Hitler froid, hyper calculateur, ou l’intelligence aigüe à faire le Mal
Article rédigé le 28 août 2022 par Brigitte Bouzonnie, à partir de la très belle biographie rédigée par François Delpla : "Hitler, biographie", édition Grasset, 2000
Hitler est une énigme. Une boite noire. Un “diamant noir”, pour reprendre le mot d’Alexandre Adler, auteur d’une très belle préface à la biographie non moins superbe que François Delpla consacre à l’ex caporal autrichien. Rappelons-le, celui-ci à ce titre d'encadrant envoyait chaque jour à la mort de masse les soldats allemands pendant la première guerre mondiale. “Ce sont eux (dont Hitler) qui surent convaincre les plèbes enregimentées de faire quotidiennement le sacrifice de leur vies, comme ils étaient prêts eux même à le faire” écrit Alexandre Adler dans la préface de ce livre. Triste mort industrielle parfaitement décrite dans un chapitre à peine soutenable rédigé par l’historien Jacques Pauwels, dans son ouvrage intitulé : “1914-1918, La grande guerre de Classe. Deuxième édition mise à jour, édition Delga, 2016.
Nul doute que Hitler a été aidé dans son entreprise du Mal. Par les banques, par exemple, la banque Jean-Pierre Morgan. Celle-ci n’hésita pas, dès les années vingt, à donner des millions à Hitler et sa bande, alors totalement inconnus, mais dont elle appréciait le violent bellicisme anti français. Les entreprises, Krupp bien sûr. Mais aussi ITT, FORD, BP, toutes les entreprise américaines, grandes amies de Goering, qui produisirent de façon quantitativiste avions, camions, armes et pétrole à l’armée allemande jusqu’à la fin de la guerre, c’est à dire jusqu’en 1945 : information rare donnée par Jacques Pauwels dans sa vidéo sur "le mythe de la bonne guerre".
Mais cela n’explique pas tout. La psychologie de Hitler est aussi déterminante. Et c’est tout le fil rouge de l’ouvrage de François Delpla, qui sort vraiment du lot. Hitler a voué son existence au Mal, par un parfait mépris de la vie des autres. Il lui a consacré toute son intelligence. L’ouvrage de François Delpla est en rupture totale avec toute une historiographie à deux balles nous présentant Hitler comme un simple produit des circonstances. Une mince feuille de contre plaqué, manipulée par les forces économiques notamment. L’auteur montre que Hitler savait exactement ce qu’il faisait, à la triple croche près.
François Delpla s’appuie notamment sur l’excellent ouvrage rédigé par un historien suisse : Philippe Burrin, intitulé “Hitler et le génocide juif” (1989). Hitler a procédé au génocide juif, dans la maturation de l’été à l’automne 1941, voyant ses rêves de conquête à l’Est se briser les uns après les autres, au vu de la résistance inattendue des troupes soviétiques. En effet, et même si cela n’explique pas tout et n’exonère pas les soviétiques d’une grande habileté à combattre, Staline et le Peuple soviétique n’ont pas hésité à sacrifier TROIS ARMEES de jeunes hommes, pour résister à l’avance de la Wermacht. Sans parler bien sûr des 20 millions de civils morts subis par l’URSS. Staline avait toujours sur lui un petit carnet : le nombre de troupes en réserve à verser sur le front en tant que de besoin (cf ouvrage de Jean Lopez et Lasha Otkhmezuri : “Barbarossa. 1941, la guerre absolue, tome 1, livre de poche, 2019).
Mais revenons au livre de Burrin : il a été écrit sur la bases des notes très précises rédigées par Bormann, des longs discours tenus par Hitler à Berstesgaden et ailleurs. Loin de relever de la folie, Burrin prend très au sérieux ces longues digressions, renseignant utilement sur les arrière-pensées de Hitler.
Hitler a beaucoup réfléchi sur les conditions de possibilité concrètes de la solution finale. Il fallait obligatoirement être en temps de guerre, dans un moment où la vie humaine ne vaut plus rien (cf ses souvenirs de tranchées).
Il fallait aussi ne jamais en parler. Jamais laisser de traces écrites. Tous les ordres devaient être donnés de façon orale. Silence que Hitler observait soigneusement en public. Ainsi, F Delpla raconte l’anecdote raconté par Albert Speer dans son journal de Spandau : “Hitler s’avança jusqu’à la fenêtre, tandis que nous restions derrière lui. Je me rappelle, je ne sais pourquoi, que la pièce était très silencieuse. Et il déclara soudain devant cette fenêtre nous tournant le dos : “Messieurs, les ponts sont brûlés derrière nous”. Il le dit très calmement., presque indifférent, sans emphase ni grandiloquence. Je sentis un frisson glacé me parcourir l’échine. Je me souviens très clairement avoir eu un sombre pressentiment, l’impression soudaine de quelque chose d’effroyable…Je pense aujourd’hui qu’il voulait parler de ce qu’il avait fait aux juifs” (sic). On voit toute la mise en scène, la façon ultra euphémisée utilisée par Hitler, lorsqu’il voulait parler publiquement de la solution finale.
Inversement, la Wermacht est beaucoup plus diserte. C’est avec beaucoup de surprise que j’ai appris, que les responsables de la Wermacht rédigeaient des textes écrits sur le sujet. Notamment Adolf Heusinger, chef de la section des opérations de l’armée de terre allemande, chargé de préparer l’invasion de l’URSS et “les modalités pratiques de son occupation” : terme feutré pour parler de la Shoah par balles tuant un million de personnes. Donc Heusinger et autres responsables de la Wermacht n’ont pas respecté ses ordres, comme le montre l’ouvrage de Eric Branca : “Le roman des damnés. Ces nazis passés au service des vainqueurs après 1945”, édition Perrin, 2021. Branca pointe le “rôle de nettoyage politique et ethnique dévolu à la SS, massacres de masses aux fins de “sécuriser” les arrières de la Wermacht (en réalité mettre en oeuvre ni plus ni moins la solution finale rêvée par Hitler). Impunité assurée pour les militaires qui liquideraient les civils. Ces principes, édictés par le dictateur (Hitler) et transposés en "directives officielles" à l’issue de la réunion d’état major du 30 mars 1941, sont intégrés à la planification dont Heusinger est responsable : notamment le décret Barbarossa ou Gerichtsarbeitserlass (décret de juridiction).
-Comprenant que la guerre était perdue, il est important de citer un autre geste ordonné par Himmler l’été 1944 afin d’éliminer toutes traces : il fait liquider toutes les chambres à gaz et les crématoriums, notamment au camp d’Auchwitz-Birkenau. Sans parler des horribles marches de la mort en janvier 1945. Lorsque les russes débarquent le 27 janvier 1945, ils ne trouvent plus que l’infirmerie et les blessés qui s’y trouvent : notamment Primo Lévi, auteur de “Si c’est un homme”. Et Joseph Bialot, futur auteur de romans policiers, auteur d’un livre bouleversant sur Auchwitz : “C’est en hiver que les jours allongent”.
-Autre épisode intéressant raconté par la secrétaire de Hitler elle-même. A Berstesgaden, la femme d’un dignitaire nazi s’indigne devant Hitler de ces trains remplis de femmes et d’enfants promis à une mort certaine. Ce qui, au passage, montre que la Solution finale n’était pas aussi secrète que l’aurait voulu son initiateur. Hitler rentre dans une colère terrible. Il lui reproche “sa sensiblerie”(sic). Euh, si on n’est pas sensible à la mort de masse de millions d’êtres humains, alors cela veut dire que nous ne sommes plus des êtres humains dignes de ce nom. Il lui dit, qu’elle ne comprend rien à la Politique : sous entendu : que lui, Hitler, a passé des heures et des heures à réfléchir à l’extermination des juifs. Et surtout comment y parvenir. Naturellement, après cette algarade, la femme du dignitaire nazi ne fut plus jamais invitée à Berstesgaden.
Ce témoignage de première main sur ce qu’a dit Hitler de la Shoah montre encore une fois, non pas sa folie, mais son intelligence aigüe, hélas raisonnée du Mal.
Je m’inscris radicalement en faux (François Delpla aussi) sur une supposée “banalité du mal”(sic) défendue par l’idéologue Hanna Arendt. Je ne comprends pas le succès planétaire de Arendt. Au cours de l’émission “Intelligence service” 2022, sur France Inter, on entend un document sonore de Arendt, disant elle-même qu’elle ne s’expliquait pas son propre succès. Je ne comprends pas son succès sur les réseaux sociaux, sensés réfléchir de façon critique, mais dont chaque facebookien reprend les mots, comme parole d’évangile, pour s’exonérer de réfléchir par eux même. Mon explication du succès de ses théories hors sol ? C’est que Arendt n’était pas communiste. Elle était inoffensive pour la CIA avec ses propos médiocres, sans cesse infirmés par la réalité.
Sa banalité du mal exposé à l’occasion du procès d’Eichmann en 1961, c’est aussi une façon soft de réhabiliter le nazisme : dans une décennie justement violemment anti nazie. En effet, au même moment, triomphe une analyse radicalement opposée à celle de Arendt : il s’agit du succès de l’ouvrage très rigoureux, très précis, violemment anti nazi rédigé par Jacques Delarue, résistant, ex commissaire de police, et qui parle de Goering et Himmler de collègue à collègue : “Histoire de la Gestapo”, édition Fayard, 1962. Livre traduit en 17 langues, couronné par le Prix littéraire de la Résistance et le prix Aujourd’hui en 1963.
Voilà pourquoi la Cia, où de nombreux responsables nazis ont été recrutés après guerre, a promu Arendt comme philosophe du XXème siècle, afin d’imposer une autre mémoire de Hitler, plus dépassionnée. Plus fausse.
A juste titre, Alexandre Adler parle “de thèse malhonnête et venimeuse”(sic). Claude Lanzmann aussi, qui n’était pas un débutant dans la connaissance de la solution finale, se mettait très en colère contre Arendt et sa prétendue banalité du mal. Il racontait comment, les jours de beau temps, quand le train arrivait à Auchwitz, les Kapos aidaient de façon galante les futurs détenus et promis à la chambre à gaz un quart d’heure après, à descendre du train. Ce qui montre le cynisme XXL des nazis, toute leur existence vouée à faire le mal. “Cet édifice prodigieux, la Gestapo, laissait dans les mémoires le souvenir d’un instrument de terreur, ayant accumulé la plus incroyable sommes de souffrances et de larmes”(sic) écrit fort justement Jacques Delarue en conclusion de son ouvrage.
Inversement, Hitler développait un cynisme de haut vol, un mépris absolument total de la vie humaine. François Delpla écrit de façon lucide : “on fait ainsi de la nuit des longs couteaux (30 juin 1944) un déchainement de fureur aveugle, alors que chacun de ces meurtres a été minutieusement pesés, et dans la perspective d’un remodelage de la société allemande qui a un sens ( pour lui)” (sic).
“Le crime, dans le IIIème Reich, n’est pas un principe ou un système. C’est une mission précise et datée, donnée à un individu ou à un groupe par le Führer directement ou par une courte chaine d’intermédiaires” (sic).
“Le nazisme est tout entier ordonné vers un remodelage du monde, où le meurtre n’est qu’un moyen parmi d’autres, mais indispensable. Dans ce projet, l’ethnie juive est incontestablement la plus visée” (sic).
F Delpla montre aussi, comment dès 1919, Hitler a patiemment pensé la solution finale. Il écrit : “Dès cette époque, il traite des millions d’hommes de parasites et de bacilles. Le fait de les arroser, des année après avec des substances mortelles ne saurait s’expliquer par les seule circonstances contemporaines. Le massacre était prévu de longue date” (sic).
Dans son horrible entreprise du Mal, Hitler était donc un homme hyper calculateur. Pour lui, la durée était abolie : seul compte le résultat. Précis dans son mode opératoire (le primat du secret). Toujours concret. Il manifeste une intelligence aigûe du Mal, auquel il a consacré toute son existence. Comme aurait dit Brassens (Mourir pour des idées), nous faire mourir en masse aura été sa seule raison de vivre.
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