Et dans le silence blanc de ces années d'hiver, nous en perdions même l'usage des mots, à force de nous taire...
Texte rédigé par Brigitte Bouzonnie en 2011. A force de vivre givré de solitude, coupé de tout, comme des îles, sans homme ni bateau, nous ne perdions l'usage de la parole.
Les gens sont malades de la société libérale. A vouloir un individu "hyper moderne", la société 2017 crée une bipolarisation de l'individu contemporain : ceux qui souffrent des névroses du trop ; ceux qui souffrent des névroses du vide explique Nicole Aubert dans son article intitulé "L'individu hyper moderne et ses pathologies", dans L'information psychiatrique, 2006-2007, volume 82.
1)-Les individus qui souffrent des névroses du trop :
D'un côté, l'individu conquérant, poursuivant avec acharnement son propre intérêt, défiant vis à vis de toute forme collective d'encadrement. L'individu fort est dans le trop plein, l'excès de sollicitations, de possibilités, dans sa quête forcenée de réussite sociale.
L'individu dans l'excès subit un trop plein de stress, de pressions, d'exigences de performance, qui le font vivre dans la dictature du temps immédiat. L'excès, c'est aussi, note Nicole Aubert, l'excès des consommations sexuelles, drogues ou autres, permises par une société délivrée du bien et du mal, qui structurait jusque là la construction des identités personnelles. Eugène Enriquez évoque l'apparition d'individus nouveaux "sans sur-moi, sans idéal du moi autre que l'argent et le sexe"(sic).
Pierre Bourdieu parle d'une étude réalisée par ses élèves, décrivant la vie d'un cadre des années 90, ayant 6 vies différentes en même temps sur toute la planète, cf son article "L'imposition du modèle américain et ses conséquences" dans son ouvrage "Contre-feux 2”, édition Raison d'agir, 2001.
2)-Les gens qui souffrent des névroses du vide :
De l'autre, l'individu par défaut, subissant le manque de considération, manque de sécurité matérielle, manque de biens assurés (maison) et de liens stables. C'est un individu "désaffilié", qui, ayant perdu son aspiration profonde à "être avec", flotte dangereusement dans une situation sociale instable. "Eprouvant un sentiment de vide psychique caractérise par l'incapacité douloureuse d'éprouver, de penser, imaginer"( cf Jean Cournut, "L'ordinaire de la passion", Paris, PUF, 1991).
Et dans le silence blanc de ces années d'hiver, nous en perdions même la pratique du langage, à force de nous taire. A force de vivre givré de solitude, coupe de tout, comme des îles, sans homme ni bateau. Il ne restait rien, sauf quelques gestes hagards, pareils aux signes des sourds muets. Après un jour de silence, un autre jour de silence. Un silence qui grandissait dans nos têtes, pareil à un arbre géant incongru. Et front incline sur notre propre défaite, nous restions dans notre prison de plomb, sans même l'espoir de pouvoir vivre un jour quelque chose de différent. Une prison mentale contre laquelle on ne pouvait même pas s'insurger, puisque officiellement, ce n'était pas une prison. Mais dont on ne pouvait pas sortir, faute d'argent et d'emploi à exercer.
Jacques Généreux montre comment l'idée même de faire société a presque disparu dans les têtes, avec l'impossibilité à "être avec", l'une de nos 2 aspirations profondes, l'autre étant d'être soi même ( cf La Dissociété, édition du Seuil, 2006).
Il importe de dénoncer cette société inhumaine, qui nous envoie toutes et tous dans le mur. Et de proposer une nouvelle société fondée sur l'entraide. En prenant exemple sur les SEL, mais qui seraient pilotées au niveau national. Avec la volonté politique assumée d'imposer des valeurs solidaires dans tout le pays. En recréant du lien social, en faisant de cette reconquête une priorité.
Hier, on parlait de repas solidaire organisé par Hélène Reys au centre social du Gour de l'arche. Ces réveillons solidaires ne sont pas une nouveauté. Cela a déjà était fait dans le passé. Ma mère me racontait souvent comment la petite mairie de Dussac (communiste) de Dordogne distribuait de la soupe aux enfants, dont elle qui avait 5 ans, juste avant la guerre. Ces initiatives sont excellentes, si elles sont organisées au niveau national, relayée par une idéologie d'ensemble.
C'est de cela dont doivent parler dans leurs passages média les dirigeants de la FI. Les dirigeants de la FI se plaignent qu'à toutes leurs phrases, les journalistes aux ordres répondent "Venezuela". Je pense que s'ils élevaient le débat, en montrant clairement le nouveau cadre intellectuel solidaire dans lequel on se place, ce serait beaucoup plus difficile aux plumitifs misérables aux ordres de Macron de leur parler du Venezuela. Comme disait Camus : "pour élever le pays, élevons les mots".