Enjeux majeurs de l’intervention militaire russe en Ukraine !
Extraits de l'article rédigé par l'économiste marxiste Vincent Gouysse le 9 mars pour le site Réseau International
Si l’on veut comprendre comment le Monde en est arrivé à la situation actuelle, on ne peut faire l’économie d’un minimum de rappels historiques.
En lançant une attaque surprise globale contre les principales infrastructures de l’Armée ukrainienne le 24 février 2022, Vladimir Poutine a indéniablement surpris tout le monde en Occident, y compris les analystes militaires cultivés et non hystériquement hostiles à la Russie, à l’instar du général (2S) Lalanne-Berdouticq qui concédait le 25 février s’attendre à « un appui militaire officiel aux provinces du Donbass en application du « droit des peuples à disposer d’eux-mêmes » ». En terme de droit bourgeois international, Vladimir Poutine a décidé de « soutenir les républiques séparatistes du Donbass, dont il a reconnu l’indépendance et qui l’ont « appelé à l’aide », légitimant ainsi en droit international cette intervention » à grande échelle contre l’Ukraine. Si la méthode est indéniablement brutale, elle n’est pourtant pas moins juridiquement légitime que celles employées de longue date par les puissances impérialistes occidentales pour justifier leurs ingérences coloniales les plus grossières…
Pour ceux qui, comme ce général français, connaissent réellement les faits historiques élémentaires, il est évident que « nul ne peut contester que l’Ukraine et la Russie, si elles ne sont pas strictement le même pays, sont indissolublement liées par l’histoire. La Russie fut créée à Kiev au IXe siècle après les invasions mongoles et l’on parla d’abord de « Russie kiévienne », des siècles avant de parler de « Russie moscovite ». Un Ukrainien est chez lui en Russie, comme un Russe l’inverse. C’est un fait et Poutine, comme tout Russe pénétré de patriotisme en est convaincu, avec raison ».
Nous jugeons essentiel de reproduire un passage assez long des réflexions réalistes de ce général qui souligne les conséquences à long terme, aujourd’hui bien sensibles, de l’effondrement du social-impérialisme soviétique :
« Il fut donc convenu avec Gorbatchev, mais sans qu’un traité en bonne et due forme soit signé, que s’il acceptait de rapatrier ses têtes nucléaires et de démanteler sur place les missiles stationnés à l’extérieur, les Alliés n’étendraient pas ensuite l’OTAN jusqu’aux frontières de la Russie ou de son « Etranger proche », autrement dit de son « glacis vital » tel que conçu par Moscou. Ce glacis vital comprend : les pays baltes, la Biélorussie, l’Ukraine et la Transcaucasie dont entre autres la Géorgie. Il fut de plus convenu que les Occidentaux gratifieraient la Russie d’une sorte de Plan Marshall pour l’aider à se reconstruire. Or, profitant de l’état de faiblesse extrême de la Russie, les Alliés ne tinrent pas parole et, non contents de leur victoire, ils allèrent jusqu’à humilier gravement leur ancien adversaire et en quelques années tous ces pays sauf l’Ukraine et la Géorgie rejoignirent l’alliance. (…) La grande Russie était à terre et les Américains ainsi que leurs alliés la frappaient du pied. Aucune aide financière ou économique ne fut organisée. L’ambassadeur américain à Moscou faisait passer des notes comminatoires au Ministère russe des Affaires étrangères plusieurs fois par semaine afin que la politique du Kremlin soit favorable aux intérêts de Washington (Témoignage d’un diplomate russe devenu ambassadeur ultérieurement). (…) En 2000 Vladimir Vladimirovitch Poutine, ancien officier supérieur du KGB arriva au sommet du pouvoir et succéda donc à Eltsine, après que ce dernier eut courageusement résisté à une tentative de coup de force d’une partie de la garnison de Moscou, excédée par la faiblesse de l’Etat et sa corruption. Les anciens membres des « Organes de force » de l’ex-URSS prirent donc en mains les destinées du pays. Ils étaient, c’est un fait, les seuls à posséder la discipline, la volonté et le patriotisme nécessaires pour mettre un terme à cette chute vers le néant. De plus ils étaient les seuls à connaître la vérité sur la situation de leur pays et celle de l’étranger, vérité inconnue du grand public du temps de l’URSS. S’en suivit une remise en ordre, lente mais méthodique, menée sans pitié pour certains « oligarques » qui s’étaient trop visiblement enrichis au détriment du bien public. D’autres furent épargnés et retournés, rendus raisonnables à la vue du sort réservé à ceux qui se croyaient suffisamment puissants pour résister aux nouvelles autorités. La prison, le « camp à régime sévère » du côté d’Arkhangelsk, voire la mort « accidentelle » étaient alors le lot des récalcitrants. Hébétée de souffrances et de privations, la population russe, consultée à plusieurs reprises lors d’élections qui n’avaient pas besoin d’être truquées pour se montrer favorables au pouvoir, se rallia dans ses grandes masses à Poutine et Medvedev, son Premier ministre. Cependant, non contents d’avoir terrassé le géant, les Alliés mais surtout les Américains, non seulement favorisèrent l’entrée dans l’OTAN des anciens membres extérieurs du Pacte de Varsovie mais s’engagèrent dans le démantèlement de la Yougoslavie. Le pire fut commis en 1999 lors de la campagne du Kosovo sur laquelle nous reviendront car elle est la matrice de la contre-attaque russe. Mieux, les Alliés imaginèrent de changer le régime politique de certains des pays du « glacis vital » russe au nom du « devoir d’ingérence » pour étendre leur propre vision de la démocratie. C’est ainsi que furent favorisées, voire organisées, par les services spéciaux américains et britanniques, les « révolutions de couleur » qui virent arriver au pouvoir, à Kiev mais aussi ailleurs, des hommes favorables à Washington et plutôt hostiles à Moscou. Ainsi, un pouvoir très favorable à l’ouest fut-il élu à la tête de ce pays en 2013 après les « événements de la Place du Maïdan » après la « Révolution orange ». Pour Moscou, les choses ne pouvaient pas durer longtemps ainsi sans réaction ».
Comme nous l’avons déjà souligné à plusieurs reprises depuis 2007, la Russie a donc indéniablement tourné la page de sa courte mais complète soumission au Capital financier occidental, et l’aile bourgeoise-compradore pro-occidentale défaite après avoir démantelé sans états d’âmes le social-impérialisme soviétique et sa sphère d’influence, a été remplacée par une aile nourrissant de nouvelles ambitions impérialistes en alliance étroite avec l’impérialisme chinois ascendant…
Une revanche de l’Histoire d’un point de vue des héritiers du social-impérialisme soviétique qu’incarne Vladimir Poutine et qui rêvent de redonner à la Russie une place de choix sur la scène internationale, ainsi que les « chaînes dorées de l’esclavage salarié » qui vont avec…
Sur le plan moral et humanitaire, il n’est pas très difficile à Vladimir Poutine de justifier l’intervention militaire russe directe et à grande échelle en Ukraine. Le soir du 21 février, nous soulignions que la reconnaissance officielle des républiques populaires de Donetsk et de Lougansk par la Russie administrait « une grosse claque aux fauteurs de guerre d’Occident », notant au passage que Bachar El Assad se disait prêt à faire de même, et qu’ « une invasion du Donbass » se compliquait « pour les fachos de Kiev »…(Voir ceci: Faut-il « dénazifier » l’Ukraine ? Qu’en est-il des autres pays totalitaires? – les 7 du quebec https://les7duquebec.net/archives/270783 . Le 24 février, au moment de l’annonce de l’attaque militaire russe de grande envergure contre les infrastructures militaires ukrainiennes, nous ajoutions ceci :
« Après huit années de Guerre permanente livrée aux peuples de Lougansk et de Donetsk (15 000 morts) par les fascistes de Kiev portés au pouvoir par le coup d’Etat pro-US de 2014, la Russie a dit « STOP » et frappé fort. Les médias occidentaux découvrent aujourd’hui qu’il y a la guerre en Ukraine… L’objectif affiché de la Russie : « dénazifier et démilitariser l’Ukraine »… De toute évidence la sanction pour l’avancée sans limite de l’OTAN à l’Est, après l’expiration de l’ultimatum russe à l’Occident »…
Dans des discussions approfondies sur la question que nous avons tenues le lendemain (le 25 février) avec nos camarades marxistes-léninistes du Burkina Faso, nous remarquions d’abord que la question de l’intervention russe en Ukraine était éminemment difficile pour un communiste révolutionnaire. C’est d’abord un fait que deux blocs impérialistes s’affrontent, l’Occident colonialiste en cours d’effondrement, et le bloc Chine-Russie-Iran ascendant plutôt porté pour le moment sur les méthodes d’exploitation pacifiques… Ce qu’endurent les populations russophones du Donetsk et de Lougansk doit cependant être pris en compte : les accords de Minsk, qui devaient accorder une autonomie nationale-culturelle aux régions russophones au sein de l’Ukraine, accords signés mais bafoués depuis 2015 par l’Ukraine avec la complicité bienveillante des occidentaux… Kiev dénie aux populations russophones jusqu’au droit à l’éducation dans leur langue maternelle… Huit années de souffrances permanentes, 15 000 morts, dont de nombreux civils… La Guerre en Ukraine n’a pas commencé le 24 février 2022. Cela fait huit ans que les peuples de Donetsk et de Lougansk vivent dans la peur et sous les bombes des auteurs fascistes du coup d’Etat pro-américain de 2014.
Depuis des semaines, Joe Biden poussait Kiev à intensifier les frappes contre le Donbass (jusqu’à 1 200 obus par jour lancés par Kiev juste avant la reconnaissance de leur indépendance par Moscou !) pour forcer la Russie à intervenir militairement afin de justifier les sanctions (l’inflation et la poursuite du « grand reset »). Les russes avaient donc deux choix : 1° attendre, reculer, mettre en péril les populations russophones du Donbass et laisser l’initiative à l’Occident ou bien 2° prendre les occidentaux à leur propre piège en reconnaissant l’indépendance des régions russophones et en les soutenant ouvertement dans leur offensive pour récupérer les régions russophones du Donbass occupées par Kiev. D’où l’attaque surprise du 24 février lancée par la Russie contre les principales infrastructures militaires de Kiev.
Nous soulignions également que bien que nous fussions « assez partagés » et que « nos sentiments » étaient « mitigés », notamment en ce qui concerne les lourdes conséquences politiques de l’intervention militaire russe en Ukraine, nous jugions néanmoins « pathétique » la position publique du PCOF, organisation prétendument marxiste-léniniste :
« Rien sur le coup d’Etat fasciste « Maïdan » pro-US de 2014, les violations des accords de Minsk, ni sur le calvaire de huit années des populations russophones de Donetsk et Lougansk… Avec de telles positions « de principe » dogmatiques héritées du pacifisme bourgeois et non de la vision léniniste qui ne juge pas en fonction de la division agresseur/agressé, mais de si cela profite ou pas aux travailleurs et aux peuples, le PCOF aurait condamné l’attaque de la Finlande par l’URSS fin 1939, bien que les analogies historiques aient une valeur relative… »
Assurément, Vladimir Poutine est un impérialiste et un anti-communiste et les circonstances comme les buts des deux attaques (Finlande en 1939 vs Ukraine en 2022) diffèrent fortement. Quand nous refusons de déclarer totalement illégitime l’intervention militaire russe en Ukraine, nous nous plaçons d’un point de vue des peuples qui subissent la guerre coloniale infligée par Kiev depuis huit années et qui entrevoient aujourd’hui le bout du tunnel. De leur point de vue, c’est un moindre mal. Mais ce n’est effectivement pas la solution pour laquelle nous combattons, nous, communistes.
Les capitalistes russes ont dit stop à sept années de violation des accords de Minsk qui avaient entériné un statut spécial pour les républiques séparatistes. Ces violations répétées ont été commises dans l’impunité la plus totale, avec la complicité occidentale,… comme en ce qui concerne le régime sioniste d’apartheid dont souffre le peuple de Palestine occupée depuis plus de sept décennies.
D’un point de vue strictement anti-colonial, « même sur le fond, il est difficile de parler d’une agression russe quand depuis huit ans, la Russie tente de faire arrêter le bain de sang dans le Donbass. Poutine a parlé de génocide et de bonnes âmes se sont aussitôt scandalisées. Mais on aimerait qu’elles nous expliquent le but de ces bombardements dont on voit mal l’intérêt militaire. Le but, c’est de faire régner la terreur dans la population russophone du Donbass. Et cette terreur est entretenue par les ukronazis qui ont une haine inextinguible pour tout ce qui est russe. Lâchons ces chiens sur le Donbass, et c’est le génocide assuré. Bien sûr, si cela se produisait, nos bonnes âmes regarderaient ailleurs, comme elles évitent de regarder de trop près ce qui se passe au Yémen. Ceux qui n’ont cessé de violer le droit international, ce sont les États-Unis. Alors arrêtons ces hypocrites qui prétendent compatir aux malheurs de l’Ukraine dont ils sont en fait les premiers responsables ».
Cela fait en outre des semaines que Washington pousse Kiev à attaquer le Donetsk et Lougansk pour en finir avec les séparatistes russophones et forcer Poutine à les soutenir ouvertement (et ensuite ainsi pouvoir justifier les sanctions et la poursuite du « Grand Reset »). Y voir, comme la grossière propagande de guerre occidentale, la seule folie et brutalité d’un homme (Vladimir Poutine), c’est le degré zéro de l’analyse politique auquel l’Occident a il est vrai habitué sans discontinuer ses peuples, en particulier dans l’analyse des « totalitarismes« … Vladimir Poutine a donc agi préventivement pour rendre obsolètes les plans occidentaux d’enlisement du conflit aux frontières des territoires séparatistes russophones et leur retirer l’initiative en reconnaissant l’indépendance de ces deux régions, le tout assorti d’un traité d’assistance militaire. La surprise, pour tous (depuis Washington jusqu’aux experts militaires pro-russes occidentaux), c’est l’attaque lancée immédiatement par les milices populaires du Donbass contre l’armée ukrainienne (pour récupérer la partie occupée du Donbass), attaque soutenue à grande échelle par les frappes russes simultanées contre plus de 83 cibles militaires ukrainiennes majeures au cours des premières heures (centre de commandements, défense anti-aérienne et anti-missiles, aéroports militaires, dépôts de munition) sur tout le territoire ukrainien… L’objectif est aujourd’hui clair, rétablir la situation d’avant le coup d’Etat occidental de 2014 et en finir avec la clique pro-occidentale de Kiev.
Un communiste ne peut être insensible à ce qu’ont enduré les populations russophones depuis 2014, sans être non plus emballé par les retombées (notamment idéologiques) en Occident, où les peuples vont en grande partie gober la propagande de Guerre occidentale… Pour le reste, à l’international, l’affaire ne devrait pas tourner à l’avantage des capitalistes occidentaux qui vont exposer leur impuissance à la face du Monde, sans oublier la perte de leur mainmise sur l’Ukraine, et cela va inévitablement hâter la fin de l’occupation et des agressions coloniales occidentales partout dans le Monde… C’est pourquoi la Chine ne condamne pas la Russie, qui avait dû l’avertir bien avant… La Russie et la Chine sont des impérialismes, au même titre que les puissances occidentales. Et Vladimir Poutine est effectivement nostalgique du social-impérialisme soviétique, c’est un fait indéniable. On ne peut cependant pas ignorer le fait que la Russie ne semble pas vouloir, du moins c’est ce qu’elle déclare (même dans le cas ukrainien qui est pourtant à sa porte), laisser une force d’occupation militaire en Ukraine.
Elle veut une Ukraine neutre qui ne la menace pas en se rapprochant toujours plus de l’Otan. De nombreux peuples du monde aspirent aujourd’hui à la fin de la politique coloniale, d’occupation militaire et de chantage permanent de l’Occident. Et ce qui se passe aujourd’hui pourrait contribuer à cela. Ce qui se passe au Donbass depuis des années, la politique fasciste de Washington/Kiev ne peut être nié. Cela ne fait évidemment pas de Vladimir Poutine un libérateur désintéressé… Le 23 février, nous écrivions d’ailleurs dans nos commentaires sur le média alternatif Réseau International :
« Je soutiens évidemment la décision majeure de Poutine sur la reconnaissance de l’indépendance de Lougansk et Donetsk, face au régime fasciste-fantoche de Kiev… Par contre, je déplore des mensonges récurrents sur la « dictature stalinienne » et une incompréhension totale de la stratégie léniniste de résolution de la question nationale et coloniale. Le droit à la séparation des républiques soviétiques n’est un problème que sous le capitalisme qui tend à disloquer les Etats multinationaux/multi-ethniques, surtout dans les périodes de crise. Sous le socialisme, ce droit est une marque de confiance, et une garantie qu’on restera sur les bons rails (ceux des rapports de production socialistes), sans quoi la sanction tombera, impitoyable : la séparation…. La Seconde Guerre mondiale a d’ailleurs montré que l’union étroite des nationalités composant l’URSS avait été presque parfaitement réalisée en seulement un peu plus d’une décennie de nouveau régime social (liquidation de la dernière classe exploiteuse constituée dans les campagnes), à l’exception de l’Ukraine, davantage marquée par la dékoulakisation et l’héritage cosaque du temps des tsars… »
Sur ce qu’ont vécu pendant huit années les populations civiles russophones de Donetsk et Lougansk dans l’indifférence générale des merdias/politiciens prostitués occidentaux à la morale à géométrie variable et à l’indignation si sélective, nous renvoyons au suivi régulier de la situation dans le Donbass réalisé des années durant par Christelle Néant. La morale des élites bourgeoises-compradore pro-occidentales de Kiev est également illustrée par ce fait qu’hier encore, l’armée russe détruisait un barrage construit par Kiev sur le canal approvisionnant le nord de la Crimée afin de couper son approvisionnement en eau…
Les russes profitent aujourd’hui de l’effondrement de l’Occident, de l’intensification de sa politique coloniale agressive (intensification des bombardements des peuples russophones du Donbass depuis plus d’une semaine par Kiev) pour dire : l’ère de votre politique coloniale systémique touche à sa fin et vos marionnettes vont maintenant rendre des comptes… En résumé, il est dangereux d’avoir une position manichéenne sur la question… Oui, la Russie est un impérialisme, mais son action est-elle moins légitime que son inaction aux côtés de Donetsk/Lougansk ? Nos sentiments sont certes mitigés, mais vont plutôt en faveur de l’intervention russe face à un Occident qui a délibérément soutenu des fascistes et envenimé la situation… D’autant que l’Occident a de toute façon planifié depuis des semaines une Guerre « locale » en Ukraine, dans le Donbass…
Nous rappellerons à cette occasion qu’en mai 2015, à