Critique extrêmement fouillée du projet de la FI, notamment sur la question de la souveraineté nationale !
Analyse de grande qualité du programme de la FI réalisée par Gilles Amiel de Ménard de la Rozaïs. Je remercie Vincent Christophe Le Roux de m'avoir fait connaitre cette étude rare.
18/02/2022 - Je vous propose un article particulièrement utile. Il s'agit d'une critique extrêmement fouillée du projet de la FI quant à la question de la souveraineté nationale.
L'auteur part de différentes affirmations du projet "l'Avenir en commun" et relève combien ces affirmations posent problème au regard d'une part de inexistence ou de la superficialité des "propositions" qui viennent les illustrer, et d'autre part des fluctuations pour le moins nombreuses et répétées de Mélenchon lui-même dans ses discours depuis de nombreuses années et de toutes les ambiguïtés qui en découlent.
En quelque sorte, même si l'auteur n'emploie pas ce terme lui-même et que je l'assume entièrement, il joue le principe du râteau, afin de tenter de convaincre des gens qui ne peuvent s'entendre puisque les projets des uns et des autres sont inconciliables.
Cet article est relativement long (il faut une bonne demi-heure pour aller à son terme) mais il est utile. C'est le fond qui est traité, sans aucune attaque ad hominem.
Il permet de cerner une grosse partie de qui a posé et pose encore problème chez Mélenchon et son mouvement, et qui explique pourquoi tant d'anciens militants et cadres du Parti de Gauche, puis tant d'acteurs - connus ou anonymes - de la France Insoumise ont quitté Mélenchon et ses amis.
Si vous avez l'habitude de réfléchir, d'analyser, d'accepter de lire des textes qui vous bousculent un peu dans vos analyses et vos certitudes, alors prenez connaissance de celui-ci. Pour bien comprendre pourquoi nous sommes nombreux à ne plus faire la moindre confiance à Mélenchon, à ses ami-e-s et à son mouvement. Même si nous avons été avec lui des années durant.
Certain-e-s d'entre vous pourrez, sans le dire, reconnaître en votre fort intérieur que cette critique est tout à fait solide et sensée mais que face au désastre en cours et à l'affligeant spectacle que nous avons sous les yeux,Mélenchon est "le meilleur" ou le "moindre mal" et que ça vaut le coup de tenter de jouer cette carte. SI vous avez ce raisonnement, alors c'est que vous n'avez rien compris. Désolé de vous le dire aussi abruptement.
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Analyse critique de la position de la FI sur la souveraineté nationale
Certains croient (encore) que la FI et J-L Mélenchon avancent avec un programme favorable à la souveraineté nationale. Une (ultime) mise au point s’impose.
Billet du 6 mai 2021 (toujours très actuel) par Gilles Amiel de Ménard de la Rozaïs
Introduction
En politique, il y a des cas de figures qui vous acculent au procès d’intention. C’est le cas lorsque la ligne d’un mouvement privilégie le flou et adopte une ligne qui change selon le contexte. C’est d’autant plus significatif lorsque les problèmes essentiels de l’époque sont depuis longtemps parfaitement identifiables, et partant stables, alors que les changements de ligne ne font que suivre une succession de préoccupations qu’il faut bien qualifier de politiciennes (attirer tel ou tel type d’électeurs potentiels par telle ou telle revendication, ou tel type d’idéologie). Et cela se confirme lorsque l’on comprend que chacun peut interpréter les propositions de ce mouvement selon ses propres options, y compris lorsqu’elles sont pourtant contradictoires. Dans ces cas-là, on se retrouve comme face à une séductrice ou à un séducteur : il est certes agréable de pouvoir ainsi se sentir choisi, ce qui est flatteur, mais on sent également que l’on se fait probablement manipuler.
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Conclusion
Les propos ont la couleur, l’odeur, et l’apparence de la volonté démocratique et sociale. Il y a une belle étiquette, un bon travail de marketing, mais rien n’est opérationnel. Le manque de clarté, ainsi que cette manière d’éviter systématiquement d’aborder le sujet qui fâche - celui de la souveraineté nationale - contraignent ceux qui la lisent et qui l’écoutent à lui faire un procès d’intention sur ses intentions réelles. Entre déconstruire les structures institutionnelles et économiques de la mondialisation sur notre territoire, ou bien seulement proposer une énième Europe sociale, la France insoumise ne tranche pas.
Entre désobéir à des traités ou bien sortir de l’UE, entre démanteler la puissance des marchés financiers ou bien créer une simple banque publique, entre forger une force politique populiste contre la gauche et la droite actuelles ou recréer une gauche plurielle pépère, la France insoumise ne tranche pas…
Et cela fait plus de dix ans que ça dure. Par conséquent, dans la partie de l’opinion publique qui ne fait plus confiance aux partis classiques pour faire face à la mondialisation - partie désormais majoritaire - elle n’est qu’une composante de la nébuleuse des organisations de gauche, une gauche largement discréditée pour de très sérieuses raisons et qui, de ce fait, a son avenir derrière elle.
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Entre l'introduction et la conclusion... le contenu de la démonstration
Le programme de la France insoumise est, comme celui de Syriza (en Grèce), celui de Podemos (en Espagne) et celui du M5’s (en Italie), volontairement plein d’ambiguïtés sur l’essentiel.
Par exemple, seule une lecture très attentive de ce programme peut permettre de saisir que sa réalisation implique de nouveaux traités supranationaux.
En effet, il propose de « sortir des traités » de l’UE sans sortir de l’UE. Mais étant donné que l’UE est basée sur la logique des traités, cette option implique de refonder les grands arrangements économiques dans le cadre de négociations multilatérales. Or, la logique qui vise l’inscription des orientations économiques et sociale dans des traités internationaux est précisément celle du néolibéralisme…
Autre exemple : le programme de la France insoumise propose de rester dans la BCE en lui assignant « d’autres objectifs ». Mais l’existence-même de la BCE implique l’émission d’une monnaie pour plusieurs pays différents, ce qui revient à empêcher la maîtrise par ces pays de leur politique monétaire.
L’ambigüité est donc le maître mot de ce programme. D’un côté, la France insoumise dit publiquement qu’il est hors de question de sortir de l’UE et de l’euro, de l’autre elle dit que quoi qu’il arrive, le programme de la France insoumise – bien qu’incompatible avec l’UE et l’euro – sera appliqué.
Que doit penser l’électeur ?
Quelle garantie a-t-il de ne pas signer un chèque en blanc en votant pour elle ?
Devant un tel flou artistique, la France insoumise nous condamne à un dilemme indépassable : s’abandonner à son arbitrage final en cas de victoire électorale, ou lui faire des procès d’intention, position désagréable mais logique.
Prenons des exemples précis du « Programme en commun » qui illustrent ce constat.
« Notre indépendance d’action et la souveraineté de nos décisions ne doivent plus être abandonnées aux obsessions idéologiques de la Commission européenne ni à la superbe du gouvernement allemand et de ses alliés ! » [Introduction du chapitre 4]
Doit-on comprendre avec cette phrase que la souveraineté de l’État serait effectivement rétablie ?
Non, mais ça n’est pas clairement assumé, au contraire. Le programme ne dit d’ailleurs pas de quelle manière cette souveraineté serait rétablie si la France restait dans l’UE, ce qui est la volonté de la France insoumise. C’est pourtant tout sauf un détail ! L’interprétation possible de cette phrase est :
– que le leadership allemand (inhérent au marché unique et à la monnaie unique) et la Commission européenne sont très mal vus par la France insoumise… ce qui nous fait une belle jambe pour ce qui est de notre souveraineté.
– que le problème (pour la France insoumise) n’est pas que la souveraineté nationale ait été abandonnée, mais à quiet comment elle l’a été. Or, même si la souveraineté de la France avait été abandonnée au profit d’autorités supranationales sympathiques, nous serions tout autant sortis de la démocratie. Celle-ci ne trouve en effet aucune voie de réalisation en dehors d’une communauté politique souveraine. Et cette communauté n’est autonome et démocratique que parce que son État est lui-même parfaitement autonome quant à ses orientations publiques, et que la souveraineté de cet État est attribuée à la nation et à personne d’autre.
Ici, comme dans les déclarations publiques des cadres France insoumise, la souveraineté est présentée comme une sorte de marge de manœuvre. Mais cela n’a pas de sens ! La souveraineté dans un cadre démocratique est le fait juridique de ne devoir en référer à aucune autre entité que la nation souveraine pour les orientations principales de la communauté politique correspondante. Or, ce que propose le programme de la France insoumise est de remplacer un cadre supranational (qui déplait parce que trop néolibéral) par un autre cadre supranational plus sympathique, après des négociations que l’on promet musclées.
Voilà ce qui transparaît d’une analyse objective de cette phrase. Son objectif est de faire croire qu’en contestant la direction de l’Allemagne et de la Commission européenne, la France insoumise veut le rétablissement de la souveraineté nationale. Elle donne donc des gages symboliques à ceux qui veulent le rétablissement de la souveraineté (incompatible avec l’UE, celle-là ou une autre), et rassure ceux qui ne veulent pas sortir des institutions européennes mais bien les « transformer », fantôme éternel de « l’Europe sociale », ce qui n’est pas autre chose que « faire du bruit avec sa bouche » …
« Protectionnisme solidaire »
On l’a dit, remplacer les traités multilatéraux actuels par d’autres traités multilatéraux revient à conserver la forme néolibérale de la gouvernance par traités, avec son corps de règles et d’interprétations juridiques supranationales, et avec les institutions dédiées à la mise en application de ces traités, découplées de tout processus démocratique. Une gouvernance de dizaines de pays aux intérêts d’autant plus divergents qu’ils font partie d’un marché unique. Et justement, la France insoumise ne dit rien de clair non plus concernant le marché unique.
Elle parle de « protectionnisme solidaire ». De quoi s’agit-il ? Quelles en seront les modalités ? De quel périmètre sera constitué ce « protectionnisme » ? S’appliquera-t-il vis-à-vis des pays européens qui pratiquent un dumping salarial, fiscal, social et règlementaire ?
Et si la réponse est oui, alors il revient à démanteler le marché unique… Le programme de la France insoumise n’en dit rien. Pourtant, la question du marché unique européen est fondamentale, puisqu’il opère une désindustrialisation massive des pays périphériques, France y compris, pour la concentrer en Allemagne, et dans son hinterland de l’Est (…).
Les mesures à prendre pour contrôler politiquement les mouvements commerciaux internationaux (puisque c’est de cela dont on parle quand on utilise le terme « protectionnisme »), tant entre les pays européens qu’avec le reste du monde, doivent être énoncées. Pour être prises au sérieux, elles devraient notamment comporter :
* L’institution des quotas (et non pas de simples taxes, comme on l’entend souvent), en visant explicitement le remplacement des importations par des productions nationales quand cela est possible, le tout dans le cadre d’une économie nationale de nouveau protégée de la concurrence extérieure.
* Le contrôle très strict des mouvements de capitaux à même d’empêcher toute délocalisation supplémentaire.
Seules de telles mesures (avec en plus le contrôle du secteur bancaire pour orienter les investissements indispensables) sont capables de réindustrialiser notre pays et permettre ainsi une véritable transition écologique qui ne dépende plus de la production chinoise (notamment), incontrôlable par définition, acculant les ambitions écologiques françaises à n’être que des songes creux sans possibilité de réalisation significative.
« Harmonisation sociale et fiscale européenne »
La France insoumise dit vouloir une harmonisation sociale et fiscale entre les pays de l’UE. Là encore, rien n’est dit sur le comment.
En effet, comment prétendre (sérieusement) parvenir à une harmonisation sociale avec la Bulgarie (par exemple), dont le salaire minimum est à 312 euros brut par mois (cinq fois moins élevé que le SMIC français) ? Si la Bulgarie augmentait brutalement son salaire minimum au niveau du SMIC, elle perdrait immédiatement son industrie.
Que l’on s’entende bien : elle devra l’augmenter, ou du moins elle devrait et pourrait le faire, mais à condition de se placer en dehors d’une stratégie mercantile centrée sur les marchés extérieurs, et très progressivement.
Même remarque sur l’objectif d’une « harmonisation fiscale« . Avec une fiscalité française globale de 28% contre 9% en Hongrie, dans le court terme, la Hongrie n’a aucun intérêt à rejoindre le niveau français, pour les mêmes raisons que la Bulgarie sur la question des salaires.
À Malte, les cotisations sociales sont à 15% contre 45.5% en France. Etc.
Avec de telles disparités, comment croire à une harmonisation possible à court ou moyen terme ? Et en attendant, que fait-on alors que la France continue de se désindustrialiser ?
Une stratégie de rupture est impensable si elle n’est pas rapide, car dans le cas de la victoire électorale d’une force politique favorable à la rupture d’avec l’ordre néolibéral, cet ordre utilisera tous ses moyens pour la rendre impossible, et alors même que le refinancement de nos banques est très vulnérable à la capacité de la BCE de leur couper les vivres dans un temps très court, comme elle l’a déjà fait plusieurs fois dans ce genre de situations. Par conséquent, compter sur l’aboutissement d’accords multilatéraux à 27 pays, c’est vouer cette tentative de rupture à l’échec. Pour pouvoir agir vite, il faut nécessairement agir de manière unilatérale dans un premier temps. Dans un second temps, ce ne sont pas des accords multilatéraux mais bilatéraux, entre nations souveraines, centrés sur la coopération qu’il faudra construire. S’il faut « rester dans l’UE », comme le dit la FI, c’est-à-dire au sein d’un espace européen encore majoritairement néolibéral, les accords multilatéraux sont inenvisageables.
Bref, la France insoumise prétend pouvoir concilier rupture économique, politique, sociale et écologique en France dans un environnement institutionnel supranational européen.
Cette contradiction n’est tout simplement pas crédible et jette un doute dévastateur sur la faisabilité de l’ensemble. Il est en effet logique de se demander ce qui sera sacrifié in fine dans ces objectifs contradictoires : les institutions européennes ou la rupture elle-même ?
À l’occasion du référendum de 2005, J-L Mélenchon a fait campagne contre la ratification du TCE (traité constitutionnel européen). Sa campagne critiquait le contenu économique néolibéral du traité, mais pas la captation de souveraineté qu’il impliquait. D’ailleurs, en février 2008, lorsque N. Sarkozy (alors Président de la République) a réuni l’Assemblée et le Sénat en Congrès à Versailles, J-L Mélenchon a participé avec tous les élus nationaux à un vote dont le principe-même a confisqué au peuple sa décision souveraine de 2005. La séquence 2005-2008 contient en résumé toute l’ambigüité des positions de J-L Mélenchon sur les questions européennes. Et les épisodes suivants ont confirmé cette ambiguïté en offrant le spectacle d’incessants revirements rhétoriques, aussi soudains qu’opportunistes.
(…)
Promettre à la fois le maintien dans les structures institutionnelles européennes et le respect d’un programme incompatible avec ces dernières, c’est faire une promesse ouvertement contradictoire. Et les promesses de ce genre ont un fort passif récent encore inscrit dans les mémoires collectives : celui créé par le précédent grec, celui de Syriza. On a vu dans quel sens penchait l’arbitrage final quand il fallait résoudre (fatalement) la contradiction.
Syriza aussi avait promis d’appliquer quoi qu’il arrive son programme, l’arrêt de l’austérité, et de rester dans l’euro. On connait la suite. Cette démonstration grandeur nature fut encore confirmée par les destins politiques de Podemos et de M5’s (et même de la Ligua dans un autre genre politique). On ne peut pas affirmer que la FI a forcément le même potentiel de trahison, mais en terme de résonance politique et de crédibilité, il est plus que difficile de présenter cette contradiction fondamentale comme quelque chose de clair et de rassurant…
La souveraineté nationale VS la « refondation » d’une nouvelle UE
Fondamentalement, la position de la France insoumise sur la souveraineté est illisible. La France insoumise agite des mots mais évite toute clarification et tout engagement sur cette question.
Le « plan A », comme le « plan B » de son programme ne nous disent pas quel est le périmètre des réarrangements institutionnels supranationaux qui fonde leur objectif politique. Qu’il s’agisse de « sortir » des traités ou d’y « désobéir« , ce qui se dessine en creux dans de tels propos est la reconstruction à nouveaux frais d’une structure et d’une logique supranationale européenne.
Il faut lire attentivement ce qui est écrit dans ce programme. Quand sont contestés les traités, il s’agit des traités « actuels » , adverbe ajouté de manière systématique. Mais quelle est la nouvelle organisation institutionnelle que la France insoumise a en vue ?
La même avec un nouveau contenu, donc un nouveau machin supranational avec des institutions qui appliquent des nouveaux traités, donc encore des institutions européennes antidémocratiques mais avec un contenu que l’on espère plus sympathique ? Ou bien une autre radicalement différente ?
La France insoumise nous parle de coopération européenne et non plus de concurrence. On ne peut être que pour un tel objectif. Mais la coopération économique implique de démanteler le marché unique. Pourtant, elle ne le dit pas. Or, la coopération n’est possible que si elle est internationale, et non pas supranationale. En droit international, on ne peut parler de coopération qu’entre entités autonomes, c’est-à-dire souveraines. Et il importe de savoir qui arbitre et garde la main sur les accords établis. C’est une question démocratique. Par conséquent, si cela doit être une organisation technocratique supranationale ou intergouvernementale, alors il est clair que chaque nation n’est plus libre d’engager les relations commerciales qu’elle entend.
Ainsi, même si le nouveau machin supranational que la France insoumise a en tête (mais dont elle ne nous parle pas) était « sympa » et bourré de bonnes intentions « solidaires », cela ne changerait rien au fait qu’il ne peut être qu’antidémocratique. Seuls les arbitrages intra-nationaux font que des gouvernements sont politiquement responsables de leurs choix devant leurs électeurs et seulement devant eux.
Une constituante « pour rire » ?
Le programme de la France insoumise parle d’organiser une constituante. Mais les raisons avancées et les solutions envisagées posent question (pour le moins). Une constituante n’a de sens que lorsqu’une majorité de la population estime qu’un régime politique donné n’est plus capable de fournir un cadre adapté aux problèmes les plus urgents de la collectivité politique correspondante. La pertinence d’un projet constitutionnel se juge donc à son adéquation avec la bonne analyse du blocage institutionnel qui rend ce projet nécessaire, ce qui implique des solutions adaptées capables d’assurer le déblocage de cette situation et un vaste soutien populaire permettant de légitimer largement un tel projet.
Qu’en est-il pour le projet de constituante de la France insoumise ?
Dans ses livrets grand public, la France insoumise explique que la profonde crise démocratique que nous connaissons est principalement due à la monarchie présidentielle.
Si un régime primo-ministériel responsable devant le parlement est effectivement préférable à la toute-puissance présidentielle actuelle, dire que cette toute-puissance est la cause principale de la crise démocratique c’est renvoyer (encore une fois) la question de la souveraineté nationale au second plan, alors qu’elle est particulièrement indissociable des enjeux démocratiques actuels. Commencer un projet constituant par dire que le Président a trop de pouvoir et que le scrutin majoritaire représente mal la diversité politique du pays, pour être vrai, semble en complet décalage avec le cœur du problème. Comme si nous étions restés dans les années 70 et que rien de majeur ne s’était passé, ni intégration européenne, ni mondialisation néolibérale.
Les pays insérés dans « l’Union » européenne ne sont plus souverains, par conséquent, que leur régime soit primo-ministériel, que soit mis en place ou pas un scrutin proportionnel, ou que le régime soit présidentiel (etc.), ne change rien à la situation que provoque la suppression de la souveraineté : les arbitrages électoraux ne permettent plus d’orienter l’évolution économique et sociale nationale de manière démocratique. Dit autrement : les élections ne sont plus que des simulacres de démocratie, un simple décorum. Un projet de constituante qui ne vise pas prioritairement le rétablissement de la souveraineté est donc au mieux une blague.
En effet, de l’effectivité pleine et entière de la souveraineté nationale dépend la possibilité d’un régime démocratique. Et cette évidence n’est pas juste théorique, mais aussi pratique.
Elle est d’abord institutionnelle, puisqu’une société (dans le fond) n’est faite que d’institutions (certaines implicites, d’autres explicites).
Elle est ensuite matérielle, c’est-à-dire économique, mais aussi et par exemple, militaire et géostratégique.
Un État qui n’a plus d’autonomie ni institutionnelle ni matérielle a donc perdu sa capacité à être un État politique moderne. Au sens socio-historique du terme, l’État politique moderne est issu du XVIe siècle. Il est politique parce que souverain, et donc capable d’orienter pleinement une société complexe par la modification continue de ses institutions principales, sur un vaste territoire, dans la direction qu’on estime nécessaire (tournure d’esprit, construction institutionnelle, sociale, symbolique et organisation économico-institutionnelle inconnue auparavant). C’est cet État moderne qui a permis de repolitiser les sociétés modernes, 2000 ans après les inventions des cités grecques, mais à nouveaux frais et de manière plus radicale qu’elles. Cette évolution a connu son acmé (temporaire peut-être) dans les décennies d’après-guerre, puis un spectaculaire reflux à partir des années 80. Les vraies sociétés politiques modernes sont les sociétés de ces décennies, toutes imparfaites qu’elles aient été.
La souveraineté nationale a également connu son acmé durant ces décennies (et ça n’est pas une coïncidence). Cette dernière a alors développé tous les moyens institutionnels nécessaires pour piloter l’économie. Notamment, entre bien d’autres innovations, la capacité de contrôler le circuit des liquidités nationales, et celui du financement de l’économie, dont les limites nationales respectées (protectionnisme et contrôle du mouvement des capitaux et des devises) permettait de faire des choix de manière relativement autonome, donc politique, donc démocratique dans le meilleur des cas.
(…)
La souveraineté « populaire » ?
La France insoumise ne parle pas de vouloir restaurer la souveraineté nationale mais la souveraineté populaire. Quelle différence cela fait-il ?
Si la nation est la communauté des citoyens qui s’attribuent la souveraineté de l’État, alors vouloir la souveraineté nationale implique dans un premier temps de vouloir la souveraineté de l’État. Le principe même de la souveraineté nationale repose sur le fait d’attribuer la souveraineté de l’État au peuple de cet État. Parler de la souveraineté populaire sans parler de la souveraineté de l’État n’a donc pas de sens.
Or c’est bien tout le problème : la France insoumise ne parle pas de rétablir la souveraineté de l’État, puisqu’elle entend laisser la France insérée dans une logique supranationale, dans une économie mondialisée échappant à l’emprise du politique. Par conséquent, l’expression « souveraineté populaire » est un piège rhétorique.
Pour être crédible il faut être explicite. Dans un programme qui prétend vouloir restaurer la souveraineté perdue, il faut donner des garanties aux citoyens que le président, le premier ministre, les députés, la cour constitutionnelle (etc.) ne pourront plus outrepasser leur fonction, qu’il leur sera désormais impossible de dissoudre une souveraineté qui ne leur appartient pas. Il faudra donc que la constitution stipule noir sur blanc qu’aucune institution publique ne sera plus en droit de mettre en jeu la souveraineté de l’État sans consulter la communauté des citoyens à qui cette souveraineté étatique appartient en propre. Consultation qui devra prendre la forme d’un référendum décisionnaire, la décision étant toujours temporaire et réversible.
Puisque la crise de régime est arrivée (notamment !) en raison de cette absence de garde-fou dans l’actuelle constitution, la nouvelle devra régler ce problème essentiel, sans tourner autour du pot.
Dans le projet institutionnel de la France insoumise, on n’a pas la garantie formelle et expresse qu’il y ait de nouveau une véritable souveraineté à attribuer au peuple. Au peuple, c’est-à-dire à la nation française, car il faut nommer précisément les choses en droit.
Et la nation n’est ni un nébuleux peuple universel, ni un inexistant peuple européen, pas plus qu’une notion sociologique ou politique floue et mouvante. Il s’agit d’un concept juridique cardinal qui reconnait que la communauté des citoyens d’un territoire étatique donné s’attribue à lui-même la souveraineté de l’État correspondant.
Dans un projet constitutionnel, la nation est une personne morale intangible et instituée précisément, qualifiée juridiquement et non pas socialement ou politiquement, puisque c’est le corps unifié, sans distinction aucune, des citoyens. Sur ce sujet central, il n’y a aucune place pour le flou rhétorique et pour l’à-peu-près juridique et politique.
Le gouvernement
Par ailleurs, si l’on prétend démocratiser le régime politique de la France, il faut expliquer comment l’on va garantir que la situation que nous connaissons ne se reproduira pas. Or, l’idée que se fait la gauche de ce que doit être un gouvernement date de la IIIe République : une république libérale parlementaire classique dont le gouvernement doit être le plus étroitement contrôlé par les parlementaires, les députés étant vus comme l’âme et le sang de la démocratie. Cette dichotomie manichéenne est obsolète depuis longtemps.
À l’âge d’or du parlementarisme libéral bourgeois, le parlement était distinct du gouvernement qu’il contrôlait étroitement. C’était l’époque où les gouvernements n’avaient pas à diriger véritablement une économie nationale et une administration publique gigantesque et multiforme. Il leur était d’ailleurs interdit de le faire s’ils voulaient respecter les principes du libéralisme politique. La question du gouvernement économique est devenue incontournable à partir de la Première Guerre mondiale. La situation a rendu les formes classiques du parlementarisme libéral inapplicables.
Le nœud gordien a été tranché dans l’entre-deux guerres, et les gouvernements ont acquis le pouvoir dominant dans l’État au détriment des parlements (même s’ils ne peuvent émaner que d’une majorité parlementaire).
Et contrairement à ce que prétend la doxa dominante, cela n’est pas en soi un problème démocratique. La question démocratique n’est en effet pas de savoir si les parlementaires dirigent réellement l’exécutif, mais bien plutôt de savoir si les citoyens eux-mêmes peuvent contrôler à la fois leur majorité parlementaire et le gouvernement correspondant.
(…)
Le fait majoritaire laisse aux citoyens la responsabilité de l’arbitrage et l’enlève aux politiciens dont ce n’est pas la mission. Ces derniers ont pour rôle (à travers les partis) de faire sourdre et d’organiser les courants d’idées qui traversent la société et qui correspondent à ses divisions, puis d’appliquer l’arbitrage qui s’est révélé majoritaire. Il faut donc aussi obliger les partis à appliquer leurs programmes et à ne pas se substituer aux citoyens quant aux grands arbitrages. Pour ça, le référendum doit occuper une place centrale dans la vie politique du pays (et pas uniquement par le RIC).
(…)
Le projet de constituante de la France insoumise donne nettement le sentiment de n’être là que pour masquer et compenser le refus de prendre le problème du supranational à bras le corps, de manière explicite, compréhensible et crédible.
La question de la définanciarisation de l’économie et des budgets publics
Sur ce sujet, on observe le même phénomène que pour les autres sujets cardinaux : le discours semble vouloir faire face au problème, mais lorsqu’il s’agit des propositions concrètes, on ne trouve rien de vraiment sérieux. Et c’est assez logique, car il fallait que ces propositions soient conciliables avec des formes supranationales de gestion de la création monétaire et des circuits bancaires.
Il est question de créer un pôle bancaire public pour les investissements. Mais cette mesure est complètement sous-dimensionnée par rapport au problème. Car il s’agit bien de récupérer le contrôle politique de l’investissement privé et public, comme c’était le cas durant les trois décennies qui ont suivi la Libération. En effet, laisser le marché privé (banques et marchés financiers) le contrôler librement, c’est laisser filer l’endettement privé (bien plus dangereux que l’endettement public), créant des bulles déstabilisatrices (immobilier et marchés financiers notamment) et provoquant un sous-investissement dans les secteurs stratégiques. La nécessaire réindustrialisation du pays et le tout aussi nécessaire investissement structurel dans la transition énergétique, cela n’est plus une option. Alors pourquoi se contenter de l’ersatz de cette action nécessaire au lieu de la proposer en bonne et due forme ?
Suit la conclusion que j'ai mise en début de texte.
https://lepetitnationiste.fr/.../analyse-critique-de-la.../
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Olivier Delorme Romancier : Cher Vincent, je trouve cette analyse, bien plus fouillée que ce que je pourrais faire, d'une implacable pertinence. Les gens de la LFI n'ont tiré absolument aucune leçon de la très courte expérience grecque : on ne désobéit à rien, on ne négocie rien,… Voir plus
Vincent Christophe Le RouxOlivier, j'étais certain que tu apprécierais cette analyse fouillée. En total contraste avec la FI, il y a u
Peux-t-on s’attendre a de la franchise de la part des francs maçons