à dire un projet pointant "hypothèse communiste" défendue par Alain Badiou et Alain Accardo, au motif que le capitalisme n’est pas réformable. Ce qui compte, c'est d'inventer un nouvel espace des possibles, où les gens sortiront de leur aliénation actuelle. Auront une vie décente. Avec un projet d'égalité sociale, l'écart entre les revenus n’excèdant pas le rapport de 1 à 10.
Nous discutions de cela avec mon amie Nathalie, qui disait très justement : "on connaît des alternatives au capitalisme non violentes. Comme à NDDL, où ils ont fait un laboratoire d'expériences économiques. Ils n'avaient pas l'air malheureux du tout. Le capitalisme outrancier et ultra-libéral que nous subissons depuis des années ne nous amène que la pauvreté, le manque d'enrichissement intellectuel et professionnel. Au lieu de pousser les gens à créer leur start up débile, des millions d'emplois dans les services, énergie verte, coopération, ça serait tellement plus valorisant et bon pour la planète" (sic).
Dans le même sens, on pointe la nécessité de créer 2 millions d'emplois dans le secteur dit "non marchand" : associations, mairies, hôpitaux, écoles, de nature à recréer du lien social entre les gens : initier les jeunes aux pratiques numériques, d'abord de façon ludique (openbidouille) puis "sérieuse" : apprendre à programmer. S'occuper des personnes âgées afin qu'elles ne finissent pas leur vie à l'EHPAD. Entretenir les espaces verts, apprendre aux jeunes à travailler et monter en qualification, réinsérer les chômeurs de longue durée, allocataires de minimas sociaux, chômeurs âgés de plus de 50 ans, travailleurs handicapés, femmes isolées avec enfants à charge...Toutes ces activités contribueraient à faire émerger une société de l'entraide et du partage, en rupture avec la culture libérale de l'individualisme forcené, que nous subissons tous depuis Giscard.
Pas de fausse joie : pour seulement appliquer ces mesures, il faudra que les gens descendent dans la rue, pour défendre leur nouvelle vie face à la cupidité des grands patrons. Tout comme en 1945, les réformes d'Ambroise Croizat (création du Comité d’Entreprise, de la sécurité sociale, retraite par répartition, création d'un vrai service public de l'emploi) n'ont été possibles, que parce que les communistes étaient armés. Prêts à descendre dans la rue si les patrons s'opposaient à ces réformes fondamentales.
Cette période, forcément transitoire, permettra aux gens de se reconstruire. Et d'avoir à titre personnel, pour eux et pour leurs enfants, un autre espace des possibles. Et dans la tête, des valeurs de coopération rompant une bonne fois pour toutes avec le champ de bataille de la concurrence libérale.