Discours sur l'état de l'Union : l'idéologie atlantiste d'Ursula von der Leyen
Article publié le 11/10/2023 par Jordi Lafon sur le site ELUCID
Le 13 septembre dernier, le « discours sur l’état de l’Union » d’Ursula von der Leyen fut révélateur de l’incurable idéologie atlantiste de la présidente de la Commission européenne. Or, ses œillères l’empêchent de saisir les défis et manquements qui se présentent aux États membres de l’Union européenne... sauf quand il s’agit de dénoncer les actes de Pékin ou de Moscou.
Au menu du « discours sur l’état de l’Union » de 2023 (SOTEU pour son acronyme anglais), on retrouve quatre grandes thématiques : la guerre, le changement climatique, l'intelligence artificielle et les enjeux économiques. Cependant, pour tout cela, il n’est fait mention que de deux responsables : la Russie et la Chine.
Plusieurs conflits, mais un seul ennemi : la Russie
Lorsqu’il est question des différents conflits et risques géopolotiques, Ursula von der Leyen n’y voit qu’un seul responsable : la Russie. En commençant par le continent africain, elle déplore la succession de troubles et de coup d’État dont elle fait porter la responsabilité aux entreprises de déstabilisation menées par le groupe Wagner et le Kremlin au cours de ces dernières années. Ainsi, elle fait fi des attaques verbales et physiques sur les positions françaises qui se multiplient ces derniers temps :
« La succession de coups d'État militaires augmentera l'instabilité dans la région pour les années à venir. La Russie exerce une influence sur le chaos qui y règne, et en tire également profit. Nous devons donc faire preuve, à l'égard de l'Afrique, de la même unité d'intention que celle dont nous avons fait preuve à l’égard de l'Ukraine. »
Au cours des dernières années, la France a pourtant été aux avant-postes de la politique européenne d’intervention dans différents pays africains. Si aujourd’hui, elle apparaît isolée au sein des vingt-sept, difficile de croire que le rejet dont elle fait l’objet ne sera pas étendu à l’UE dans son ensemble. Certes, les ingérences russes dans la région ne sont plus à prouver, et il faut reconnaître qu’elles ont exploité ce rejet de la France. Mais l’absence totale de remise en question du bilan français et européen en Afrique, ainsi que la désignation de la Russie comme unique responsable, entraînent l’UE dans une situation comparable à celle de l’Ukraine, c’est-à-dire un affrontement quasiment direct avec Moscou.
D’ailleurs, à propos de l’Ukraine, la présidente de la Commission a réaffirmé le soutien continu et indéfectible de l’UE, en promettant « 50 milliards d’euros supplémentaires sur quatre ans » et en évoquant la reconstruction et l’avenir du pays sans jamais prononcer les mots « pourparlers », ni « négociation » ou encore « paix ». En revanche, Ursula von der Leyen a martelé la dimension géopolitique de l’UE, qui se définit donc bien par la guerre, dans le cadre d’un conflit avec sa principale puissance voisine.
L’oxymore de l’élargissement uni
D’autre part, Ursula von der Leyen rejoint les positions du Parlement européen lorsqu’elle déclare : « L'avenir de l'Ukraine se trouve dans notre Union ». Un élargissement est donc envisagé à l’horizon 2030 et celui-ci ne se limite pas à l’Ukraine, puisque ont également été cités la Géorgie, la Moldavie et les Balkans occidentaux. On reconnaît bien ici la vision atlantiste héritée de la Guerre froide pendant laquelle l’OTAN et l’UE, représentants du bloc de l’ouest en Europe, n’ont eu de cesse de progresser vers l’est dans un jeu morbide de « gagne terrain ».
Sur l’élargissement de l’UE, le discours de la présidente de la Commission fait preuve d’un optimisme aveugle quant à la préservation de l’unité de l’Union : « Nous avons prouvé que nous pouvions être une Union géopolitique et que nous pouvions avancer rapidement lorsque nous sommes unis. Et je suis convaincue que l'Équipe Europe fonctionnera également à 30 et plus ».
Alors que des failles dans la solidarité entre les États membres actuels se font de plus en plus jour dans différents domaines (énergie, agriculture, commerce, industrie, défense…) il est pour le moins surprenant d’entendre que cette unité serait sauvegardée et même renforcée en y ajoutant toujours plus de nouveaux membres.
Les « succès » du Pacte vert malgré la concurrence déloyale de la Chine
Refusant de regarder en face les divergences d’intérêts économiques et commerciaux majeures au sein d’une UE abordant l’enjeu de la transition écologique et de la réindustrialisation, la présidente de la Commission a célébré le Pacte vert comme un « succès européen « succès européen », et en veut pour preuve l’industrie éolienne. Pourtant, nous avons récemment démontré que l’industrie européenne est bien loin de profiter de la forte croissance dont la production éolienne mondiale fait l’objet.
En réalité, plusieurs gouvernements réclament d’ores et déjà une pause réglementaire dans la mise en œuvre des mesures de décarbonation, craignant des conséquences économiques et sociales hors de contrôle... On est donc loin du « succès européen » que pourrait constituer le Pacte vert.
Seule ombre au tableau « enchanté » de la Commission européenne, les « pratiques commerciales déloyales de la Chine ». Ursula von der Leyen a choisi l’industrie des véhicules électriques pour dénoncer les concurrents chinois « bénéficiant d'énormes subventions publiques ». Un exemple bien étonnant lorsque l’on sait que la voiture électrique la plus vendue en Europe est un modèle Tesla et que, grâce à l’Inflation Reduction Act (IRA), le fabricant américain bénéficie également d’un soutien financier solide de la part du gouvernement à Washington. Mais il semble impensable de voir un jour la présidente de la Commission émettre une critique à l’encontre de l’Oncle Sam. L’IRA a d’ailleurs déjà motivé un changement de stratégie de Tesla, relocalisant certaines productions aux États-Unis plutôt que… en Europe !
Compétitivité : faute de puissance économique, toujours plus de normes
Ces enjeux économiques concrets se poseraient certainement différemment si l’UE et/ou les nations du continent disposaient d’un plus grand nombre de géants économiques, mais cela, la politique de concurrence de l’UE ne l’a pas encouragé, bien au contraire. Cette lacune se ressent à présent dans le domaine de l’intelligence artificielle (IA). Un état de fait que la présidente de la Commission déplore peu. À la place, elle souhaite s’atteler à faire ce que la Commission européenne fait de mieux : produire encore et toujours plus de normes. Et pas de quoi s’inquiéter outre mesure, puisque les géants de l’IA sont, selon elle, nos alliés atlantistes :
« Nous devons entretenir un dialogue ouvert avec ceux qui développent et déploient l'IA. C'est le cas aux États-Unis, où sept grandes entreprises technologiques ont déjà accepté des règles volontaires en matière de sûreté, de sécurité et de confiance. »
L’optimisme aveugle et la cécité géopolitique d’Ursula von der Leyen s’illustrent à nouveau lorsqu’il s’agit d’analyser la situation économique du continent. En effet, si l’on en croit la présidente de la Commission, l’Europe serait parvenue à « résister » à l’inflation, et ce alors que « Poutine a délibérément utilisé le gaz comme une arme ».
Et elle n’hésite pas à mettre les réussites en matière d’emploi au crédit de « l'économie sociale de marché européenne », un terme qui pourrait sonner paradoxal, mais qui s’appuie sur un ancrage historique mentionné dans ce même discours, à travers l’annonce d’un futur « sommet des partenaires sociaux à Val Duchesse » en 2024. Cet événement se réapproprie le terme historique qui illustre l'émergence du dialogue social européen au milieu des années 1980, à l’initiative de Jacques Delors. Interrogé sur la chaîne YouTube d’Élucid, l’ancien ministre Arnaud Montebourg avait qualifié cette période historique de « prémices de la mondialisation libérale avec la globalisation du marché des capitaux puis des biens et des services ».
Les mêmes causes produisant les mêmes effets, il semble donc que les promesses de la présidente de la Commission cachent la volonté de prolonger le développement d’une Europe naïvement libérale, uniquement capable de se méfier des dangers en provenance des ennemis désignés de l’Atlantisme.
Photo d'ouverture : La présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, prononce son discours annuel sur l'état de l'Union lors d'une session plénière au Parlement européen à Strasbourg, le 13 septembre 2023 - Frederick Florin - @AFP