DONNE-T-ON TROP DE MÉDICAMENTS AUX ENFANTS EN FRANCE ?
Article rédigé le 20 février 2023 par Rebecca Stoecker pour le site ELUCID
Il est connu que les personnes âgées suivent souvent plusieurs traitements médicamenteux pouvant engendrer une surmédication. Or, en France, les enfants ne seraient pas épargnés non plus. C’est du moins ce que suggère une récente étude dont les résultats indiquent que les populations jeunes se voient prescrire davantage de traitements par rapport à d’autres pays comparables. Qu’est-ce que cela signifie exactement ? Que les enfants prennent trop de médicaments en France ? Et si c’est le cas, quelles en sont les raisons ? Et comment y remédier ?
La France demeure l’un des États les plus consommateurs de médicaments en Europe. Si l’on sait que les personnes âgées sont parmi les plus touchées par la polymédication, qu’en est-il du reste de la population ? Les chercheurs de l’Inserm se sont penchés sur la question et ont tenté de quantifier les prescriptions médicamenteuses dans un secteur bien particulier : celui de la pédiatrie. Leurs travaux ont estimé à quelles fréquences certains médicaments ont été prescrits chez les enfants en ambulatoire, durant la période 2018-2019 comparativement à 2010-2011.
Les résultats s’avèrent préoccupants car, sur la période la plus récente, près de 86 % des patients de moins de 18 ans ont reçu au moins un traitement médicamenteux dans l’année. Or, cela représente une hausse de 4 % par rapport à 2010-2011. Plus alertant encore, les enfants les plus exposés étaient les plus jeunes. En effet, plus de 97 % des moins de 6 ans ont eu au moins une prescription sur un an.
Toujours en se basant sur les données les plus récentes, les traitements les plus employés sont : les analgésiques, les antibiotiques, les corticoïdes (par voie nasale et orale), la vitamine D, les antihistaminiques et les anti-inflammatoires non stéroïdiens.
« En France, nous consommons tous trop de médicaments, les enfants comme les adultes, notamment les antibiotiques. »
La pilule, pas si facile à avaler ?
Sachant que la population pédiatrique, et notamment les enfants en bas âge, sont particulièrement vulnérables aux effets indésirables des produits pharmaceutiques à court comme à long terme, ces chiffres interpellent. Une première étude, datant de 2011, classait déjà la France en haut de la liste des plus grands prescripteurs de médicaments. Elle avait par exemple évalué que 97 % des enfants de moins de deux ans avaient reçu plus d’une prescription dans l’année.
Or, avec la mise en place de nouvelles recommandations entre les deux périodes d’études, les auteurs s’attendaient à une évolution importante du recours de certaines substances thérapeutiques. Pourtant, une baisse de seulement 12 % de l’usage des antibiotiques était observée sur les dix dernières années. De même, un enfant de moins de 6 ans sur trois s’est vu prescrire des corticoïdes oraux entre 2018 et 2019, une proportion qui restait stable par rapport aux données de 2010-2011.
Par ailleurs, la France serait un des plus grands prescripteurs de médicaments en pédiatrie ambulatoire, toujours d’après les travaux de l’Inserm. En effet, les scientifiques ont comparé les habitudes de prescription dans l’Hexagone et dans d’autres pays développés, et la France fait figure de mauvais élève. Par exemple, les jeunes Français sont 5 à 20 fois plus exposés aux corticoïdes oraux que les enfants norvégiens ou américains. Ils prendraient également cinq fois plus d’antibiotiques que leurs voisins néerlandais. Les chercheurs estiment que ces écarts ne peuvent pas s’expliquer par des différences épidémiologiques par rapport aux autres États (pas de pathologies plus fréquentes en France identifiées).
Toutefois, ces comparaisons doivent être interprétées avec précaution, car les systèmes de santé et surtout les politiques de remboursements diffèrent entre les pays. « Il faut faire attention à ces données et à leur interprétation, nous n’avons pas les détails de ces prescriptions. Il n’est pas clairement spécifié pour quelles indications on a eu recours à ces traitements », explique la Dr Justine Bénévent, pharmacologue hospitalo-universitaire à Toulouse. « Selon moi, il est trop tôt pour parler de surmédicalisation. Dans quel cadre ont eu lieu ces prescriptions ? », renchérit la Dr Sonia Khier, docteure en pharmacie et maîtresse de conférence à l’université de Montpellier.
« Les médecins ne sont pas encore familiarisés avec la philosophie de l’escalade des prescriptions. »
Des données qui posent la question, mais…
Pour ces deux spécialistes, des études plus approfondies s’imposent pour savoir dans quel contexte des prescriptions auraient pu être évitées. Le Dr Bénévent s’investit actuellement dans des travaux sur la périnatalité et notamment dans le suivi d’une cohorte baptisée POMME (pour PrescriptiOn Médicaments Mères Enfants), où son équipe et elle-même suivent le parcours de soin d’enfants pour analyser leur devenir en fonction des traitements pris par leurs mères durant la grossesse, mais aussi ceux qu’ils se voient prescrits pendant leur croissance :
« Nous avons également remarqué un recours important aux corticoïdes chez les enfants, mais, là encore, il faudrait y regarder de plus près pour connaître les indications pour lesquelles ils ont été prescrits. »
Des travaux épidémiologiques reposant sur des pathologies précises et les traitements utilisés pour y répondre s’avéreraient, selon elle, instructifs :
« Des études cliniques basées sur des cohortes le seraient également. Il n’est pas nécessaire qu’elles soient de très grande échelle pour nous donner des informations complémentaires. Une équipe pourrait, par exemple, interviewer les médecins sur leurs habitudes de prescriptions. »
Comme les chercheurs de l’Inserm l’ont signalé dans leur étude, « le secteur de la pharmacologie pédiatrique a été négligé pendant des années, amenant à l’usage de traitements pas forcément évalués dans cette catégorie de la population ». Les praticiens ne sont donc pas aidés dans leur démarche de prescription face à des enfants. Le Dr Bénévent précise :
« Il n’y a pas suffisamment d‘essais cliniques dans ces catégories d’âge. Cette population ne représentant pas toujours un marché intéressant, les laboratoires pharmaceutiques ne sont pas intéressés d’effectuer toutes les démarches afin d’obtenir une autorisation de mise sur le marché (AMM) dans ce secteur. »
Ce manque d’encadrement peut être une des causes de la méconnaissance des prescriptions en pédiatrie.
Une image positive du médicament en France
Pour l’équipe de l’Inserm, une des raisons qui peuvent expliquer ces écarts avec d’autres pays est l’image positive des médicaments en France, alors que dans d’autres États le rapport bénéfice-risque d’un traitement est mieux appréhendé. « Des campagnes d’informations comme celle pour les antibiotiques pourraient aider. On peut apprendre aux professionnels de santé à déprescrire », souligne le Dr Bénévent. En parallèle, pour le Dr Khier, il faut s’attaquer à la racine du problème :
« La formation des médecins à la prescription est réduite et pourrait être améliorée. Pour avoir une vision plus transversale, à l’hôpital notamment, cette partie de la consultation pourrait se faire en concertation avec les pharmaciens. »
Un parcours de soin plus fluide passe par davantage de consultations interprofessionnelles. Si des travaux sont en cours sur ce point, le chantier n’est, là non plus, pas encore déblayé.
Photo d'ouverture : Afanasiev Andrii - @Shutterstock
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