Le remaniement tant attendu a finalement eu lieu. Longtemps retardé par les atermoiements du président, il a semblé du coup précipité, presque bâclé. Annoncé par voie de communiqué après trois heures de fuites dans les médias, sans doute pour amortir le choc du non-événement, il fut immédiatement suivi par des passations de pouvoir express, et comme effacé par un double Conseil des ministres.
Ce fut comme s'il voulait se faire oublier aussitôt annoncé, remaniement furtif, à la sauvette, qui fit parler de lui plus par ses personnalités recalées que par ses nominations: l'éviction de Damien Abad, une prise de guerre à droite lâchée en rase campagne, l'exfiltration du porte-parolat d'Olivia Grégoire deux semaines après sa nomination, et le remplacement des trois ministres battues aux élections législatives –Amélie de Montchalin, Brigitte Bourguignon, Justine Benin. Sans compter le remplacement de Yaël Braun-Pivet, élue présidente de l'Assemblée nationale.
Ne manquait que le retour triomphal de Marlène Schiappa, rappelée en urgence de sa retraite politique, sans doute pour remplir les quotas de parité. En fin de compte, on ne retint de ce gouvernement baroque que la promotion de quelques députés Playmobil de l'ancienne majorité.
Sous la Ve République, les remaniements ne consistent pas seulement à changer de gouvernement. Ils constituent des moments privilégiés au cours desquels le pouvoir du monarque républicain s'affirme sans réserve ni limite. Remanier ne se réduit pas à changer de Premier ministre; ce n'est pas un simple épisode de la vie des institutions. C'est l'un des rites de la monarchie présidentielle. S'y donnent à lire les signes de la toute-puissance. Le monarque républicain détient le pouvoir de nommer et de congédier, de faire et de défaire les carrières. Il constitue sa cour de ministres et d'affidés selon des critères connus de lui seul et conformément à une infaillibilité quasi papale.
Dans notre monarchie républicaine, remanier est un rite au cours duquel on célèbre et légitime une forme d'absolutisme, celui du président. C'est pourquoi les remaniements sont ritualisés à l'extrême: tractations secrètes, consultations… Une cérémonie désuète dont témoignent dans notre mémoire télévisuelle le ballet des voitures officielles dans la cour d'honneur de l'Élysée, les silhouettes entrevues au bas du grand escalier Murat, la fixité de mannequin des huissiers, l'attente fiévreuse des postulants auprès du téléphone –qui a perdu de son aura depuis l'invention du téléphone portable. Et, finalement, cette liste tant attendue lue sur les marches de l'Élysée par le secrétaire général, qui revêt l'allure d'une bulle pontificale.
Le rituel qui préside à l'annonce d'un remaniement est très précis. Il prévoit que le secrétaire général de l'Élysée quitte le bureau du président au premier étage, descende l'escalier Murat et s'adresse sur le perron aux journalistes massés dans la cour d'honneur, devant lesquels il égrène les noms des ministres du nouveau gouvernement et le titre exact de leur maroquin.
L'autre c'est moi
Depuis le général de Gaulle, le président choisissait en la figure de son Premier ministre l'autre visage du pouvoir exécutif, son double. Il suffit de penser aux couples De Gaulle-Pompidou, Giscard-Chirac, Mitterrand-Rocard, pour se souvenir que ce dualisme du pouvoir exécutif est un rouage essentiel au fonctionnement des institutions, mais aussi un élément clé de la symbolique du pouvoir, de ses rites de passage et d'alternance. Ce dédoublement de la figure de l'exécutif est au cœur de la dramaturgie du pouvoir, qui fait alterner les figures de l'allégeance et de l'indépendance, de la loyauté et de la trahison, de la délégation et du duel.
En choisissant son Premier ministre ou sa Première ministre, ou en acceptant la personne que le suffrage a désignée par temps de cohabitation, en la congédiant ou en acceptant sa démission, le président déplie le pouvoir exécutif dans le temps et le déploie dans l'espace. L'instauration du quinquennat et l'inversion du calendrier électoral ont mis un terme à cette cartographie du pouvoir, à ses interactions, à son dialogisme. Désormais le président est seul. Il a perdu tout caractère narratif. Il se parle à lui-même.
Vidéo associée : Macron s’assoit une fois de plus sur la démocratie
En 2010, à la veille d'un autre remaniement, Laurent Fabius avait conseillé à Nicolas Sarkozy de «se remanier lui-même». Il pourrait en dire autant à Emmanuel Macron. Lorsque le pouvoir ne trouve plus à s'incarner que sous la figure de l'hyperprésident, alors un remaniement du gouvernement perd toute signification et toute efficacité symbolique, pour apparaître effectivement comme un «remaniement de soi».
L'homme aux mille visages a perdu la face. Zadig est réduit aux zigzags.
L'«entrepreneur de soi» qui trône au sommet de la République, servant de modèle à tous les petits entrepreneurs de soi qui sont ses sujets, ne peut plus le moment venu que se remanier lui-même. Il n'a d'autre choix que de changer de méthode, de clore une séquence et d'en ouvrir une autre. «J'ai changé!»: voilà le cri du cœur de la créature politique qui ne peut plus rien changer que lui-même. Comment capter l'attention une nouvelle fois quand on est seul en scène, que personne n'est là pour vous donner la réplique? Le président narrateur s'enfonce dans le monologue. Il se réplique, se duplique, s'auto-remanie.
En octobre 2017, l'hebdomadaire allemand Der Spiegel avait réalisé un entretien remarqué avec Emmanuel Macron, qu'il n'hésitait pas à comparer à Napoléon à Iéna, décrit par Hegel comme «l'Esprit du monde à cheval». Cinq ans après son élection, force est de constater que «l'Esprit du monde» est tombé de sa monture.
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Emmanuel Macron victime de sa légèreté
Réélu en avril pour un second mandat, Emmanuel Macron a été battu en juin, privé de majorité, comme si les électeurs avaient voulu tendre un piège à la monarchie présidentielle, obligeant l'hyperprésident à gouverner les mains liées, lui retirant les moyens de légiférer à sa guise, et finalement d'exercer son mandat.
Paralysé
Depuis le second tour des législatives, Emmanuel Macron s'est absenté de l'Élysée, calendrier diplomatique oblige, mais cette absence a pu donner l'impression d'une tentative de se relégitimer à l'international, là où ses pouvoirs ne sont pas contestés. Comme si le président avait préféré s'absenter, laissant la nouvelle Assemblée nationale –laquelle est divisée tout en lui étant hostile– installer ses contre-pouvoirs en son absence.
Depuis sa réélection, l'homme qui marche apparaît paralysé, incapable de donner une perspective à son action, réduit aux atermoiements et aux marchandages. L'homme aux mille visages a perdu la face. Zadig est réduit aux zigzags. L'homme du «Projet» et des grands desseins n'a semble-t-il plus rien à proposer aux Français.
S'il fallait lui trouver un modèle historique, ce n'est pas Napoléon qu'il faudrait invoquer, mais le duc d'Orléans.
La politique du «en même temps» cède le pas au règne des oxymores: les vertus du dynamisme, de la rapidité, de l'efficacité sont convoquées pour masquer la paralysie, le blocage, l'impuissance. On décrète un gouvernement d'action pour exorciser la paralysie de l'exécutif. On invoque la culture du compromis pour faire oublier la fracture politique du pays. Après des semaines de surplace, l'Élysée a donné pour mission à son gouvernement la tâche de tenir le coup. Une action défensive à tout le moins: tenir la tranchée, tenir la route ou le terrain en attendant...
Seul horizon crédible: la dissolution, qui plane désormais comme une menace sur la nouvelle Assemblée.
Difficile dans ces conditions d'opérer un remaniement, c'est-à-dire d'offrir ne serait-ce que l'illusion d'une nouvelle étape, ce qui suppose un renouvellement –«des visages et des usages», comme Macron le promettait en 2017. En 2022, il n'était plus question que de «changer de méthode» avant que les élections législatives ne lui en dictent le mode d'emploi. Le «Conseil national de la refondation» a fait pschitt! Il n'a rien refondé du tout, même pas lui-même.
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Après le «en même temps», le «cas par cas»: un naufrage français
S'il fallait trouver un modèle historique à Macron, ce n'est pas Napoléon qu'il faudrait invoquer, mais le duc d'Orléans tel que le décrivait Louis XVIII en avril 1821: «Depuis sa rentrée, il est chef de parti et il n'en fait pas mine. Son nom est un drapeau de menace. Son palais, un point de ralliement. Il ne remue pas et cependant je m'aperçois qu'il chemine. Cette activité sans mouvement m'inquiète. Comment s'y prendre pour empêcher de marcher un homme qui ne fait aucun pas? C'est un problème qu'il me reste à résoudre.»
HB
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