CONJONCTURE : UN RETOURNEMENT ÉCONOMIQUE SEMBLE S’AMORCER
Article rédigé par Olivier Berruyer le 1er juin 2023
L'année 2022 a montré qu’il n’y aurait pas de retour au « monde d’avant » le Covid : comme on le constate chaque jour, le « monde d’après » c’est « le monde d’avant »... mais en pire. Si le moral des consommateurs s’améliore quelque peu, tout en restant dans les plus bas historiques, celui des entreprises se dégrade dans beaucoup de pays, signe d’un probable retournement économique qui ne serait pas sans conséquences au niveau de l'emploi et des salaires. Explications.
La confiance des consommateurs reste au plus bas depuis 40 ans
L’indice de confiance du consommateur permet de visualiser le « moral des ménages ». Un indicateur supérieur à 100 signale un « optimisme » des consommateurs envers la situation économique future, ce qui entraîne généralement une baisse de l’épargne et une volonté de dépenser de l'argent pour des achats importants au cours des 12 prochains mois, ce qui présage d’un meilleur climat économique à venir. Les valeurs inférieures à 100 indiquent en revanche un pessimisme envers l’avenir, qui entraîne souvent une tendance à épargner davantage et à dépenser moins, ce qui est mauvais pour l’emploi et les salaires.
En France, la confiance du consommateur – qui avait pourtant rapidement rebondi en 2021 après la chute liée à la crise du Covid – est morose depuis le retour de l’inflation et la guerre en Ukraine. Alors qu’un plus bas a été atteint en septembre 2022 – inconnu depuis 40 ans – l’indice est à peine remonté depuis lors.
Ceci est inquiétant, car un tel moral des ménages ne peut qu’entraîner un net fléchissement de la consommation. On peut même se demander si ce recul ne va pas déclencher une récession dans les prochains trimestres.
Plus en détail, on note que les consommateurs sont toujours plus pessimistes sur l’évolution du pays que sur celle de leur situation personnelle. Les opinions sur ces deux situations, passées comme futures, restent malgré tout très pessimistes.
Le consommateur français reste nettement plus pessimiste que le consommateur allemand, malgré les problèmes énergétiques que connait ce pays, qui vient d’entrer en récession.
Dans les autres grands pays européens, la dynamique pour les consommateurs est la même, seuls les niveaux changent : l’Italie vient d’attendre un moral neutre, celui de l’Espagne se situe entre celui de la France et de l’Allemagne, et celui du Royaume-Uni reste le plus bas des grands pays européens.
Le même mouvement a également lieu en Belgique – qui approche la neutralité – aux Pays-Bas et en Suisse, mais la confiance reste cependant à un niveau très bas.
La confiance des consommateurs américains a globalement suivi celle des consommateurs européens depuis la crise des subprimes ; les deux restent actuellement dans un relatif pessimisme.
La situation est très différente en Chine, où le pessimisme des consommateurs reste à des niveaux abyssaux – la Chine remporte même la palme du pessimisme des grands pays –, ce qui va probablement poser de graves problèmes économiques à Pékin. La situation est meilleure au Japon, mais le moral reste dans un pessimisme qui semble désormais pérenne.
Les consommateurs mondiaux restent donc généralement dans un état d’esprit fortement pessimiste. Mais qu'en est-il des entreprises ?
La confiance des entreprises en net repli
Tout comme l’indice de confiance du consommateur sonde le moral des ménages, l’indice du climat des affaires évalue la confiance des entreprises, qui permet donc d’anticiper leurs futures embauches et investissements.
Contrairement à celui des consommateurs, le moral des entreprises françaises n’est pas du tout à un plus bas historique, il est même à un niveau moyen, à 100, donc à la neutralité. En revanche, il est en dégradation continue.
L’Insee calcule d’ailleurs un indicateur de retournement, qui tente de détecter le plus tôt possible le moment où la conjoncture se retourne. Il évolue entre +1 et -1 : un point très proche de +1 (respectivement de -1) signale que l'activité est en période de nette accélération (respectivement de nette décélération). Et justement, cet indicateur vient de s’inverser : un mauvais signe pour l’activité économique des prochains mois.
Ce pessimisme frappe particulièrement le commerce de gros, l’industrie et les services depuis février 2022. Le moral du commerce de détail est au contraire en légère amélioration après avoir très fortement baissé, mais celui du bâtiment se dégrade depuis quelques mois, conséquence des problèmes actuels du secteur immobilier.
Conséquence hélas logique de cet état d’esprit, le climat de l’emploi – c’est-à-dire l’opinion des entreprises sur la tendance récente et à venir des effectifs dans leur entreprise – est également en net repli, même s’il reste toujours à des niveaux élevés.
C’est donc un nouvel indice inquiétant sur l’évolution à venir du chômage, comme nous venons de l’analyser dans un récent article.
Chez nos grands voisins, le climat des affaires est cohérent avec celui des consommateurs : très légèrement optimiste et stable en Italie ; optimiste mais en baisse en Allemagne, et désormais légèrement pessimiste au Royaume-Uni.
Si la Belgique connait une diminution du pessimisme, le mouvement est inverse en Suisse, en cohérence avec la confiance du consommateur.
Au Japon, la confiance des entreprises poursuit sa baisse et le pessimisme n'est plus très loin. En Chine, les entreprises sont de moins en moins pessimistes, ce qui est assez étrange, car la confiance consommateurs chinois, elle, est toujours au plus bas.
Terminons enfin par la locomotive économique américaine. Le climat des affaires y évolue comme en Europe, mais sur une base plus pessimiste depuis 2021. Le pessimisme américain vient même d’atteindre un plus bas depuis 2008 (hors Covid).
Cette tendance américaine à la morosité est confirmée par l’Indice national d’activité de la Fed de Chicago, qui est une moyenne pondérée de 85 indicateurs de l’activité économique étasunienne.
Si cet indicateur reste encore bien loin de la zone prédictrice d’une récession, on observe bien qu’il est en net repli, signe que l’économie américaine devrait bientôt commencer à ralentir.
En conclusion, on observe que dans la plupart des pays, le pessimisme des consommateurs a tendance à s’améliorer après « la claque » de 2022, mais que cette amélioration est généralement très limitée. A contrario, la tendance est plutôt à la dégradation de la confiance des entreprises en Occident. Celles-ci subissent les suites de la crise de 2022, en particulier au niveau de l’inflation. La situation est particulièrement inquiétante aux États-Unis, au Royaume-Uni et désormais en France.
Dès lors, nous risquons d’en percevoir les conséquences dans les prochains trimestres au niveau de l’activité économique, et donc de l’emploi et des salaires. Nous continuerons donc à suivre ce phénomène de très près.