J-P Chevènement : « La globalisation est le triomphe du seul capitalisme financier !"
Excellent entretien avec Jean-Pierre Chevènement, réalisé avec Olivier Berruyer le 9 janvier 2012, republié le 9 janvier 2022 sur le site ELUCID
Jean-Pierre Chevènement analyse le tournant néolibéral des années 90, sous les auspices de l’UE et sous les yeux d’une gauche française étrangement consentante. Entretien inédit réalisé par Olivier Berruyer en 2012.
Né en 1939, Jean-Pierre Chevènement, ancien élève de l’ENA, a été affilié au PS pendant la majeure partie de sa carrière politique, avant de créer le Mouvement des citoyens (MDC) en 1993 et puis Mouvement républicain et citoyen (MRC) en 2003. Durant cette carrière politique riche, il occupe les fonctions de ministre de la Recherche et de l’Industrie (1981-1983), ministre de l’Éducation nationale (1984-1986), ministre de la Défense (1988-2000) et ministre de l’Intérieur (1997-2000).
Outre ces fonctions ministérielles, il a été élu député du Territoire de Belfort entre 1973 et 2002, avec des interruptions lorsqu’il intègre le gouvernement. Après la fin de son mandat de sénateur, de 2008 à 2014, il cesse d’occuper des fonctions électorales.
Olivier Berruyer (Élucid) : Comment jugez-vous ce mouvement de mondialisation mis en place sous la pression néolibérale des années 1990 ?
Jean-Pierre Chevènement : En mettant en concurrence les territoires et les systèmes sociaux, la « globalisation » est la source principale de l’accroissement des inégalités. Les exigences de rentabilité à 15 % entraînent les délocalisations notamment vers les pays à bas coût salarial et la baisse de l’emploi industriel dans la plupart des pays développés. Les gains de productivité sont confisqués par les actionnaires et la caste des hauts dirigeants.
Mais cette société du lucre n’est pas sans failles, lesquelles se creusent en profondeur : la stagnation de la masse des salaires conduit en effet à l’endettement des ménages, car à l’extension du paupérisme ou à la stagnation du pouvoir d’achat répond le développement du crédit à la consommation et des prêts immobiliers.
« On voit bien où est le principal gagnant : c’est le capital, ou plutôt l’union réussie des capitalistes de tous les pays. C’est le triomphe du capitalisme financier. »
Certes, le modèle de développement porté par le capital financier et l’investissement des firmes multinationales permettent logiquement aux pays dont l’avantage comparatif réside dans le faible niveau des salaires de croître plus vite que les pays anciennement industrialisés, où le coût du travail, à productivité égale, est au moins dix à vingt fois supérieur. Mais, on voit bien où est le principal gagnant : c’est le capital, ou plutôt l’union réussie des capitalistes de tous les pays. C’est le triomphe du capitalisme financier.
Et dans le même temps s’est développé le modèle de l’entrepreneur californien, le génial inventeur avec ses équipes de chercheurs à San Diego, Los Angeles ou dans la Silicon Valley qui délocalise sa production, fait travailler les gens pour le plus bas prix.
On assiste à ce moment-là à une vaste migration de l’appareil productif des vieux pays industrialisés d’Europe et des États-Unis vers les pays à bas coûts : la Chine, l’Europe centrale et orientale après la chute du mur de Berlin. La courbe de notre industrie montre que nous sommes passés de plus de 20 % de la valeur ajoutée dans l’industrie à un peu plus de 10 %. Nous avons perdu près de la moitié de notre industrie. L’indice de la production de l’industrie est stagnant pendant toute cette période.
On a chanté en France la société post-industrielle, les activités de services qui allaient prendre la place de la production matérielle. Ce choix a été fait par les grands groupes, et l’État a suivi. Avec le traité de Maastricht en 1992 on a créé la Banque centrale européenne ; la Banque de France a été dénationalisée. La BCE est devenue l’institution par laquelle les banques s’alimentent. Elle n’a plus à rendre de comptes à quelque instance élue que ce soit.
Le système se régule par lui-même, à travers les acteurs financiers et la course à la performance financière de la part des fonds de placement ou des fonds d’investissement. Du fait de la libéralisation et de la dérégulation totale, une dérive fantastique s’est instaurée dans la sphère financière avec la création de produits dits dérivés, ou structurés, CDS etc. Il n’y a plus ni contrôle ni responsabilités.
Pour prendre une image, le système néolibéral a échappé à son créateur comme une sorte de Frankenstein. Aujourd’hui, on ne sait plus sur quelle manette appuyer. François Hollande avait décrit son ennemi comme « la finance sans visage ». La finance est une chose anonyme sur laquelle on a difficilement prise. Et cette finance de l’ombre représente une masse d’actifs égale à ceux des banques officielles.
« La sacralisation par l’“Europe” met la finance au-dessus de la critique. »
O. Berruyer : Le modèle néolibéral actuel est un modèle laissez-fairiste. Même des libéraux, comme Maurice Allais, l’ont critiqué. Aucune règle ne restreint tous ces jeux spéculatifs proprement indéfendables. On cote des actions à la milliseconde pour faire des paris permanents sans aucun lien avec le financement des entreprises ou la détention du capital. Comment expliquer que le politique ait baissé les bras à ce problème ?
J-P Chevènement : Pour moi, tout cela n’a été rendu possible que par l’invocation de « l’Europe ». La sacralisation par l’« Europe » met la finance au-dessus de la critique. Quand j’ai appris, en 1989, lors d’un conseil des ministres, qu’on allait libérer les mouvements de capitaux, j’ai protesté, mais je me suis aperçu que j’étais tout seul et que tout avait été déjà arbitré.
Bérégovoy qui avait fait des réserves sur l’abandon de la clause d’harmonisation préalable de la fiscalité de l’épargne, s’est tu dès lors que cette décision avait été prise par Mitterrand. C’était en 1989, mais avant la chute du mur. Le règlement de la monnaie unique et de la banque centrale s’est fait avant la chute du mur ; il a été entériné au conseil européen de Madrid en juin 89. C’est la perspective de la monnaie unique qui, dans l’esprit du Président de la République, justifiait la dérégulation et l’acceptation des thèses allemandes.
« Il n’était pas besoin d’être grand clerc pour comprendre que dans une économie qui croit à 3 % par an, l’exigence d’une rentabilité à 15 % n’était pas indéfiniment tenable. »
O. Berruyer : On sait pourtant depuis Keynes ou même Rueff ou Allais que la liberté absolue de circulation des capitaux est dangereuse. On s’est aussi engagé à imposer une liberté de circulation des capitaux entre l’Europe et le reste du monde de façon unilatérale...
J-P Chevènement : Le PS a embrassé très tôt la doxa néolibérale. Jacques Delors dès 1981 et à sa suite François Mitterrand, en 1983, considérait qu’ils ne pouvaient pas aller contre le vent dominant, à savoir Tchatcher et Reagan. En 1984 et 1989, on a basculé dans le modèle néolibéral avec l’Acte Unique, la monnaie unique et l’élargissement à l’est de l’Europe.
À cela s’est ajoutée la création de l’OMC en 1994 qui a remplacé le GATT. On est allés vers une érosion complète des barrières commerciales. Un douanier de Delle (commune du Territoire de Belfort limitrophe avec la Suisse) me disait que la moyenne du tarif douanier était à 14 % en 1992 ; aujourd’hui, elle est de 1 ou 1,5 %.
Mais vingt ans après qu’en Europe eut été décidée la complète libéralisation des mouvements des capitaux, le principe du capitalisme financier s’est retourné contre lui-même. Il n’était pas besoin d’être grand clerc pour comprendre que dans une économie qui croit à 3 % par an, l’exigence d’une rentabilité à 15 % n’était pas indéfiniment tenable.
Plus profondément, les dérèglements du capitalisme financier expriment un déséquilibre fondamental : l’économie américaine vit depuis longtemps très au-dessus de ses moyens. Il était quand même paradoxal que l’économie la plus riche du monde capte 80 % de l’épargne planétaire, à commencer par celle des pays les plus pauvres.
La véritable fuite en avant des États-Unis dans l’endettement eut été inconcevable si elle n’avait pas été orchestrée. C’est la finance américaine, en effet, qui est à l’origine de cette course folle, elle qui depuis toujours délègue ses hommes à la tête de l’administration du Trésor et de la Fed.
Et pour se dédouaner, ils nous ont ensuite servi la fable de la « crise morale » du capitalisme. Il fallait, pour mieux sauver le système, le « moraliser ». Ce fut Nicolas Sarkozy qui exprima cette thèse avec le plus d’éloquence. Dans son discours de Toulon en septembre 2008, il fit en effet très fort. Il flétrit avec une telle violence l’« immoralité » du capitalisme financier qu’il en laissa sans voix la gauche française.
Celle-ci avait trop attendu des dividendes du même capitalisme financier pour avoir le réflexe de s’étonner : le capitalisme a-t-il jamais été « moral » ? Or, cette critique « morale » était faite pour occulter les causes fondamentales de la crise et dévier la colère des victimes vers une poignée de spéculateurs. Elle arrangeait ceux qui avaient mis ou laissé mettre en place un système où aucun frein institutionnel n’entravait plus la cupidité de capitalistes cooptés, se distribuant sans retenue salaires faramineux, stock-options, bonus extravagants, retraites chapeaux et parachutes dorés.
La gauche fut comme prise à revers par la violence et l’audace même du discours sarkozyste. Elle ne pouvait, et pour cause, poser la seule bonne question : qui, en effet, avait fait sauter les « freins institutionnels » censés « moraliser » le capitalisme, sinon elle-même ? Au-delà de la responsabilité des banquiers et des traders, il y avait celle des politiques, celle des pouvoirs publics, qui ont dérèglementé à tour de bras, non pas depuis hier, mais depuis trois décennies. Là était l’indicible ! Sans compter la responsabilité de tous les grands prêtres du « marché » ayant sévi sur toutes les tribunes et dans tous les médias.
Mais je le répète, cette critique « morale » vise avant tout à exonérer le système lui-même et à occulter des problèmes autrement plus fondamentaux. Les marchés financiers, en effet, sont toujours debout. Ils prétendent, plus que jamais, tout régenter. Le paradigme néolibéral qui présuppose l’efficience des marchés inspire aujourd’hui les mêmes politiques qui ont conduit à la crise : compression des salaires au nom de la flexibilisation du marché du travail, libéralisation du commerce international, accroissement de la concurrence, privatisation des services publics, etc.
« C’est comme cela que toute la gauche européenne, convertie au social-libéralisme, se retrouve aujourd’hui piégée par la crise du capitalisme financier au principe duquel elle s’est ralliée sur les autels de la déesse “Europe”. »
Ainsi, trente ans après l’ouverture de la parenthèse libérale de mars 1983, la gauche française se trouve-t-elle doublement piégée : par l’économie et par la géopolitique. Ses choix libéraux l’ont conduite dans le mur. Ses choix européistes lui ont mis la corde au cou. Ce qui rend le piège si efficace, c’est la confusion délibérément entretenue entre la nécessaire union des peuples européens et les formes qu’a prises, de manière apparemment irréversible, la construction européenne.
Comment remettre en cause la globalisation financière, l’attitude inquisitoriale de la Commission européenne prohibant les aides d’État et toute esquisse de politique industrielle, ou encore la polarisation de la Banque Centrale Européenne sur le seul objectif de la lutte contre l’inflation, dès lors que ces orientations, visiblement dépassées, sont adossées à des textes européens souvent anciens (1987, 1992), mais dont les engagements ont été encore renouvelés par le traité de Lisbonne ?
Les classes dirigeantes européennes ont choisi la mondialisation. Ce choix, qui paraît irréversible, répond à l’intérêt économique des multinationales européennes qui réalisent à l’étranger une fraction croissante et aujourd’hui prépondérante de leur chiffre d’affaires et de leurs profits. Il répond aussi à l’intérêt des couches sociales les plus favorisées, celles qui détiennent des actifs financiers. Que cet intérêt « de classe » entre en contradiction ouverte à travers les délocalisations industrielles, avec celui des couches populaires de la majorité du salariat et avec l’avenir même des peuples européens, permet-il d’entrevoir une solution démocratique ?
C’est comme cela que toute la gauche européenne, convertie au social-libéralisme, se retrouve aujourd’hui piégée par la crise du capitalisme financier au principe duquel elle s’est ralliée sur les autels de la déesse « Europe ». C’est cette conversion intime qu’il faut comprendre si on veut la corriger.
Pourquoi Mitterrand a-t-il laissé faire ?
François Mitterrand était sans doute sincèrement « européen » au sens où l’étaient les hommes de sa génération, marqués par le désastre de deux guerres mondiales. La plus grande partie des socialistes, des démocrates-chrétiens et la droite libérale s’étaient ainsi ralliés d’emblée au dessein de Robert Schuman et de Jean Monnet.
« Plus jamais ça ! » signifiait pour François Mitterrand : plus jamais ces affrontements de peuple à peuple, et d’abord entre la France et l’Allemagne. Il avait raison de vouloir les associer dans une œuvre commune. Il était profondément patriote, mais il ne voulait pas seulement être « l’Homme de la France ». Le rôle avait déjà été tenu, et De Gaulle, dans celui-ci, était insurpassable. Non, François Mitterrand voulait être « l’Homme de l’Europe », celui de l’avenir.
Mais sa contradiction intime a été d’avoir voulu faire de l’Europe un mythe de substitution au projet de transformation sociale qui l’avait porté au pouvoir en 1981, cela, en épousant le néolibéralisme alors triomphant, avec les résultats que l’on voit aujourd’hui, contrairement aux aspirations initialement suscitées.
L’Europe, telle qu’elle a été présentée à l’opinion au moment du référendum sur le traité de Maastricht, n’a pas été au rendez-vous (voir mon livre « Le Bêtisier de Maastricht », aux Éditions Arlea, 1997). Bien loin de servir de contrepoids au néolibéralisme anglo-saxon, l’Europe telle qu’elle s’est faite lui a servi de cheval de Troie sur le continent.
Ce qu’on ne dit pas, c’est qu’elle a été conçue pour cela. Le texte des traités en fait foi. Leur relecture est consternante. Là est la faute originelle. Tous ceux qui se disent "européen" aujourd’hui, parce que, selon François Mitterrand, "l’Europe, c’est la paix", se sentent du parti du “Bien”, veulent avant tout être de “bons européens”. L’Europe, croient-ils, les sanctifie. Ils le font si sincèrement et avec une telle bonne conscience qu’il est très difficile de leur expliquer que, en croyant choisir l’Europe, ils ont surtout choisi la globalisation financière et la mondialisation libérale — ils ne peuvent pas accepter cette triste vérité.
La gauche française croyait en 1981, tel Christophe Colomb, découvrir les Indes — le socialisme —, mais elle a en fait découvert l’Amérique — le néolibéralisme. Même si l’environnement international n’était pas favorable, rien n’obligeait les socialistes français à opérer ce tournant néolibéral ni à aller aussi loin : l’Acte unique européen et la libération totale des mouvements de capitaux, y compris vis-à-vis de pays tiers, ou l’abandon de la clause d’harmonisation fiscale préalable qui figurait dans le traité de Luxembourg. De même que la loi de libéralisation financière, qui anticipait, dès 1984, le futur marché unique. Tout cela était une manière de mettre Margaret Thatcher au cœur de la construction européenne, et d’abandonner l’Europe, pieds et poings liés, au capitalisme financier.
En critiquant ces choix, je n’ignore pas l’existence du monde extérieur, mais on n’était pas obligé d’appliquer toutes les règles du modèle néolibéral. On aurait pu maintenir quelque chose ressemblant à une économie mixte. L’État pouvait garder la maîtrise de quelques mécanismes de régulation essentiels. La Corée du Sud n’a pas abandonné « l’État stratège ». L’idéologie néolibérale a fait admettre comme vérité d’évangile que, grâce à la désintermédiation bancaire, les entreprises s’alimenteraient à plus faible coût sur les marchés financiers.
On est quand même bien loin des aspirations des électeurs de 1981…
Le mirage européen a fait perdre à la gauche française de vue le peuple français. Elle n’est guère armée pour comprendre le monde qui vient. Il lui faudrait d’abord décrypter sa propre histoire pour pouvoir en inventer une autre. De même, depuis la mort du général De Gaulle, la droite s’est progressivement détournée de la nation et ne s’est pas encore avisée que l’identité est seulement ce qui reste quand on a abandonné la souveraineté.
Et encore… La droite de Jacques Chirac — je le crois — n’aurait pas osé aller aussi loin que les socialistes dans la voie de la dérèglementation financière et dans la soumission au principe de la concurrence. Jacques Chirac aurait-il de lui-même conçu d’abandonner la souveraineté monétaire de la France ? J’en doute…
Tout ceci n’est probablement pas ce que voulait François Mitterrand. Il est vrai que ce n’est peut-être pas la fin de l’Histoire. Jamais autant qu’aujourd’hui nous n’aurions eu besoin d’une France assurée d’elle-même, capable de faire contrepoids à l’Allemagne dans l’intérêt de l’Europe et de l’Allemagne elle-même. La France manque.
Et donc l’Allemagne impose benoîtement ses choix comme une chose allant de soi : monnaie forte, croissance tirée par l’exportation, inflation tendant vers zéro, déficit budgétaire aussi réduit que possible, sont pour elle, des vérités expérimentales. Cette "doxa" économique ferait se retourner dans sa tombe John Maynard Keynes…
« Ainsi, l’Europe d’aujourd’hui est "germanocentrée" — même si, en France, c’est encore un gros mot, mais c’est l’évidence même ! »
De même pour l’adhésion européenne des pays de l’Est ; le mythe européen créait un véritable "droit" à l’adhésion. L’Union européenne honora sans la discuter cette "créance" et admit en son sein des pays dont le niveau des salaires était huit fois inférieur à la moyenne des siens…
L’Allemagne, devenue « numéro un » en Europe, selon le mot du chancelier Kohl, voyait dans l’adhésion de ces pays l’occasion de reconstituer son Hinterland naturel, la MittelEuropa d’autrefois. Les investissements allemands s’y multipliaient déjà depuis longtemps, reconstituant ainsi un réseau d’entreprises sous-traitantes pour l’industrie allemande.
Ainsi, l’Europe d’aujourd’hui est "germanocentrée" — même si, en France, c’est encore un gros mot, mais c’est l’évidence même ! Depuis vingt ans — sauf dans deux domaines : la défense et les relations extérieures —, l’Allemagne impose comme naturellement ses choix qu’il s’agisse des contours de l’Europe, de la politique économique et monétaire, et, bien sûr, de son organisation interne.
Bien sûr, la France peut proposer, mais c’est aujourd’hui l’Allemagne qui, en dernier ressort, dispose. Enfermés dans un logiciel fédéral éculé, les socialistes méconnaissent depuis toujours le rôle des nations en Europe, et par conséquent le rôle que la France devrait y tenir pour mettre un peu de raison dans cette construction.
Là est le principal résultat d’engagements pris, il y aura trois décennies et même davantage, par les élites françaises, toutes tendances confondues, et maintenues contre vents et marées par tous les gouvernements, tous justes bons à se renvoyer la balle et les responsabilités le temps d’une élection. Après tant d’efforts et de sacrifices demandés au pays pour entrer dans le royaume enchanté de l’euro, nos élites ne sont plus capables aujourd’hui de proposer d’autres issues que de persévérer envers et contre tout dans une voie manifestement erronée.
Helmut Schmidt disait en plaisantant : « Quand un homme politique prétend avoir une vision, je lui recommande d’aller voir un psychiatre ». Tel n’est pas mon avis… François Mitterrand, me semble-t-il, avait pris « la mesure de la France », comme disait Drieu la Rochelle en 1922 déjà. Il ne croyait plus qu’elle pouvait à nouveau jouer un rôle dominant sur le continent. Je reviens toujours sur cette confidence qu’il me fit en avril 1979 : « La France ne peut plus, hélas, à notre époque, que passer à travers les gouttes ». Il avait ajouté : « Cette idée est au fond la seule chose qui nous sépare vraiment ».
Propos recueillis par Olivier Berruyer le 19 novembre 2012