Excellent article sur les « rebelles modérés syriens », pactisant avec les coupeurs de tête d’Al Qaida !
Source : je remercie mon amie Monika Karbowska de m'avoir communiqué cet article collector rédigé par Marc Baugé. A diffuser.
De la Syrie à l’Ukraine – L’art occidental de maquiller ses démons.
En Syrie, les « rebelles » sectaires « modérés » pactisent avec les coupeurs de tête d’Al Qaida. En Ukraine, les gros bras à Croix Gammée nous sont servis en valeureux « défenseurs de Marioupol ». Quand le terroriste est l’ennemi de l’ennemi du système occidental, la terreur s’habille de douceur. Inspection au long cours des fabriques de l’Ouest.
Conditionner les masses, c’est un métier ; l’illusionnisme, un travail de patience. Pavlov en sait quelque chose : le chien ne se met pas à baver au premier son de cloche, le citoyen ne gèle pas sa réflexion intellectuelle à la première injonction venue. Nos vagues préjugés se cristallisent en certitudes figées par un patient travail de martellement.
J’ai un souvenir très net de ces images de casques blancs, affairés quelque part en Syrie à sortir des enfants des décombres, et de ce mélange de pitié, d’indignation et de colère qui vous submerge.
Un bon contraste améliore grandement la netteté : avec Bachard El Assad le dictateur sanguinaire bien ancré dans un coin de ma petite tête, le blanc des casques se parait à mes yeux d’une teinte aussi immaculée que le bleu des casques de cette si chère ONU.
Regardez s’ils sont pas magnifiques :
L’envers du décor
Faut-il cinq valeureux sauveteurs pour s’agripper à un malheureux brancard ?
Un fin papier de verre suffit à éclaircir le vernis et commencer à se poser de monstrueuses questions, ce que n’ont pas fait nos irremplaçables employés de presse occidentaux, mais ce qu’ont réalisé avec opiniâtreté des citoyens syriens et quelques journalistes non-salariées venues recueillir les témoignages des habitants, en terrain miné, à leurs risques et périls et sans assurance, rapidement qualifiées par les médias d’ « auteure d’un blog complotiste » pour l’une (dans 20 minutes, Wikipedia etc…), ou de « propagandistes du régime d’Assad » aux yeux de l’inénarrable journal Libération, exemple parmi des milliers d’articles diffamatoires.
Premier élément intéressant, la “Défense civile syrienne“, promue sous le nom de Casques blancs ou White Helmets en anglais, fut fondée en 2013 par l’ex-officier de l’armée britannique James Le Mesurier (voir sa riche carrière et son « rôle de couverture »), mort par suicide ou assassinat fin 2019 à Istanbul.
Les informations de première main sont celles que les membres des Casques blancs (ou White Helmets) postent eux-mêmes sur les réseaux sociaux, pistés par un bloggeur qui a recensé pas moins de 65 individus ayant selon lui « affiché un soutien » à des groupes de djihadistes salafistes souvent affiliés à Al-Qaida, ou simplement à l’État Islamique.
Six d’entre eux s’exhibent avec armes de calibres fort respectables ; un porteur du drapeau de Daesh (i.e. ISIS, i.e. État islamique en Syrie et au Levant) ressemble au casque blanc Ibrahim Abu Mohammed, qui a lui-même posté la photo sans commentaire (en haut à gauche ci-dessus). Arif Soboh, vêtu de sa veste White Helmet, se montre sur son profil Facebook (milieu-bas ci-dessus) sur fond de l’emblème Al Qaida/Al Nosra, et plusieurs célèbrent la victoire des « rebelles » aux côtés de drapeaux noirs de même facture.
On peut encore y voir, comme The Guardian, des « anciens enseignants, ingénieurs, tailleurs et pompiers » dévolus à la cause humanitaire, ou des « secouristes neutres » selon Euronews, mais le dernier né des candides se gratte un peu la tête.
L’intrication du djihadisme armé et du « secourisme » est affichée sans complexe par un individu présenté en ligne sous le nom de « Obeida Muhammed Al Hussein » (identité ni confirmée, ni contestée) :
Pour sa part, Raed Al Saleh, chef opérationnel des « trois mille » volontaires « neutres et impartiaux » de la Défense civile syrienne, n’a pas immédiatement convaincu les autorités états-uniennes de sa propre innocuité ; il a raté la remise de l’Oscar 2016 au documentaire “The White Helmets“, refoulé à l’aéroport pour ses « liens douteux [“questionable“] avec des groupes extrémistes ». Rappelons que la sécurité intérieure des États-Unis est renseignée par le FBI.
Voilà pour le hors d’œuvre. Question désinhibition, les troupes de l’indésirable ne sont pas en reste. Aperçu :
Deux photos publiées sans commentaires ni indignation : le casque blanc Mohammed Albakry de la « Défense civile d’Idlib », exhibe le corps d’un soldat syrien sauvagement torturé et massacré, son collègue Abonaser montre un corps trainé sur le bitume.
Faisal Ruslan fait l’éloge des attentats suicides, invoquant Allah pour qu’il fasse d’un jeune djihadiste, envoyé à la mort certaine par les islamistes de Jabhat Fatah al-Cham (JFS), un « martyre » :
Le drapeau noir de Daech est très apprécié, une dizaine de casques blancs affichant leur sympathie envers l’État Islamique sur les réseaux sociaux, alors qu’une douzaine d’autres montrent des préférences soit pour le groupe Jaish Al Fateh affilié à Al Qaida, soit pour Ahrar al-Sham, proche d’Al Qaida.
Dans les territoires syriens contrôlés par les « rebelles », la loi de la charia, strictement proscrite par l’État syrien, est allègrement appliquée, avec exécutions sous ordre d’un « tribunal islamique ». Les Casques blancs ont participé à l’évacuation du corps, preuve par vidéo :
Dans un communiqué de 2017, la direction de la “Défense civile syrienne“ nous apprend que ces tribunaux se déroulent sous l’égide d’un Conseil tribal civil (celui du gouvernorat auto-proclamé de Dara, en l’occurrence), que les volontaires ont agi en « accord avec les coutumes tribales », mais qu’ils n’ont pas « totalement respecté les stricts principes de neutralité et d’impartialité », en conséquence de quoi ils seront suspendus « pour une durée de trois mois » !…
L’exécution à laquelle les « secouristes » assistent le 6 mai 2015 à Alep, Haritan, a des allures de crime de guerre contre civil, puisque le bourreau est un militaire. James Le Mesurier défend alors son organisation en évoquant un « tribunal de Charia local », comme s’il était normal de s’associer aux extrémistes islamistes.
En remontant l’échelle des complicités, nous trouvons Muawiya Hassan Agha, zélé photographe des White Helmets, amateur d’armes par temps libre. Il a tout bonnement trouvé place dans un fourgon de Jund Al- Aqsa, affilié à Al Qaïda, amenant deux prisonniers de guerre syriens sur le lieu d’exécution, en mai 2016 au sud d’Alep. Le selfie où il se montre, l’air satisfait, avec deux soldats terrorisés en arrière-plan, est confirmé par une vidéo où il sort du véhicule avec la même chemise, appareil photo sanglé autour du cou. Le meurtre d’un des deux soldats est également filmé.
Après cette participation active à un crime de guerre patent, Hassan Agha est soi-disant « éjecté » du groupe, néanmoins les leaders casques blancs ne condamneront jamais publiquement la torture ni les exécutions sommaires, et Hassan Agha sera photographié le mois suivant lors d’une intervention de ses collègues, ce qui laisse supposer qu’il reste informé des actions de l’organisation.
Il est également présent lors du massacre de Rashideen en avril 2017, où une centaine de femmes et enfants en cours d’évacuation sont fauchés par une voiture piégée. Les survivants indiquent un crime de masse planifié, et certaines affirment avoir vu Hassan Agha avant et après l’ignoble attentat, au micro de la reporter Vanessa Beeley.
White Helmets : quelles missions ?
Financés par le Royaume-Uni (32 millions de livres selon Boris Johnson himself), les États-Unis (via l’USAID), le Canada, la France, l’Allemagne, le Japon (…), les Casques blancs semblent aussi bien fournis en caméras et équipes de tournage, qu’en stocks de médicaments.
Le Ministère des Affaires étrangères britannique nous fournit les clés dans son « Programme résilience Syrie », sans pudeur :
« En plus de sa prestation de services, la DCS [Défense civile syrienne] joue un rôle inestimable en matière d’information et de sensibilisation, et est nominée cette année encore pour le prix Nobel de la paix. Human Rights Watch et Amnesty International ont déclaré que la DCS était la source la plus fiable pour leurs rapports réguliers ».
Avaaz, financée dès sa création par l’Open Society de Georges Soros, est aux premières loges pour tenter de reproduire l’interdiction de vol en Libye, cette fois-ci par les avions de l’armée syrienne sur son propre territoire, avec une campagne propulsée par la « source la plus fiable » de Human Rights Watch et Amnesty (gardiens du temple, et parfois des droits de l’homme), celle des White Helmets, alias la DCS.
Parmi les nombreux témoignages assimilant la DCS à un groupe « terroriste », celui du « mécanicien automobile » Mahmoud Al Khatib, habitant de Misrata, est le moins incriminant :
« Quand les Casques Blancs sont arrivés, j’ai commencé à travailler comme ambulancier… Ils ne vous laissaient pas vous approcher pour obtenir des informations sur eux.
Certains étaient des étrangers [Jordaniens, Saoudiens, non-arabophones…] et ils recevaient des salaires élevés… Chaque fois qu’ils montaient dans leur véhicule, la caméra tournait […]
Les Casques blancs ne sortaient que s’il y avait une « grosse attaque »… Si nous voulions sortir pour aider les civils, ils nous en empêchaient […]
À la fin, ils nous ont virés parce qu’on voulait aider les civils.
Après la libération, la plupart des Casques blancs […] se sont enfuis parce que tout le monde ici savait qu’ils mentaient sur le fait de « donner les premiers soins et d’évacuer les gens » après les « attaques chimiques » ».
Sans passer en revue toutes les interventions et accusations de crimes de guerre du « régime » par les Casques blancs, arrêtons-nous sur une qui a fait grand bruit, celle de l’attaque chimique du 7 avril 2018 à Douma, au nord-est de la capitale Damas ; le monde entier s’est indigné face aux images d’enfants larmoyants relayées par les casques blancs.
Première bizarrerie : les médecins identifiables interrogés n’ont pas reconnu les symptômes provoqués par les agents neurotoxiques comme le gaz sarin.
L’enfant Hassan Diab témoigne deux semaines après les faits, mieux coiffé, sans peur et en parfaite santé : « On a entendu crier dans la rue : “Allez à l’hôpital!“. On y a couru, dès que je suis rentré ils m’ont attrapé et aspergé d’eau » ; son père ajoute : « Tous ont été renvoyés chez eux. Mon fils se sentait bien ».
Marwan Jaber, interne en médecine, était en poste aux urgences : « Certains d’entre eux souffraient d’asthme et d’inflammation pulmonaire. Ils ont reçu un traitement de routine… ».
Le médecin Assim Rahaibani était chez lui, à 300 mètres de l’hôpital de Douma où il est employé:
« C’est à ce moment-là que quelqu’un, un casque blanc a crié à la porte : « Gaz ! »… Et la panique a commencé. Les gens ont commencé à s’asperger d’eau. Oui, cette vidéo a été tournée ici, elle est authentique, mais ce que vous voyez, ce sont des personnes souffrant d’hypoxie, pas d’empoisonnement au gaz », affirme-t-il.
Le 26 avril, l’Organisation pour l’Interdiction des Armes Chimiques (OIAC) tient une réunion à La Haye, où Hassan Diab réitère ses propos. Des médecins de l’hôpital de Douma sont également venus témoigner, cités par la reporter Eva Bartlett :
Ahmad Kashoi, administrateur du service des urgences : « Cela a duré environ une heure, nous leur avons apporté de l’aide et les avons renvoyés chez eux. Personne n’est mort. Personne n’a souffert d’une exposition chimique ».
Halil al-Jaish, médecin réanimateur qui s’est occupé des gens à l’hôpital de Douma ce jour-là, a déclaré lors de la conférence de presse que certains des patients avaient effectivement connu des problèmes respiratoires. Toutefois, les symptômes étaient dus à la poussière épaisse qui a envahi la zone en raison des récentes frappes aériennes, et personne ne présentait de signes d’empoisonnement chimique, a précisé Halil al-Jaish.
La version de la BBC est bien sûr tout autre ; le rédacteur de l’article non signé cite un groupe d’activistes qui « a cité un membre de la Défense civile syrienne […] disant qu’il a senti une odeur de chlore dans l’air après la frappe… ». Soit. Puis il cite un « étudiant en médecine travaillant à l’hôpital » qui aurait soigné un homme mourant, qui « avait les pupilles dilatées et de la salive sortant de la bouche ». La source de ces propos est un tweet d’un journaliste… de la BBC, qui a reçu le « message vocal [sic] plein d’émotion » d’un étudiant sans nom, ni visage.
Contrairement aux réfutations provenant de témoins nommés et visibles, la thèse de l’attaque chimique nage dans le flou absolu.
La vidéo et les terribles photos de victimes, relayées par les Casques blancs, n’indiquent pas plus leur identité. Une liste incomplète de noms sera communiquée bien après, mais aucun n’a été déclaré en bonne et due forme. Les sauveteurs dénoncent illico le « massacre chimique perpétré par le régime [d’Assad] contre les enfants… ».
Puis ils relaient en toute indépendance la propagande du ministère des affaires étrangères britannique, auteur d’un subtil parallèle historique :
Abreuvé des paroles d’évangile des casques blancs, le citoyen occidental plonge dans l’indignation, le silence des médias sur les nombreuses réfutations faisant le reste. Il est mentalement préparé à la confirmation officielle de l’OIAC, organisme créé en 1997 suite à la résolution des Nations Unies pour l’éradication des armes chimiques, jusqu’ici très respecté pour l’efficacité de son travail.
Cependant, loin d’être concluant, le rapport intermédiaire de l’OIAC de juillet 2018, indique que « Les résultats montrent qu’aucun agent neurotoxique organophosphoré ou produit de dégradation n’a été détecté dans les échantillons environnementaux ou dans les échantillons de plasma prélevés sur les victimes présumées ».
C’est alors que le management de l’OIAC bouleverse l’investigation, mettant sur la touche les enquêteurs actifs à Douma, au profit de l’équipe qui enquête dans le « pays X », bizarrement confidentiel. C’est probablement la Turquie, limitrophe avec la région d’Idlib où la plupart des « rebelles » se sont repliés, suite à des tractations avec l’État syrien après leur défaite à Douma. Labellisée « alpha », cette équipe travaille à distance et base son enquête sur les témoignages du camp de l’opposition et les éléments qu’il leur fournit.
Sorti six mois plus tard, le rapport final de l’OIAC a tout de la version « X ».
Ian Henderson, ingénieur expérimenté de l’OIAC, est invité par la Chine au Conseil de Sécurité des Nations Unies, en janvier 2020, après quelques fâcheuses péripéties. Il présente sa déclaration à distance, faute d’un visa pour New York (emphase ajoutée) :
« Ce que le rapport final […] ne dit pas clairement, et qui ne reflète donc pas le point de vue des membres de l’équipe qui se sont déployés à Douma – même si je ne peux vraiment parler qu’en mon nom à ce stade – le rapport ne dit pas clairement quels nouveaux constats, faits, informations, données ou analyses dans les domaines des témoignages, des études toxicologiques, de l’analyse chimique et de l’ingénierie, et/ou des études balistiques ont permis le retournement complet de la situation par rapport à ce que la majorité de l’équipe, et toute l’équipe de Douma, avaient compris en juillet 2018.
De mon côté, j’avais poursuivi pendant six mois les études d’ingénierie et balistiques sur ces cylindres, dont le résultat avait apporté un soutien supplémentaire à la position selon laquelle il n’y avait pas eu d’attaque chimique ».
L’enquête technique comportait deux aspects, détecter des traces d’agents toxiques sur les zones indiquées, et étudier deux containers ayant atterri sur un balcon et un appartement de Douma (voir ci-dessous), censés transporter du chlore.
Les analyses intermédiaires avaient détecté des traces de dérivés chlorés, peu concluantes ; l’étude finale semble confirmer la présence significative de « chlore réactif » dans des échantillons prélevés en zones 2 et 4.
L’étude cruciale des containers cherche à trancher entre deux hypothèses majeures :
Ils ont été largués par voie aérienne (hélicoptère à priori).
Ils ont été déposés par des personnes au sol.
C’est l’affaire dans l’affaire, puisque le rapport d’ingénierie a été fuité par un autre employé de l’OIAC (OPCW en anglais), deux mois après la sortie du rapport officiel, ce qui aurait dû faire l’effet d’une bombe dans les médias, s’ils n’étaient si disciplinés (tenus par les bretelles, pourrait-on dire, s’ils en avaient).
Répondant au Daily Mail australien, l’OIAC a implicitement authentifié le document, nous avons donc les éléments de comparaison pour évaluer l’ampleur des distorsions.
Concernant cet objet trouvé sur un balcon en zone 2, nous lisons (emphase ajoutée) :
Rapport final officiel : « Les analyses indiquent que les dommages observés sur le cylindre trouvé sur la terrasse du toit, l’ouverture, le balcon, les pièces environnantes, les pièces en dessous et la structure au-dessus, sont compatibles avec la création de l’ouverture observée sur la terrasse par le cylindre trouvé à cet endroit. »
Rapport d’ingénierie fuité : « Tous les éléments énumérés ci-dessus permettent de conclure que le ou les événements d’impact présumés ayant conduit à la déformation de la cuve et aux dommages du béton observés n’étaient pas compatibles. »
C’est ce qui s’appelle une contradiction parfaite. L’ingénieur a sorti le “draft“ pour revue le 27 février 2019, après dix mois d’un long travail d’évaluation et de simulations informatiques. Le rapport officiel sort le 1er mars, soit trois jours plus tard !
Détail notable, la notion d’impact physiquelaisse place à la mention poétique de création, pas divine mais presque, résidu palpable des gouttes de sueur perlant sur le front du manager chargé de la rédaction.
[Un comparatif complet des différents rapports a été réalisé par des Professeurs d’universités britanniques initiateurs du « Working Group on Syria ». Leur important travail d’enquête est accessible ici.]
Toujours en zone 2, vu de l’étage inférieur, un détail saute aux yeux : l’acier du béton à gauche du trou a subi une déformation plastique bien supérieure à 90 degrés, marque d’une énergie faramineuse qui s’imagine mal avoir été transmise par un container qui a lui-même arrêté son mouvement à l’étage supérieur. Cette question que les ingénieurs se sont bien sûr posée, passe à la trappe du rapport managérial. La réflexion était la suivante : « On peut supposer que cela a été causé par une vitesse verticale élevée au moment de la rupture de la barre ou du béton, ce qui a entraîné la projection de pièces détachées. Les accélérations et les vitesses élevées sont typiques des explosions ». En d’autres termes, les techniciens expérimentés estiment que cette déformation n’a pu être provoquée que par une roquette explosive classique, et non par un cylindre métallique dépourvu de tête explosive. L’existence d’un cratère similaire observé sur un toit mitoyen accrédite la thèse d’un bombardement antérieur au dépôt de la bonbonne.
Et comme on a le droit de rigoler un peu, clôturons le chapitre par le conteneur de la zone 4, tel que présenté dans le rapport officiel :
Selon l’emplacement du cratère, le tube n’a pu toucher le sol qu’à l’endroit indiqué (à droite du dessin). Pour expliquer la séquence de saute-mouton effectuée par le conteneur pour aller jusqu’au lit douillet, les managers de l’OIAC nous gratifient d’une savante courbe de « vitesse résiduelle après impact », sans donner la direction du mouvement, et terminent ainsi : « Les évaluations ont également indiqué qu’après avoir traversé le plafond et percuté le sol à une vitesse moindre, le cylindre a continué par une trajectoire altérée, jusqu’à atteindre la position dans laquelle il a été trouvé ». Autant dire que le cylindre est allé au plus confortable… mais il est censé contenir du chlore, pas une âme : l’altération de la trajectoire, qui n’est pas continuation, doit s’expliquer par un évènement physique, lequel n’est pas recherché mais tranquillement escamoté par une lapalissade grand-guignolesque.
Les experts de l’équipe de Ian Henderson ont dû rougir de colère et de honte (pour leur organisation) en lisant ces inepties. Leur rôle est d’obéir aux lois de la physique, pas aux pressions politiques, et en tant que citoyens ils savent que le discrédit de l’OIAC aura de graves conséquences. Voilà ce qui est écrit en page 7 du document fuité :
« En ce qui concerne le déplacement du cylindre après l’impact, dans une direction latérale au sein de la chambre (i.e. d’une direction verticale sous le cratère, puis rebondissant sur le lit), il est établi que les obstacles situés au sommet du bâtiment excluaient la possibilité que cela soit dû à la trajectoire du vol entrant. L’examen des murs de la chambre n’a pas révélé de marques qui auraient indiqué les forces « égales et opposées » nécessaires pour dévier le cylindre dans une direction horizontale (…). Il n’a donc pas été possible d’établir un ensemble de circonstances cohérentes avec les observations, qui auraient pu entraîner ce mouvement […] ».
Le résumé de l’enquêteur Ian Henderson est prudent, et clair :
« … il y a une probabilité plus forte pour que les deux cylindres aient été placés manuellement aux deux endroits… ».
Qui donc aurait pu placer ces bonbonnes de gaz ?
Le point sur les « rebelles » de Douma
Jusqu’au 12 avril 2018, Douma est contrôlée par les combattants de Jaish-Al-Islam, décrits par les anglais du journal Independent comme des « islamistes conservateurs, quoique modérés en comparaison à Daesh ». Nous voilà rassurés. D’abord associés à l’« Armée syrienne libre », ils s’en détachent en novembre 2013 pour former le Front islamique syrien.
Partant des déclarations publiques du fondateur de Jaish-Al-Islam, Zahran Alloush, le directeur du Centre d’études sur le Moyen-Orient de l’Université d’Oklahoma, Joshua Landis, pointe la difficulté à « tracer une ligne claire entre l’idéologie du Front islamique et celle des groupes d’Al-Qaïda. Tous deux accueillent des djihadistes étrangers et les encouragent à venir en Syrie pour rejoindre le combat. Ils appellent tous deux à la résurrection d’un empire islamique et se tournent tous deux vers l’âge d’or de l’Islam pour trouver les principes sur lesquels le nouvel État sera fondé. Leur philosophie politique et leur plan pour l’avenir reposent en grande partie sur une lecture similaire de l’histoire de l’Islam et du Coran ».
Comme tous les djihadistes soutenus par l’Arabie Saoudite et le Qatar, Jaish-Al-Islam est sunnite. Zahran Alloush méprise les musulmans chiites et les alaouites (la famille Assad est alaouite), qui n’ont pas selon lui la bonne lecture du Coran : ce sont des « impurs ».
De fait, Jaish al-Islam, alias Liwa al-Islam (Armée/Brigade de l’Islam), s’illustre en 2013 par ses exactions lors du massacre sectaire de la ville d’Adra, aux côtés du Front Al-Nosra affilié à Al Qaida, tuant sauvagement des civils principalement alaouites, kurdes, chrétiens et druzes, exhibant les têtes et corps décapités sur la place publique. Des milliers de personnes, parfois des familles entières sont alors kidnappées, dont certaines seront déportées dans la prison Al Tawba (“repentance“) de Douma, où de nombreux enfants « de moins de 16 ans » sont détenus, selon le Huffington Post qui rapporte en 2016 un témoignage anonyme de tortures, mais aussi « les emprisonnements sans procès [qui] sont monnaie courante au nom de la « libération » et de la charia ».
Le Secrétaire d’État John Kerry lui-même se rend à l’évidence en juin 2016, au “Festival des idées“ dans le Colorado : « Mais le plus important, franchement, c’est de voir si nous pouvons parvenir à un accord avec les Russes sur la manière de traiter, d’abord, Daesh et Al-Nosrah. Al-Nosrah est […] un groupe désigné terroriste par les Nations Unies. Et il y a une paire de sous-groupes – Jaysh al-Islam et Ahrar al-Sham en particulier – […] qui s’associent et combattent parfois avec [Daesh et le Front al-Nosrah] pour combattre le régime d’Assad ».
En d’autres termes, la différence entre les terroristes et les « rebelles » est tellement ténue, que dès qu’un accord militaire s’est révélé nécessaire, il a été signé, comme celui de juillet 2015 entre le Front Al-Nosrah et Jaysh Al-Islam.
John Kerry admet donc la proximité entre les quatre forces armées principales, sans lesquelles la résistance face à l’armée arabe syrienne se réduit à peau de chagrin. Où sont donc passés les « rebelles » « modérés » si longtemps loués ?
Passons. Ce n’est qu’après le départ des islamistes hors de Douma, en avril 2018, que des syriens libérés de leurs cachots s’expriment nommément :
Abdel Latif Seyid, 23 ans : « J’ai été enlevé il y a deux ans dans le village de Hosh Faraah. Beaucoup de ceux qui ont été enlevés ont été tués au cours de ces années. Ils nous ont battus avec des fouets et des barres de métal pour nous punir. Les militants nous interdisaient de lever les yeux. Nous devions creuser des tunnels et porter des pierres pour recevoir de la nourriture. Les terroristes de Jaish al-Islam n’hésitaient pas à tuer ceux qui leur désobéissaient ».
Bahrum est un syrien enlevé à Adra : « Les hommes devaient creuser des tunnels souterrains ; les femmes devaient cuisiner, faire le ménage et réparer les vêtements. Il fallait remplir son quota pour recevoir de la nourriture. La nourriture était une question très importante et douloureuse. Même les gens grassouillets se transformaient en squelettes vivants car la faim était constante. […] Ils nous nourrissaient principalement une fois par jour, ou parfois une fois tous les deux jours ».
Dans cette vidéo, des otages tout juste sortis racontent leurs années d’enfer à Douma. Des milliers de personnes seraient passées par ces véritables camps concentrationnaires, où le quotidien était fait de tortures, d’humiliations, du travail forcé d’enfants et adultes, de malnutrition, et selon les témoins d’exécutions arbitraires et de morts par épuisement ou maladies.
Les otages avaient différentes “utilités“, comme celles de boucliers humains telles qu’annoncées en 2015 par Jaish al-Islam, lorsqu’ils ont déployé dans la région Est Ghouta des humains en cage, y compris des femmes alaouites.
En outre, le porte-parole de Jaish Al-Islam, Islam Alloush, a reconnu en 2016 qu’un commandant de son clan avait fait « illégalement » l’usage d’armes « non inclues dans notre liste », ce pour quoi il aurait été puni. Il répondait à une accusation très sérieuse du Croissant Rouge kurde en Syrie, qui a observé sur des victimes d’Alep des « symptômes compatibles avec l’utilisation de gaz de chlore ». Si c’est loin d’être une preuve, cela ouvre la possibilité de la détention de stock de chlore par le groupe armé Jaish Al-Islam.
Pour compléter le rapide tour d’horizon de ces « rebelles », dont la modération si longtemps vendue par l’occident saute aux yeux à la manière d’un couteau dans le globe oculaire, esquissons l’approche religieuse de la société syrienne.
Vivre et laisser vivre
En France, la loi sur la laïcité de 1905 n’aurait pas fonctionné si elle n’avait pas respecté la dynamique intrinsèque de la société française, mélange de passion déclinante pour la religion catholique, d’hostilité minoritaire mais ferme, et d’un scepticisme issu des Lumières.
Écoutons ce français de Damas parlant d’un ami de là-bas :
« Il est musulman sunnite pratiquant, mais il m’a fallu du temps pour m’en apercevoir, car c’est une chose dont on ne parle pas. Il considère que la religion est une affaire personnelle. Un jour dans sa boutique il me dit : donne-moi 5 minutes que je fasse ma prière, puis il a posé un tapis par terre. (J’ai appris à cette occasion qu’il n’est absolument pas obligatoire de se rendre à la mosquée, même le vendredi )… il me dit : tu sais, quand j’étais jeune j’ai été éduqué dans une école de sœurs catholiques, et je n’étais pas le seul musulman. Et j’ai plein d’amis chrétiens qui étaient dans des écoles musulmanes.
Cet ami m’a dit que son grand-père était alaoui, son père est sunnite soufi, il a un oncle qui est chrétien orthodoxe et un autre qui est chiite… et tout le monde s’entend bien dans sa famille.
Une autre chose qui m’a frappé c’est qu’on ne parle pas de religion avec les gens que l’on rencontre dans la vie quotidienne ».
Dans la société syrienne, la tolérance prime, la pratique religieuse est libre et n’est pas le centre de la vie sociale. Cela semble être la tendance dominante en Syrie, ce que reflète très bien la Constitution adoptée par le pays en 2012 ; les articles 1 et 2 mettent en avant, notamment, la « République arabe syrienne » et la « souveraineté totale, indivisible », qui est « un attribut du peuple ». La religion n’apparait que dans l’article 3 : « l’Etat respecte toutes les religions, et assure la liberté d’accomplir tous les rites qui ne portent pas atteinte à l’ordre public ; le statut personnel des communautés religieuses est protégé et respecté ».
Sous l’administration du protectorat français de 1920 à 1946 (sous mandat de la SDN), les différents territoires syriens sont partiellement intégrés via la création d’institutions républicaines, qui seront consolidées à partir de 1971 avec la prise de pouvoir du parti Baath, le plus laïc des partis arabes. Le statu quo religieux, ancré dans la longue histoire civilisationnelle du pays, est également le fruit de divers compromis entre les communautés religieuses, citoyennes et territoriales, perceptibles dans l’introduction de l’article 3 de la Constitution : « La religion du Président de la République est l’Islam ; la jurisprudence islamique est une source majeure de législation ».
Ces deux points requièrent une connaissance profonde de la culture syrienne. L’occidental avisé s’abstient de tout jugement, conclut que la Syrie n’est pas strictement un pays laïque mais plutôt multiconfessionnel, où la paix civile repose sur la tolérance citoyenne et sur la capacité du gouvernement à tenir ses engagements fondamentaux. La « jurisprudence islamique », qui coexiste avec la loi républicaine, est sans commune mesure avec les régimes de charia imposés par les idéologues wahhabites et salafistes.
[Pour ce qui est de la nature autoritaire du pouvoir syrien, indéniable sous certains aspects, la vision distanciée de Camille Otrakji, citoyen syrien vivant au Canada, aide à se prémunir des ritournelles propagandistes ; voir par exemple cet entretien à chaud de mai 2011, ou cet article de 2015].
Ruptures
À cette aune, il est évident que le sectarisme violent et brutal de la plupart des groupes d’opposition armée, à dominante sunnite intégriste ou salafiste, constitue en soi une rupture du pacte social. Quelle que soit leur confession, y compris sunnite, les syriens attachés à ce pacte et vivant dans les zones occupées par les opposants au régime, se voient de facto imposer un mode de vie et des règles contre-nature. À cela s’ajoute la réprobation, ou l’humiliation, ou le harcèlement, ou la répression violente, de celles et ceux qui ne sont pas du “bon“ côté religieux ou politique. La guerre et les destructions n’expliquent pas à elles seules l’exode massif des habitants.
De nombreux témoins et reportages rapportent des actes crapuleux, comme cet habitant de Jisreen, Maan Qseedeh, racontant la spoliation de sa famille :
« Nous étions sur nos terres, occupés au travail agricole, et tout allait bien. Puis des gens de la brigade Al-Rahman et des Casques blancs sont arrivés, nous ont expulsé de nos terres et ont tout pris, argent compris. Ils nous ont maintenus prisonniers en ville pendant un temps… ».
Sans oublier les viols, la torture ou le meurtre des proclamés traitres, c’est-à-dire soupçonnés d’être loyaux à l’État syrien, souvent simplement parce qu’ils sont employés de l’administration étatique, ou par pur arbitraire.
Ces victimes ont une famille, des amis, des connaissances qui savent de fait, ce qui peut arriver à des gens ordinaires. Ils vivent sous un régime de terreur.
Comment s’étonner, alors, que des opposants au régime Assad les moins sectaires ou extrémistes, tels que les Druzes de Soueïda, aient tourné casaque dès 2012 pour lutter contre les djihadistes, du côté de l’armée syrienne régulière ?
Comment s’étonner que le président Al-Assad conserve un large soutien de la population, fait admis par des éditions comme Middle East Eye, basée à Londres et clairement opposée au pouvoir syrien actuel ?
White Helmets, suite et fin
En se comportant ainsi en territoire conquis, les « terroristes » (pour les uns), ou « rebelles » (pour les autres), ne luttent pas avec la population locale, mais essentiellement contre. Se pose alors un problème : le nouveau personnel administratif se doit de soutenir, ou à minima tolérer, les méthodes sectaires et expéditives. La contrainte n’échappe pas à la “Défense civile syrienne“, qui est en théorie l’organe de substitution des services d’urgence étatiques, qui ont totalement disparu dans ces régions, avec la différence notable qu’ils n’ont pas de numéro d’urgence, donc qu’ils interviennent où et quand ils le décident. De surcroit, les équipes de sauveteurs sont les témoins privilégiés de ce qui passe dans l’espace public ou dans les hôpitaux.
Sur le front des combats, l’évacuation des blessés se fait forcément avec l’assistance des White Helmets, qui sont alors témoins du traitement réservé aux prisonniers de guerre. Il est essentiel que les secouristes les plus exposés aient la pleine confiance des chefs de guerre anti-Assad.
Cette imbrication est visible sur les murs du plus grand centre White Helmets d’Alep, visité par un des rares habitants français de la ville, Pierre Le Corf. Il y découvre que le bâtiment donne sur la cour du quartier général de Jahbat (Front) Al-Nosra, organisation reconnue terroriste de part et d’autre de l’atlantique.
À l’entrée des locaux White Helmets, l’insigne caractéristique de Daesh est toujours présent (à gauche, photos pendant et après occupation), le drapeau vert-blanc-noir de l’armée syrienne libre, aux trois étoiles rouges, est peint sur la façade, et à l’étage un drapeau Al-Qaida traine au sol.
Fait intéressant, le grand hôpital est à une encablure du même QG militaire, nommé « M10 » par les administrateurs d’Alep-Est, alors dominés par Al-Qaida/Al-Nosra. Les soins y étaient principalement assurés par la SAMS, Syrian American Medical Society, puissamment financée par l’USAID, l’agence américaine « pour le développement international », instrument notoire de la politique étrangère des États-Unis.
Est-ce pour cela que le responsable en communication de la SAMS affirmait en 2016 que le M10 « est désormais détruit, hors d’usage, de manière permanente », alors que six mois plus tard Pierre Le Corf arpentait les interminables couloirs de l’hôpital, cherchant désespérément où les foutus obus avaient bien pu atterrir ? L’histoire ne dit pas si Adham Sahloul, pour protéger les médecins, s’est assuré que les islamistes armés n’utilisent pas l’hôpital comme bouclier humain (ce qui n’est pas des plus évidents avec un QG militaire d’Al-Qaida situé à 200 mètres du M10).
Crimes de Douma, épilogue
Les fantômes de la SAMS nous ramènent à Douma en 2018, puisque ce sont “eux“ qui fournissent des pièces à conviction du crime à l’arme chimique, inscrites dans le fameux rapport final de l’OIAC. Le nom de la société médicale n’y apparait pourtant que très discrètement, par un lien unique perdu dans la masse des références internet de tweets, vidéos et médias. Voyons ce que raconte ce communiqué de presse :
« La Syrian American Medical Society et la Défense civile syrienne (Casques blancs) ont documenté près de 200 utilisations d’armes chimiques en Syrie depuis 2012 » ; où l’on découvre un tandem sous influence, omniprésent sur les conflits.
« La SAMS a recensé 43 victimes présentant des symptômes cliniques similaires : mousse buccale excessive, cyanose et brûlures cornéennes. Les volontaires de la défense civile [i.e. Casques blancs] n’ont pas pu évacuer les corps en raison de l’intensité de l’odeur et du manque d’équipement de protection. Les symptômes rapportés indiquent que les victimes ont suffoqué suite à l’exposition à des produits chimiques toxiques, très probablement un élément organophosphoré. »
L’OIAC rapporte effectivement que les Casques blancs ont « extrait les corps de l’immeuble et les ont étendus dans la rue », et que « selon plusieurs rapports de témoins le nombre de morts était de 43… ». Cependant, bien que les casques blancs soient normalement « en charge de l’enterrement des décédés », l’OIAC n’a trouvé que des badauds qui « n’étaient pas au courant des lieux d’inhumation ».
Une réalité tout autre se lit dans les fuites OIAC publiées à l’automne 2019 par WikiLeaks, dans le tout premier rapport d’équipe rédigé par le Dr Brendan Whelan (vétéran de l’OIAC qui s’insurgera aux côtés d’Henderson) : « … les plans d’exhumations ont été interrompus car le risque de ne pas trouver de preuves substantielles de l’attaque présumée était désormais considéré comme élevé…» ; et en farfouillant un peu, on trouve les minutes de la réunion de quatre toxicologues mandatés par l’OIAC, tenue en juin 2018, autant négligée que les précédentes : après étude de vidéos et photos des victimes, « les experts sont formels dans leurs déclarations qu’il n’y a pas corrélation entre les symptômes et l’exposition au chlore ». Plus troublant encore, leur avis unanime est « qu’il est hautement improbable que les victimes se soient entassées au milieu des appartements [tels que le montrent les photos], au lieu de fuir le chlore toxique vers les sorties proches vers un air plus propre ».
Et pour couronner le tout, le chemin tortueux pris par le gaz supposé pour descendre du cylindre jaune vers les étages inférieurs où les corps reposent, envisageable si toutes les portes sont ouvertes, relativisent grandement la soudaineté de l’empoisonnement, et interrogent l’éventualité même que la cause en soit le container à gaz (cette problématique est évacuée des rapports officiels, figure 4 ci-dessous comprise).
Au bout du compte, toutes les étapes de l’« attaque chimique », telles que présentées, sentent le souffre plus que le chlore.
Le mystère s’épaississant, « l’expert en chef » des toxicologues emboite le pas de l’ingénieur Henderson, « offrant deux possibilités », l’attaque réelle où « l’évènement comme exercice de propagande ».
Un exercice qui pourrait bien avoir une part de réalité, comme l’assassinat par voie chimique dans un lieu non identifié, ce qui expliquerait l’absence d’agents neurotoxiques sur place, ou par tout autre moyen employé par les forces d’opposition. Pour valider un tel scénario, l’exhumation et l’autopsie des corps s’imposaient.
Pour sûr, l’OIAC n’a pas pris ce risque, comme elle n’a pas confronté les thèses de témoignages contradictoires, contrevenant aux règles élémentaires d’inspection, puissant moyen pour établir la vraisemblance des faits prétendus. Et comme de bien entendu, en excluant toutes les analyses et conjectures d’experts allant dans le sens d’une culpabilité de l’opposition armée, les rapports de l’OIAC ne laissent planer que celle de l’État syrien.
La pseudo-conclusion finale selon laquelle les éléments rassemblés fournissent « des motifs raisonnables de croire que l’utilisation d’un produit chimique toxique comme arme a eu lieu », ne conclut absolument rien de sérieux, et pourtant, les documents officiels, tronqués, caviardés, brouillés ou faussés, laissent penser que la responsabilité du « régime de Bachar Al-Assad » est établie. Ne fallait-il pas justifier, à postériori, le lancement illégal de 103 missiles destructeurs par les États-Unis, le Royaume-Uni et la France ?
Last but not least : le “Working Group on Syria“ souligne que « l’incident de Douma est la seule attaque chimique présumée en Syrie où les enquêteurs de l’OIAC ont effectivement pu effectuer une inspection sur place sans entrave », et relativement rapidement ; c’est aussi le seul cas où le territoire n’est pas contrôlé, lors de l’inspection, par le camp de ceux qui dénoncent le crime. La profusion d’incohérences sur le crime de Douma, accentue ainsi le doute sur l’ensemble des allégations d’attaques en Syrie.
Un prix Nobel trop pressé
Quand il reçut son prix Nobel prématuré de la Paix, le fringuant président Obama avait déjà voté contre la guerre en Irak, mais pas encore mené la Libye à sa destruction, sur la base du mensonge des bombardements de Kadhafi « sur les civils ».
Flash-back. Le 21 aout 2013, un autre crime de masse, aussi meurtrier qu’indéterminé, a lieu dans la région de Ghouta proche de Damas. Le bilan invérifié et invérifiable varie selon les sources de 300 à 1429 morts.
Quel autre poison que le gaz sarin peut décimer au coin d’une rue, un troupeau de chèvres entier ?
Le 30 aout 2013, Barack Obama laisse le Secrétaire d’État John Kerry annoncer ses conclusions, solennellement, avec gravité (nous soulignons) :
« Notre communauté du renseignement a soigneusement examiné et réexaminé les informations concernant cette attaque, et je vous dirai qu’elle l’a fait plus que consciente de l’expérience de l’Irak. Nous ne répéterons pas ce moment. […]
Nous savons d’où les roquettes ont été lancées et à quelle heure. Nous savons où elles ont atterri et quand. Nous savons que les roquettes provenaient uniquement de la zone contrôlée par le régime [de Bachar Al-Assad]… ».
John Kerry ne se doute pas que le retour de boomerang ne viendra pas du camp d’en face, mais d’un monument de la science états-unienne, le Massachusetts Institute of Technology (MIT), en la personne du Professeur Théodore Postol, assisté d’un ancien expert en balistique auprès de l’ONU, Richard Lloyd. Leur étude conclut avec fermeté : « Il est impossible que ces munitions aient été tirées sur la Ghouta orientale à partir du « cœur », ni même de la bordure orientale de la zone contrôlée par le gouvernement syrien, localisée sur la carte des renseignements publiée par la Maison Blanche… ».
Le raisonnement est simple, et les calculs newtoniens assez rudimentaires.
La morphologie des engins de mort supposés est reconstituée à partir des débris, ci-dessus par le New York Times. À cause de l’encombrement du volume de gaz, les roquettes adaptées ont une prise au vent qui freine fortement le mouvement. Leur portée est donc faible, jusqu’à 2,25 kilomètres maximum selon leurs calculs, qu’aucune étude scientifico-balistique n’a contredits. Le chef de la mission onusienne Äke Sellström admettra lui-même que « deux kilomètres semblent être une bonne estimation » (à 5mn30 de ce film).
Étant donné que les positions de l’armée arabe syrienne étaient, selon les cartes de la CIA, à plus de huit ou dix kilomètres des cibles pointées par l’opposition, l’aventureux John Kerry se retrouve le nez fourré dans sa propre question du 30 aout :
« Maintenant que nous savons ce que nous savons, la question que nous devons tous nous poser est la suivante : Qu’allons-nous faire ? »…
… avouer que le renseignement américain nage dans le brouillard (ou nous enfume) n’est pas une option. Sur ce coup, n’ayant pas déclenché de frappes aériennes, le président Obama n’a pas strictement reproduit « l’expérience de l’Irak » ; l’honneur est presque sauf.
Preuves de l’absence de preuve
Quand les médias sont sous contrôle, l’effet d’annonce est toujours vainqueur, aussi fallacieuse que soit l’annonce. Avant d’effectuer des recherches, je suis tombé dans le panneau comme tout le monde, persuadé que les preuves les plus fermes avaient été apportées, d’autant plus lorsque les Nations Unies y apposaient leur tampon.
Par une coïncidence extraordinaire, les délégués de l’ONU étaient arrivés à Damas trois jours avant les évènements de Douma, avec la mission de faire la lumière sur TOUTES les allégations d’attaques chimiques en Syrie, dénoncées non seulement par l’opposition, mais également par l’État syrien.
Dirigée par le neurobiologiste suédois Äke Sellström, la Mission onusienne, assistée d’experts de l’OIAC et de l’OMS, intervient sur les lieux 6 jours après les faits, la requête officielle de l’ONU n’ayant été envoyée que trois jours plus tard, sans raison apparente, auxquels s’ajoute le temps d’établir des cessez-le-feu précaires en plein conflit.
Prévu initialement pour une durée de 20 heures, l’accès aux témoins et aux lieux du crime, étalés sur trois villes, est réduit à 8 heures, au pas de course, dans un contexte très tendu, le convoi essuyant les tirs d’un « sniper non identifié ». Les rapporteurs se félicitent cependant que la Mission ait pu assurer « l’adhésion aux protocoles les plus contraignants prévus pour de telles investigations », qui comprennent les « interviews des survivants et témoins », « le recensement des munitions », « l’appréciation des symptômes des survivants », « la collecte des échantillons de cheveux, urine et sang pour analyses », leur traçabilité avec scellés…
La conclusion majeure du rapport d’enquête est reprise dans la lettre signée par les représentants de l’ONU, de l’OIAC (Scott Cairns, que l’on reverra) et de l’OMS :
« En particulier, les échantillons environnementaux, chimiques et médicaux que nous avons recueillis fournissent des preuves claires et convaincantes que des roquettes sol-sol contenant l’agent neurotoxique Sarin ont été utilisées à Ein Tarma, Moadamiyah et Zamalka dans la région de la Ghouta à Damas ».
Critique
Le rapport lui-même est-il « clair et convaincant » ?
Scientifiquement médiocre.
La partie analytique et conclusive est extrêmement courte, 5 pages, dont deux pages de références et « considérations méthodologiques ».
Beaucoup d’informations importantes sont dans les 30 pages de la partie annexe, composée de sept appendices.
Les échantillons prélevés pour analyse sont présentés dans deux types de tableaux :
Contexte et locations.
Résultats de laboratoire (positivité ou non au gaz sarin).
Aucun code de correspondance ne permet de relier ces deux types de données, et aucune synthèse n’est réalisée. Le lecteur est prié de s’arracher les cheveux pour rassembler les morceaux, quand c’est possible.
Dans le premier rapport, les échantillons prélevés les 28/29 aout proviennent de « Zamalka/Ein Tarma », mais dans les analyses finales de décembre 2013, les mêmes échantillons sont marqués « Zamalka », comme si aucun ne provenait de Ein Tarma. A-t-on trouvé des traces de sarin à Ein Tarma ? Aucun moyen d’en avoir le cœur net.
Une liste de 80 « survivants » a été soumise par « les médecins [locaux] sur deux sites », pour « évaluation clinique » et témoignages, sur critères prédéfinis. L’ONU n’en a sélectionné que 36, sans que l’on sache les critères de choix de cette réduction. Parmi ces derniers, 69% sont des hommes, pour une moyenne d’âge de 30 ans. La faible proportion de femmes retenues n’est pas expliquée (sociologie locale, circonstances…) ; on ne sait pas de quelle origine sont les victimes : Syriennes, étrangères ? Dans quel quartier vivaient-elles ? Depuis quand ? Où étaient-elles au moment des faits ? Y a-t-il au moins trois personnes habitant dans chacune des trois localités touchées ? Aucune réponse.
Une chose est sûre, la réduction de moitié de l’effectif testé, sans critère annoncé, rend le processus de sélection largement opaque.
La sélection globale des individus repose entièrement sur la bonne foi et la supposée liberté de choix des médecins et du « médecin chef de l’hôpital de Zamalka », dans un contexte où le territoire est sous le contrôle de l’opposition, composée essentiellement de groupes islamistes armés.
Politiquement orienté.
Le rapport onusien néglige gravement un fait majeur : la totalité de la mission du 26 au 29 aout se fait en territoire exclusivement contrôlé par un des camps belligérants, l’opposition. Le sujet est traité dans l’Appendix 3 :
« Un chef des forces d’opposition locales, considéré comme éminent dans la zone que la mission devait visiter, a été identifié et prié de prendre la « garde » de la Mission.
[…]
La Mission a également demandé aux individus qui ont été les principaux témoins des événements de… se faire une idée de l’épidémiologie des événements et de l’identification des sites d’impact des munitions… ».
La Mission aurait donc choisi librement le diligent chef de guerre qui va les escorter, et elle aurait contacté sans problème des « individus » neutres et bien informés, à distance, dans un territoire en plein conflit, pour choisir en toute autonomie les « sites d’impact ». Tout est parfait dans le meilleur des mondes onusiens – ou presque.
En page 24, le paragraphe “Limitations“ nous informe que « les sites ont été fréquentés par d’autres personnes avant l’arrivée de la Mission […] Durant notre présence sur les lieux, des individus sont passés, transportant d’autres probables munitions, indiquant que des indices de preuves potentielles ont été déplacées et possiblement manipulées ». Six jours de préparation n’ont visiblement pas suffi.
Le cœur du problème est donc bien mentionné dans le rapport… mais il n’est pris en compte ni dans les conclusions, ni dans la démarche d’enquête qui, telle quelle, avait peu de chances de dévoiler d’éventuelles incohérences.
Ce qui aurait pu et dû être fait, à minima :
Cartographier les lieux où les victimes examinées disent avoir été empoisonnées.
Expliciter lesquels des 5 sites d’impacts visités où des fragments de munitions et/ou de sols ont été détectées positifs au gaz sarin (le rapport est illisible). Les CARTOGRAPHIER.
Vérifier la cohérence entre ces deux cartographies, en fonction des paramètres disponibles.
Prendre en compte les conditions météorologiques. Seule la chute de température est indiquée, la vitesse et la direction du vent ne sont même pas indiqués !?
Rationaliser les entretiens des témoins (voir plus loin).
Rechercher les animaux morts à proximité des sites d’impact, qui pullulent lors d’attaques chimiques indifférenciées, à des fins d’analyse et de consolidation. S’il n’y en