HANNAH ARENDT : "EICHMANN À JÉRUSALEM"
Présentation du livre rédigé par Hannah Arendt : "Eichman à Jérusalem", effectuée par els équipes d'ELUCID le 7 juillet 2023 arguant d'une supposée "banalité du mal"
Cet ouvrage est une source de réflexion inépuisable pour qui veut penser le régime nazi, le totalitarisme, ainsi que le génocide juif. À travers le parcours de l’ex-officier nazi Adolf Eichmann, on découvre peu à peu l’incroyable banalité du mal du parti nazi.
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Ce qu’il faut retenir :
Les crimes de masse, les génocides, peuvent reposer sur l’action d’hommes qui non seulement n’ont pas agi directement, mais qui n’ont également ni senti ni pensé leurs agissements. Cette « banalité du mal » est bien visible dans la personne d’Adolf Eichmann, ex-officier nazi qui a organisé la déportation de millions de juifs durant la Seconde Guerre mondiale. Bureaucrate moyen, celui-ci n’a jamais réellement pris conscience de ses actions, y compris lors de son procès. Il a de même toujours eu l’impression de faire son devoir et d’obéir aux ordres.
L’histoire d’Adolf Eichmann nous montre que les crimes de masse, et le mal de manière générale, ne sont pas seulement perpétrés par des bourreaux fanatiques et sanguinaires. Ils sont également le fait de simples exécutants, de simples fonctionnaires et administrateurs dont la tâche est d’obéir à des ordres et à une législation en vigueur. Apprenant progressivement à ne plus penser, à ne plus sentir ce qu’ils font, ils deviennent alors les rouages terribles de machines meurtrières prêtes à exterminer des peuples entiers, tels que le peuple juif.
L’ouvrage nous enseigne également que le génocide juif a été une entreprise monstrueuse dont la mise en œuvre a reposé sur la quasi-totalité des corps politiques et administratifs du IIIe Reich, à une échelle sans précédent, celle du continent européen.
Il faut ainsi revoir les notions traditionnelles de « droit international » et de « crime contre l’humanité » pour les adapter au caractère sans précédent du génocide juif, ce qu’a peiné à faire le tribunal chargé de juger Eichmann.
Biographie de l’auteur
Hannah Arendt (1906-1975) est une politologue allemande de confession juive. Élève et disciple d’Heidegger, elle étudie à l’université de Heidelberg. En 1933, elle est arrêtée par la Gestapo. Elle décide alors de s’exiler aux États-Unis où elle passera la majeure partie de sa vie. Après la Seconde Guerre mondiale, elle s’engage auprès de groupes de réfugiés juifs et milite pour l’établissement d’un foyer juif en Israël. À partir de 1963, elle commence à enseigner les sciences politiques à l’université de Chicago. Elle meurt à New York en 1975 d’une crise cardiaque.
Si elle a pu être qualifiée de « philosophe », Hannah Arendt soulignait elle-même que sa vocation n’était pas la philosophie, mais la théorie politique. Elle se disait donc « politologue ».
Avertissement : Ce document est une synthèse de l’ouvrage de référence susvisé, réalisé par les équipes d’Élucid ; il a vocation à retranscrire les grandes idées de cet ouvrage et n’a pas pour finalité de reproduire son contenu. Pour approfondir vos connaissances sur ce sujet, nous vous invitons à acheter l’ouvrage de référence chez votre libraire. La couverture, les images, le titre et autres informations relatives à l’ouvrage de référence susvisé restent la propriété de son éditeur.
Plan de l’ouvrage
Chapitre I. La cour
Chapitre II. L’accusé
Chapitre III. Un spécialiste de la question juive
Chapitre IV. La première solution : l’expulsion
Chapitre V. La deuxième solution : La concentration
Chapitre VI. La solution finale : le meurtre
Chapitre VII. La conférence de Wansee, ou Ponce Pilate
Chapitre VIII. Les devoirs d’un citoyen respectueux de la loi
Chapitre IX. Les déportations du Reich
Chapitre X. Les déportations d’Europe occidentale
Chapitre XI. Les déportations des Balkans
Chapitre XII. Les déportations d’Europe centrale
Chapitre XIII. Les camps de la mort de l’Est
Chapitre XIV. Preuves et témoins
Chapitre XV. Le jugement, l’appel, l’exécution
Épilogue
Post-Scriptum
Synthèse de l’ouvrage
Chapitre I. La cour
La cour du tribunal chargé de juger Eichmann se compose d’un procureur et de trois juges. Ils sont tous les quatre des juifs israéliens. Les juges font preuve lors du procès d’une attitude particulièrement neutre et professionnelle vis-à-vis du prévenu, l’ex-officier nazi Adolf Eichmann. Le procureur a en revanche une attitude plus partiale et est là pour « représenter le peuple juif et ses souffrances », attitude qui peut être critiquée et déplorée.
L’objectif du gouvernement israélien de David Ben Gourion lorsqu’il décide d’organiser ce procès est de « donner une leçon » à la fois aux juifs israéliens, à la diaspora juive, ainsi qu’aux non-juifs. Il s’agit de conserver la mémoire du génocide juif auprès des jeunes générations israéliennes, de montrer aux juifs non israéliens que seul l’État juif peut les protéger contre les crimes antisémites, et, enfin, de rappeler au monde ce qu’a vécu le peuple juif tout en pointant la responsabilité des autres États – pas seulement de l’Allemagne.
Malheureusement, ces leçons sont vaines. Les juifs du monde entier n’ont pas besoin du procès d’un ancien nazi pour être convaincus de la réalité de l’antisémitisme. En outre, les victimes de la Shoah sont victimes au même titre que les autres proies du régime nazi. Enfin, la dichotomie juifs/non-juifs présentée par le gouvernement est dangereuse, car Israël fait désormais partie, en tant qu’État, d’une pluralité de nations. Cette dichotomie est donc fortement réductrice.
L’attitude du gouvernement israélien contraste avec celle des gouvernements allemands d’après-guerre. Ces derniers ont hésité à poursuivre certains dignitaires nazis et lorsque ceux-ci ont été condamnés, les peines ont été très peu sévères. Cela vient notamment de la difficulté à juger les hommes qui, pour certains, ont continué à travailler pour l’Allemagne de l’après-guerre.
Chapitre II. L’accusé
Selon la défense d’Eichmann, il était innocent parce qu’il n’avait tué aucun juif de sa main, mais avait seulement obéi à des ordres, à des « actes d’État » selon les termes de son avocat. Eichmann ne se sent donc pas coupable devant la loi, parce qu’il a toujours obéi à la loi de son pays qu’était l’Allemagne. Au cours de l’audience, il répète plusieurs fois qu’il n’avait jamais voulu faire le mal simplement pour faire le mal. Il n’est pas antisémite, assure-t-il.
Adolf Eichmann est né en 1906 à Solingen en Rhénanie (Allemagne). Élève médiocre, il bénéficie de l’appui de son père pour trouver du travail. Par la suite, il obtient un poste de représentant de commerce à Vienne en Autriche. Ce poste lui a été offert grâce à l’intervention d’un parent éloigné de confession juive. Eichmann continuera par la suite à entretenir des relations avec les juifs. Il aura d’ailleurs pendant la guerre, une maîtresse juive.
Au début des années 1930, Eichmann décide de quitter son emploi pour s’engager dans l’armée. En 1932, bien que dépourvu de toutes convictions idéologiques, il est invité par un ami à adhérer au parti national-socialiste et à intégrer la SS.
En somme, les débuts de carrière d’Eichmann se caractérisent par un certain arrivisme, malgré de faibles capacités intellectuelles.
Chapitre III. Un spécialiste de la question juive
En 1934, Eichmann intègre la SD, qui fait office de centre de renseignements et de recherches de la police secrète d’État, la Gestapo. Très rapidement, il est affecté au service des « affaires juives ».
Dans un contexte où l’Allemagne met en place les premières lois discriminantes à l’égard des Juifs allemands (lois de Nuremberg adoptées en 1935), Eichmann participe à la planification et à la coordination de l’émigration des juifs allemands. Il est ainsi amené à collaborer avec le mouvement juif sioniste et à lire Theodor Herzl, le plus grand théoricien sioniste.
De son expérience pendant la guerre jusqu’à son procès, Eichmann a pris pour habitude de fonctionner avec des « clichés », c’est-à-dire des images et des pensées toutes faites qui lui servent à se rassurer et à se conforter dans son action. Il n’est pas le seul. Ces clichés ont été soit produits par les dirigeants nazis, soit autoproduits par les Allemands. Ils leur permettent de s’extirper de la réalité. Eichmann fonctionne ainsi : par « automystification », toujours dans le but de se protéger face aux conséquences morales de son action.
Chapitre IV. La première solution : l’expulsion
Eichmann participe avant la guerre à l’émigration de juifs en Palestine ou dans des pays frontaliers de l’Allemagne, en coordination avec des organisations juives sionistes.
Il se distingue surtout en dirigeant le centre d’émigration juive autrichien à partir de 1938. Il est plusieurs fois loué par Himmler pour son efficacité à faire émigrer les populations juives autrichiennes.
À ce titre, Eichmann entretient des liens forts avec des dirigeants sionistes. Ceux-ci rapportent que celui-ci s’est toujours correctement comporté avec eux, mais que son attitude a changé lorsqu’il a été promu au grade d’Obersturmbannfuhrer (lieutenant-colonel) en 1941. Il est alors devenu beaucoup plus autoritaire.
En 1939, Eichmann est affecté au centre pour l’émigration juive de Prague en Tchécoslovaquie pour quelques mois. Puis il est nommé à la tête du Centre du Reich pour l’émigration juive. Ce poste n’est pas une véritable promotion puisque l’émigration s’avère être un procédé insuffisant pour régler la « question juive » et le sort des millions de juifs qui sont désormais intégrés au « Reich » du fait des conquêtes de l’Allemagne nazie à partir de 1939. (NB : Le Reich comprend l’Allemagne nazie ainsi que plusieurs États annexés ou intégrés politiquement et militairement à partir de 1938 comme l’Autriche, la Tchécoslovaquie, l’ouest de la Pologne, etc.).
Chapitre V. La deuxième solution : La concentration
En 1939, le service auquel appartenait Eichmann depuis 1934 fusionne avec les services de police (dont la Gestapo). Ces organismes constituent désormais le RSHA (Office central de sécurité du Reich) dirigé au début par Heydrich. À partir de 1941, Eichmann dirigera l’un des nombreux bureaux du RSHA, le bureau IV-B-4 chargé de la question juive. Eichmann joue alors le rôle d’un simple d’exécutant. Il acquiert un rôle déterminant uniquement parce que la « question juive » devient de plus en plus déterminante au fur et à mesure de la guerre.
À la tête de ce bureau, Eichmann tente de mettre en place des projets d’émigration de la population juive. Il tente d’abord de créer un territoire d’émigration juive à l’est de la Pologne. Ce projet échoue rapidement. Par la suite, Eichmann propose l’évacuation de quatre millions de juifs sur l’île française de Madagascar, mais le projet échoue lui aussi.
Eichmann organise ensuite l’émigration de certaines catégories privilégiées de juifs (personnalités juives, anciens combattants, conjoints juifs de mariages mixtes, etc.) jusque dans la ville tchèque de Theresienstadt. La ville doit faire office de camp de concentration pour ces catégories. Les conditions de vie y sont cependant meilleures que dans les autres camps. Dès sa création, le camp est sous l’autorité de Eichmann.
Chapitre VI. La solution finale : le meurtre
La « Solution finale » désigne le projet d’extermination des juifs d’Europe décidé par Hitler à la suite de l’invasion de l’URSS en juin 1941 et organisé concrètement à partir de la conférence de Wansee qui se tient en janvier 1942.
C’est Heydrich, le directeur du RSHA, qui informe Eichmann de la décision prise par Hitler. Pour mettre en œuvre ce projet d’extermination, des règles de langage sont préconisées. On parle non seulement de « solution finale », mais aussi d’« évacuation » ou de « traitement spécial » pour désigner la déportation et l’extermination des juifs. Ces règles de langage permettent aux nazis d’euphémiser la réalité et d’invisibiliser l’extermination des juifs aux yeux d’éventuels observateurs extérieurs.
Ces règles de langage n’empêchent pas Eichmann de douter de la légitimité de son action lorsqu’il assiste à de véritables scènes d’horreur. Malgré cela, Eichmann a toujours effectué son « travail » avec le plus grand zèle, et n’a jamais entrepris de renoncer à sa fonction ou de désobéir, ce qui était de toute façon très compliqué. Au procès, son avocat a invoqué un certain nombre de circonstances atténuantes, qui se sont finalement toutes révélées fausses.
À partir de la fin de l’année 1941, Eichmann organise des déportations de juifs vers les « centres de mise à mort » de l’Est, au départ d’Allemagne notamment. Il n’y eut quasiment pas de résistance à la déportation de juifs allemands au sein de la population allemande, bien que certains fonctionnaires nazis aient eu du mal avec l’idée d’exterminer des juifs de culture allemande. Concernant le sort des juifs de culture non germanique, les résistances ont été inexistantes. Les mouvements d’opposition à Hitler, tous très faibles, ne se sont jamais emparés de cette question et s’opposaient davantage à la personne d’Hitler et à sa gestion militaire. Les Allemands qui contestaient la solution finale ont pourtant bel et bien existé, mais n’ont pas pu s’exprimer.
Les premières chambres à gaz ont été construites en 1939 et servaient à l’élimination de « malades incurables » et d’Allemands handicapés. À partir de 1941, les chambres à gaz des camps de concentration et d’extermination de l’est de l’Europe sont construites. Rapidement, elles ont été considérées par la population allemande comme une technique médicale permettant de tuer sans faire souffrir. Ainsi, selon plusieurs témoignages, certains Allemands étaient prêts à être tués par le gaz en cas de défaite de l’Allemagne.
Chapitre VII. La conférence de Wansee, ou Ponce Pilate
La conférence de Wansee est organisée en janvier 1942 dans la banlieue de Berlin par Heydrich. Elle réunit différents corps administratifs nazis et doit permettre de planifier l’organisation logistique de la « solution finale ». Elle permet aussi de discuter de certains « problèmes juridiques complexes » tels que l’extermination des « demi-juifs » et des « quarts de juifs ».
Eichmann a fait office de secrétaire de réunion. Il a également préparé le discours d’introduction de Heydrich. Il a favorablement accueilli la décision d’exterminer les juifs d’Europe. Il a notamment déclaré : « J’ai eu l’impression d’être une espèce de Ponce Pilate, car je ne me sentais absolument pas coupable ». Il a ajouté qu’il n’avait aucunement son mot à dire sur la question.
Eichmann est alors peu à peu devenu un spécialiste de « l’évacuation forcée », c’est-à-dire de la déportation. Il s’est notamment occupé des questions logistiques, c’est-à-dire de l’acheminement des juifs vers les centres de mise à mort à partir des différents pays européens. Son action s’est étendue de l’Europe occidentale à l’Europe orientale en passant par l’Allemagne.
Dans cette tâche, Eichmann, et les nazis de manière générale, ont été aidés par des dirigeants des communautés juives des différents pays européens. Rassemblés en « Conseils Juifs », ces derniers ont contribué à l’enregistrement des juifs puis à leur déportation. Sans leur appui, la déportation aurait été une tâche beaucoup plus difficile à mener. Les membres de ces « Conseils juifs » pensaient qu’en contribuant à la déportation de certains juifs, ils pourraient en sauver d’autres ce qui s’est avéré être un calcul absolument vain.
Chapitre VIII. Les devoirs d’un citoyen respectueux de la loi
Eichmann a toujours eu le sentiment d’être un citoyen faisant son « devoir », obéissant aux « ordres » et à la « loi ». Il a toujours mis en adéquation son action et la volonté des dirigeants nazis. Au procès, celui-ci déclare même que son incapacité à « faire des exceptions » et à transiger est la preuve même qu’il n’a rien fait d’autre qu’obéir aux ordres de ses dirigeants.
À certains moments, Eichmann est même allé plus loin que ses supérieurs préconisaient. À la fin de la guerre, Himmler a tenté de limiter le rythme des déportations et de mieux considérer les juifs afin de faire bonne figure face aux Alliés, mais Eichmann n’a jamais suivi son supérieur, car il était persuadé que celui-ci allait contre la volonté d’Hitler. De cette attitude zélée, n’a jamais résulté un quelconque « fanatisme ». Elle lui était seulement dictée par sa conscience et par sa volonté d’obéir aux ordres d’Hitler.
Au procès, Eichmann a ainsi expliqué qu’au sein du IIIe Reich, « les paroles du Führer avaient force de loi » ce qui signifie également que les ordres d’Hitler n’avaient même pas besoin d’être écrits pour être appliqués. Ces « paroles » étaient même plus que de simples ordres, car elles n’avaient aucune limite dans le temps et dans l’espace.
Chapitre IX. Les déportations du Reich — L’Allemagne, l’Autriche et le Protectorat
Eichmann servait de « courroie de transmission ». Son bureau organisait le transport des Juifs, c’est-à-dire leur déportation vers les camps de concentration et d’extermination. Le bureau qu’il dirigeait déterminait combien de juifs pouvaient et devaient être déportés d’un endroit à l’autre. Cette tâche de coordination n’était pas simple, car la déportation des juifs était gérée par toute une nébuleuse d’organisations et de services parfois en concurrence les uns les autres, ce qui n’a néanmoins jamais amoindri leur efficacité.
Les déportations de juifs allemands commencent en 1940 pour acquérir une ampleur considérable à partir de la fin de l’année 1941. Toutes les déportations vers l’Est étaient gérées par le bureau d’Eichmann. Celui-ci s’appuyait sur des forces de police pour encadrer les déportés et les remettre aux autorités des camps. Une série de lois portant notamment sur le port de l’étoile jaune, sur la déchéance de nationalité des juifs allemands qui se trouveraient hors du Reich ou sur la confiscation de leurs biens en cas de déchéance de nationalité sont mises en place au même moment.
Chapitre X. Les déportations d’Europe occidentale — France, Belgique, Allemagne, Hollande, Italie.
En juin 1942, Eichmann commence à planifier la déportation à partir des pays d’Europe occidentale. La priorité, telle que définie par Himmler, était de déporter les juifs français et les juifs étrangers résidant en France. La collaboration du régime de Vichy et sa « compréhension du problème juif » laissaient penser que la déportation des juifs français pourrait se faire efficacement. Les premières déportations ont concerné des juifs émigrés n’ayant pas la nationalité française. Par la suite, le gouvernement allemand demanda l’autorisation de déporter également les juifs français. Le gouvernement de Vichy refusa dans un premier temps et les juifs français, après l’avoir appris, tentèrent de se cacher un peu partout en France. Leur déportation fut donc un échec.
De même, en Belgique, la déportation des juifs belges fut également un échec, beaucoup ayant fui ou été protégés, contrairement aux juifs non belges, massivement déportés.
En Hollande, ce sont également les juifs immigrés non hollandais qui ont été déportés les premiers. Les juifs hollandais, contrairement aux Français et aux Belges, ont été également déportés et tués en masse, malgré quelques mouvements de résistance. La déportation massive de juifs étrangers et de juifs hollandais s’explique par l’existence d’un puissant mouvement nazi en Hollande et par le concours de certaines autorités juives notamment pour la déportation des juifs étrangers.
Dans les pays scandinaves comme la Norvège, le Danemark, la Suède ou la Finlande, les gouvernements, plus ou moins indépendants du régime nazi, ont globalement cherché à entraver la déportation des juifs par l’Allemagne. Au Danemark, la royauté a ouvertement protégé la population juive et le gouvernement a encouragé la fuite d’un grand nombre de juifs vers la Suède. Les autorités allemandes sur place se sont également distinguées par leur volonté d’entraver la déportation.
En Italie, le gouvernement fasciste de Mussolini a accueilli des réfugiés juifs dans les territoires français, grec et yougoslave sous son autorité. Le gouvernement italien et la population italienne étaient globalement contre l’idée de déporter les juifs italiens et très peu ont été effectivement déportés. À partir de 1943, les autorités allemandes forcèrent les Italiens à créer des camps de concentration dans le nord du pays puis à déporter les juifs vers Auschwitz, mais la proportion de juifs déportés fut très faible par rapport à la population juive italienne.
Chapitre XI. Les déportations des Balkans — Yougoslavie, Bulgarie, Grèce, Roumanie.
En Croatie, un grand nombre de juifs ont été déportés et tués, mais une catégorie d’« Aryens d’honneur » fut créée comprenant les juifs riches et très bien assimilés. Ces catégories ont pu échapper à la déportation.
En Bulgarie, aucun Juif n’a été déporté et le gouvernement comme la population se sont montrés hostiles à toute idée de déportation. Cela s’explique notamment par le soutien apporté par de nombreux Bulgares à l’égard d’une population juive assimilée et intégrée depuis longtemps.
En revanche, la quasi-totalité de la population juive grecque et au moins la moitié de la population juive roumaine ont été déportées et tuées. Les Roumains ont même créé leurs propres camps et la population roumaine a organisé de nombreux pogroms, avant même que l’Allemagne prenne la décision de déporter les Juifs roumains.
Chapitre XII. Les déportations d’Europe centrale — Hongrie et Slovaquie.
La Hongrie est restée à l’écart de la « solution finale » jusqu’en 1944, date à laquelle le pays est envahi par l’Allemagne. La déportation des Juifs de Hongrie a été un processus lent et difficile pour Eichmann qui s’est rendu plusieurs fois en Hongrie à cette période, car les Alliés approchaient des frontières hongroises et Roosevelt lui-même avait mis en garde les Hongrois concernant la déportation des juifs. Un certain nombre de juifs ont tout de même été soit déportés, soit envoyés en Allemagne pour servir de main-d’œuvre.
En Slovaquie, les juifs ont été déportés en masse avec l’accord du gouvernement. À plusieurs reprises cependant, le gouvernement slovaque refusa les déportations, malgré des pressions allemandes qui finirent par l’emporter.
Chapitre XIII. Les camps de la mort de l’Est
Du point de vue des Allemands, l’Est comprenait la Pologne, les États baltes et les territoires russes occupés.
Au cours du procès, la question de savoir si Eichmann avait un pouvoir de décision et d’organisation sur les territoires de l’Est a été longuement débattue. Certains témoignages laissaient penser qu’Eichmann disposait d’un pouvoir considérable, ce qui n’était pas véritablement le cas. Après la discussion sur la participation d’Eichmann aux fusillades de masse perpétrées par les troupes mobiles de SS, les Einsatzgruppen, il s’est avéré qu’Eichmann n’avait rien planifié directement, mais s’était contenté de rédiger des rapports adressés à ses supérieurs concernant les exécutions menées par ces groupes.
Certains ont supposé qu’Eichmann avait contribué à la déportation des juifs présents dans les ghettos de Pologne. En réalité, ce sont principalement des dirigeants SS qui s’occupaient de la déportation des Juifs polonais. Il semble donc qu’il n’ait joué ici aucun rôle. Certains témoignages ont également laissé entendre qu’il aurait eu une autorité considérable sur les camps d’extermination, alors que, dans les faits, il n’a jamais été habilité à décider qui devait être déporté et qui devait être orienté vers les chambres à gaz ou vers le travail forcé au sein des camps eux-mêmes.
En réalité, les populations juives de l’Est n’entraient pas véritablement dans le cadre de la « Solution finale ». Leur destin avait été scellé par Hitler avant même le déclenchement de la guerre. L’élimination des populations juives de l’Est, notamment des Juifs polonais, entrait dans le cadre d’une politique démographique qui consistait à « nettoyer » les territoires de l’Est afin de libérer des territoires vides pour l’Allemagne.
Chapitre XIV. Preuves et témoins
La défense d’Eichmann a été une tâche difficile. Son avocat n’a pas pu faire appel à des témoins, car ceux-ci auraient été sous le coup de la condamnation en Israël. De même, il a eu du mal à réunir les documents nécessaires à sa défense et aucun contre-interrogatoire des témoins à charge n’a pu être mené.
La plupart des témoins réunis par l’accusation ont profité du procès pour s’épancher sur leur destin personnel. Les faits directement liés au cas d’Eichmann ont parfois été délaissés.
Certains témoins ont fait part de leur expérience dans les camps de concentration. Le cas de Theresienstadt, camp tchèque sous l’autorité de Eichmann, a été évoqué par plusieurs témoins. Il s’avère que nombre de catégories privilégiées de juifs présentes dans le camp ont finalement elles aussi été déportées. Un juif polonais présent au procès a raconté son expulsion d’Allemagne en 1938. Les Allemands avaient décidé de retirer leur nationalité aux juifs polonais présents sur le territoire allemand. Un autre témoin a raconté comment un sergent allemand, Anton Schmidt, était venu en aide à son groupe de résistants juifs en Pologne.
L’œuvre de destruction et d’extermination des nazis n’a pas réussi à plonger dans l’anonymat les victimes. En effet, « il y a trop d’humains en ce monde pour rendre l’oubli possible ».
L’acte d’Anton Schmidt révèle quant à lui que, dans des conditions de guerre et de terreur, la plupart des personnes décideront de s’incliner, mais pas toutes. Cela est la preuve que notre planète reste « habitable pour l’humanité ».
Chapitre XV. Le jugement, l’appel, l’exécution
À la fin de la guerre, Eichmann est capturé par des soldats américains et placé dans un camp SS. Il réussit à s’en évader au début de l’année 1946 et se cache près de Hambourg sous une fausse identité. En 1950, une organisation clandestine de vétérans SS l’aide à obtenir un faux passeport et à partir en Argentine où il s’établit dans la banlieue de Buenos Aires. Il est rejoint quelques années plus tard par sa femme et ses enfants.
En 1960, il est capturé par les services secrets israéliens et transféré clandestinement en Israël. Eichmann n’oppose pas de résistance et semble avoir accepté d’être jugé en Israël. Il a de même très rapidement coopéré en donnant quantité de détails sur ses activités passées. Il a expliqué son attitude en disant qu’il voulait aider les nouvelles générations d’Allemands à déculpabiliser vis-à-vis des actions de leurs « pères ».
Le jugement est prononcé le 11 décembre 1961, 8 mois après le début du procès. Il est reconnu qu’Eichmann a commis des crimes « contre le peuple juif », c’est-à-dire des crimes « contre les juifs dans l’intention de détruire le peuple juif ». Cependant, ce jugement ne prend pas en compte la période précédant l’année 1941, date à laquelle la « Solution finale » commence à être planifiée.
Eichmann est aussi reconnu coupable de « crimes contre l’humanité » commis contre des juifs avant la Solution finale ainsi que contre des non-juifs. Sont également reconnus comme des « crimes contre l’humanité » ses agissements contre les juifs à partir de l’année 1941.
Pour ces crimes, Eichmann est condamné à la peine de mort. Le jugement reconnaît que, bien qu’Eichmann n’ait pas directement tué, il a bel et bien participé à des massacres de masse. Sa position éloignée par rapport aux victimes en fait d’autant plus un criminel que « le degré de responsabilité augmente au fur et à mesure qu’on s’éloigne de l’homme qui manie l’instrument fatal de ses propres mains » selon l’expression utilisée par les juges.
Eichmann décide de faire appel. Le jugement de la cour d’appel est plus sévère encore et déclare que sans le « zèle » de Eichmann, la « Solution finale » n’aurait pas eu les mêmes conséquences. La cour d’appel déclare aussi qu’Eichmann agissait sans ordre supérieur. Eichmann est à nouveau condamné à mort et exécuté le 1er juin 1962.
Épilogue
Trois objections ont été faites à l’encontre du procès de Eichmann. Certains ont objecté qu’Eichmann était jugé avec une loi rétroactive et qu’il comparaissait devant les vainqueurs de la guerre. Certaines critiques ont été émises à l’encontre de la compétence du tribunal lui-même ainsi qu’à l’égard de la capture de Eichmann et de son caractère illégal. Enfin, certains ont défendu l’idée qu’un tribunal international aurait dû être compétent, puisque le crime d’Eichmann n’était pas seulement contre le peuple juif, mais contre l’humanité.
Le procès d’Eichmann a porté uniquement sur les crimes commis contre les juifs. Cependant, ce n’est pas la première fois que cela arrivait, plusieurs pays européens ayant jugé des crimes commis contre les juifs auparavant.
Puisque le génocide juif a constitué un crime contre le peuple juif, mais aussi contre la diversité humaine, condition fondamentale de l’humanité, il aurait été préférable qu’un tribunal international juge Eichmann.
Le caractère sans précédent du génocide juif peut néanmoins « constituer un précédent pour l’avenir ». Le crime contre l’humanité est un acte dont la potentialité est amenée à demeurer dans l’humanité. Le risque est d’autant plus grand, qu’à une époque où de nouveaux procédés techniques apparaissent, ce genre d’acte se banalise. Tout génocide et tout peuple victime d’un génocide doivent donc être pris en charge par le droit international et se placer sous la protection de la communauté des nations. Le tribunal de Jérusalem qui a condamné Eichmann a globalement échoué à prendre en compte ces considérations fondamentales.
Le tribunal a également échoué à admettre qu’Eichmann n’avait pas directement fait le mal ni même senti qu’il le faisait. Il n’a pas de même pas reconnu qu’il n’avait été qu’un simple exécutant obéissant. Reconnaître cela aurait rendu le jugement plus juste. Cela n’aurait néanmoins pas empêché de condamner Eichmann à mort, car, par son obéissance, celui-ci a soutenu une politique d’extermination menée contre un peuple dans sa globalité.
Post-scriptum
La publication du présent ouvrage a engendré un certain nombre de controverses. Pour Arendt, la plupart de ces controverses se sont écartées de l’objectif du livre qui consistait à saisir l’action d’un homme à travers un contexte historique qui n’était là que pour aider à la compréhension de cette action.
Arendt considère qu’il était important de juger Eichmann non en tant que symbole de quelque chose qui le dépasse, mais en tant qu’homme singulier.
Elle rappelle également ce qu’elle entend par « banalité du mal » : cela permet de comprendre qu’Eichmann n’avait aucune intention ni conviction bien précise au moment de ses agissements. Il s’est plutôt distingué par une absence totale de pensée et de conscience des événements. Cependant, cette « banalité » propre à Eichmann n’est pas si ordinaire.
Dans le cas d’Eichmann, son absence de pensée et de conscience a été provoquée par des « ordres supérieurs » et par une obéissance aveugle à une machinerie bureaucratique. On serait ainsi tenté de penser que les concepts juridiques en vigueur sont vains dans ce genre de cas et que la justice elle-même est dépassée. Cependant, les quelques hommes qui ont désobéi pendant la guerre se fiaient bel et bien à leurs consciences et à leurs jugements individuels.
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