Des millions d’Américains quittent leur emploi, qu’est-ce que cette « Grande démission » ?
Par Nicolas HASSON-FAURÉ
Aux États-Unis, des millions de salariés quittent leur emploi, dans des proportions jamais atteintes auparavant. Un phénomène surnommé la « Grande démission ». Comment expliquer cette tendance ? Touche-t-elle la France ? On fait le point.
« La Grande démission arrive. » Cet avertissement a été lancé par Anthony Klotz, professeur associé de management à l’Université A & M du Texas (États-Unis), dans un entretien au magazine américain Bloomberg Businessweek . C’était en mai 2021. Huit mois plus tard, la « Grande démission » est là : outre-Atlantique, des millions de salariés ont quitté leurs postes au cours de ces derniers mois, dans des proportions jamais atteintes auparavant. Pourquoi démissionnent-ils ? Qui sont-ils ? Ce phénomène touche-t-il la France ? Voici ce que l’on sait.
Qu’est-ce que la « Grande démission » ?
Au mois de novembre 2021, plus de 4,5 millions de démissions ont été enregistrées aux États-Unis, selon le Bureau des statistiques du travail (U.S. Bureau of Labor Statistics). Un chiffre jamais atteint depuis que le gouvernement américain dispose de statistiques sur le sujet, selon le quotidien américain The New York Times .
Au cours des mois précédents, de très nombreux employés avaient déjà quitté leurs postes : ils étaient 4,1 millions en octobre, 4,3 millions en septembre et 4,2 millions en août, et déjà plus de quatre millions en juillet.
Les chiffres du Bureau des statistiques du travail soulignent que cette augmentation des départs touche de très nombreux secteurs d’activité avec, en tête, l’hôtellerie et les loisirs : plus d’un million de démissions en novembre.
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Pourquoi les salariés démissionnent-ils ?
Comment expliquer ce phénomène ? Toujours selon Anthony Klotz, certains de ces employés avaient pour projet de démissionner en 2020 mais, sous l’effet de la pandémie de Covid-19, ont repoussé cette décision d’un an.
Le nombre de salariés quittant leur emploi a été multiplié par un autre élément, ajoute-t-il : la crise du coronavirus a souvent agi comme un révélateur, conduisant de nombreux Américains à s’interroger sur leurs priorités. Certains souhaitant passer davantage de temps avec leur famille, d’autres entendant privilégier le télétravail ou des projets personnels.
Une étude, réalisée par le réseau de cabinets d’audit et de conseil PwC en août 2021 aux États-Unis, s’était notamment intéressée aux raisons qui poussent un employé à démissionner. En première position venait le souhait de toucher un salaire plus élevé, suivi par celui d’obtenir de meilleurs avantages comme une mutuelle plus efficace, puis l’envie de faire évoluer sa carrière, et enfin le désir d’avoir davantage de flexibilité dans son travail.
Ce phénomène touche-t-il la France ?
« Ça y est, la « Grande démission » arrive en France », écrivaient quatre enseignants de l’école de management EM Normandie, dans un article publié sur le site The Conversation à la mi-décembre. Pour en arriver à cette conclusion, ils se sont appuyés sur des études, des observations, mais aussi des échanges avec des directeurs des ressources humaines, nous explique l’un des auteurs, Vincent Meyer, professeur assistant en gestion des ressources humaines et en théorie des organisations.
Le phénomène est toutefois plus difficile à quantifier en France, explique-t-il : les outils statistiques permettant de mesurer les démissions sont moins précis qu’aux États-Unis. Même si la direction de l’Animation de la recherche, des études et des statistiques (Dares), qui dépend du ministère du Travail, a constaté « un niveau élevé de démissions de CDI » à la mi-2021. Tendance qui « provient notamment des démissions, en particulier de salariés placés les mois précédents en activité partielle », notait l’institution début novembre.
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Selon Vincent Meyer, en France comme aux États-Unis, « un questionnement sur le sens du travail » est à l’origine de cette « Grande démission ». Ce questionnement n’est pas nouveau, mais la crise sanitaire a agi comme un « élément catalyseur qui a accéléré un phénomène plus profond ».
Dans le même temps, le marché du travail s’est « retourné », dit-il, devenant plus favorable aux candidats dans nombre de secteurs : beaucoup d’entreprises rencontrent des difficultés pour recruter, comme le disait encore Geoffroy Roux de Bézieux, le président du Medef, jeudi 6 janvier au micro de la radio France Inter.
Pour .@GeoffroyRDB, président du Medef : "La baisse du chômage a un effet favorable sur les salaires" #le79inter pic.twitter.com/MiYDo1suoZ
— France Inter (@franceinter) January 6, 2022
Résultat : dans beaucoup de secteurs, « il est plus facile de quitter son travail, car on peut en retrouver un plus facilement », explique encore Vincent Meyer. Pour mieux cerner le phénomène, ses confrères de l’EM Normandie et lui s’apprêtent à lancer une étude justement consacrée à cette « Grande démission » en France.