Comment on a criminalisé à tort la Révolution russe de 1917 !
Article rédigé le 9 juillet 2023 par Brigitte Bouzonnie, à partir d'un discours prononcé par Alain Badiou à l'occasion du centenaire de la Révolution d'Octobre, 2017
Aujourd’hui, nous souhaitons revenir sur la Révolution russe de 1917. Notamment sur la mise à mort symbolique subi par ce grand évènement, hélas transmué en farce sanguinaire et sinistre. « Promu », par les intellectuels non communistes soutenus de façon exagérée par la CIA, au titre « d’acte criminel, qui aurait généré selon ces pseudo intellectuels 100 millions de morts”(sic).
1°)-Analyse du discours rédigé par Alain Badiou sur la Révolution russe :
Dans un discours prononcé par Alain Badiou lors d’une conférence sur le centenaire de la Révolution d’Octobre (Investigaction, 07 novembre 2017), surtout dans sa première partie, le philosophe de l’hypothèse communiste montre parfaitement comment la Révolution russe a d’abord enthousiasmé pendant plus de soixante ans des millions de gens, de l’Europe à l‘Amérique Latine. De la Chine à la Grèce, de l’Afrique du Sud à l’Indonésie. Et aussi bien la raison pour laquelle, pendant le même temps, elle a terrorisé et contraint à des reculades importantes, partout dans le monde, la petite poignée de nos maitres réels, l’oligarchie des propriétaires de capitaux (sic).
Et comment cet évènement grandiose s’est ratatiné sur place. Alain Badiou note à cet effet : « il est toujours impressionnant de voir, dans le temps court d’une vie humaine, un évènement historique vieillir, prendre des rides, se ratatiner et puis mourir. Mourir pour un évènement historique, c’est quand l’humanité toute entière vous oublie. C’est quand au lieu d’éclairer et d’orienter la vie d’une masse de gens, l’évènement ne figure plus que dans les manuels d’histoire spécialisés et encore. L’évènement mort gît dans la poussière des archives »(sic).
Et Badiou d’ajouter : « Aujourd’hui, c’est-à-dire depuis trente ou quarante ans, depuis la fin de la révolution culturelle chinoise, ou encore depuis la mort de Mao en 1976, on a organisé la mort systématique de toute cette immense histoire. Le désir même d’y revenir est taxé d’impossible. On nous raconte tous les jours que renverser nos maitres et organiser un devenir égalitaire mondial est une utopie criminelle et un sombre désir de dictature sanglante. Une armée d’intellectuels serviles s’est spécialisé, notamment hélas dans notre pays la France dans la calomnie contre-révolutionnaire et la défense acharnée de la domination capitaliste et impériale. Les chiens de garde de l’inégalité et de l’oppression des gens démunis, des pauvres, du prolétariat nomade, sont aux commandes partout. Ils ont inventé le mot « totalitaire » pour caractériser tous les régimes politiques animés par l’idée égalitaire » (sic).
On est donc passé des années d’enthousiasme (1917-1976), soixante ans pendant lesquels la Révolution russe de 1917 faisait rêver surtout les peuples meurtris de la planète à la dégringolade symbolique de la Révolution russe, transmuée en grande machine criminelle de masse, où les morts se seraient comptés par centaine de millions.
Au cours de la période 1977-2023, soit depuis 46 ans, est apparue une nouvelle interprétation de la Révolution russe, devenue selon les plumitifs aux ordres du capital et de l’immobilisme social une machine criminelle de masse. Pire encore, cette nouvelle interprétation mettait un point final à toutes les révolutions en gestation, qui ne pouvaient, toujours selon ces mêmes gratte-petits aux ordres, que générer la mort, la mort toujours recommencée, pour paraphraser une chanson de Brassens (Mourir pour des idées).
Aujourd’hui, la révolution russe comme « entreprise criminelle » est perçue comme « normale », « allant de soi ». On n’imagine pas le contraire. A tort. En réalité, cette interprétation de la Révolutions russe n’est ni plus ni moins qu’une construction sociale et idéologique apparu en Occident au milieu des années soixante-dix, sous la houlette notamment des nouveaux philosophes contre-révolutionnaires au service du capitalisme mondialisé occidental, dont le but était/est de liquider pour toujours la figure de l’intellectuel marxiste français analyse Alain Badiou dans son livre Eloge de la Politique, édition Café Voltaire/Flammarion, 2017.2°)- Le nouveau cadre théorique, pointant la grande falsification de l’histoire soviétique, montre implicitement que la révolution de 1917 n’est pas la farce sanguinaire décrite par les plumitifs occidentaux.
2°)- Le cadre théorique nouveau dénonçant la falsification de l’histoire soviétique remet en cause la criminalisation de la Révolution de 1917
Je crois qu’on peut aller encore plus loin que ne le fait Alain Badiou, dans sa critique justifiée de la criminalisation de la Révolution d’Octobre, devenue aux yeux de tous une machine à crimes de masse
L’analyse critique développé par Alain Badiou et dénonçant la criminalisation de la Révolution de 1917 n’est pas une offensive idéologique isolée. Depuis une dizaine d’années, on assiste à la publication d’ouvrages historiques sérieux, fondés sur une analyse des archives déclassifiées. Ces livres, loin d’accuser Staline ou Lénine sont d’un style nouveau. On pense à l‘ouvrage rédigé par Grover Furr : Khroutchev a menti, édition Delga, 2023, où chaque phrase du célèbre rapport Kroutchev de 1956 est analysée : l’auteur concluant, que le rapport n’est en définitive qu’un tissu de mensonges. Le livre de Viktor Zemskov : Staline et le Peuple, édition Delga, 2023, produisant de nouveaux chiffres sur le nombre de condamnés dans les camps du Goulag bien inférieurs à ceux annoncés par Soljenitsyne : 4 millions au lieu des 100 millions sortis du chapeau par ce dernier. L’excellente vidéo de l’Historienne, Madame Annie Lacroix-Riz à la librairie tropiques, intitulée : le livre noir de l’anticommunisme, en 2014. Elle montre en particulier les mensonges volontaires sur l’histoire de l’Union soviétique produits par les chercheurs des Universités réputées de Berkeley, Yale, Harvard, etc….
2-1°)- Présentation du livre de Viktor Zemskov : Staline et le Peuple
2-1°)- Présentation du livre de Viktor Zemskov : Staline et le Peuple
Toute la construction idéologique faisant de la révolution russe une farce macabre repose sur les chiffres de morts au Goulag, sensés atteindre 100 millions au bas mot, comme annoncé par Soljenitsyne. Chiffres totalement erronés comme le montre Viktor Zemskov, historien soviétique de renommée mondiale, pour ses recherches de première main dans les archives, auteur de l’ouvrage « Staline et le Peuple », publié aux éditons Delga 2023.
Zemskov part du constat selon lequel la science historique se trouvait confrontée à des chiffres de morts au Goulag inventés de toute pièce, qui ne sont confirmés par rien. Par exemple les 100 millions de morts au Goulag annoncés par Soljenistine. Au début de 1989, par décision du Praesidium de l’Académie des sciences, une commission du département d’Histoire de l’Académie des sciences de l’URSS, dirigée par Iou A. Poliakov se crée pour déterminer le nombre de morts exact dans les camps russes.
L’historien Zemskov est membre de cette commission et fait partie des premiers chercheurs à avoir accès aux rapports statistiques de l’OGuéPéOU-NKVD. Le document indiquait que 3 777 380 personnes ont été condamnés pour des crimes contre-révolutionnaires par le collège de l’OguéPéOU et 642 980 à la peine de mort. A ce chiffre, il convient d’ajouter le chiffre de 282 926 condamnés pour d’autres crimes d’état particulièrement dangereux : soit un total de 4 060 306 personnes condamnées comme le montre le tableau des archives de la page 16 du livre de Zemskov.
Autre chiffre intéressant : entre 1936 et 1940, 1 554 394 détenus sont libérés des camps du Goulag, ce qui interdit tout mimétisme avec le camp d’Auchwitz.
Entre 1921 et 1938, on compte 1062 000 criminels de droit communs et 1883000 prisonniers purement politiques. Pour la période 1921-1953, ce n’est donc pas 4060 000 détenus mais moins de 3 millions.
Zemskov et A Douguine ont publié deux articles dans les revues russes Na boïevom postou et Argoumenty i fakty.
Il faut savoir que le département spécial de l’OGuéPéOU recueillait des informations complètes pour informer les seuls dirigeants soviétiques. Ces chiffres n’avaient pas vocation à désinformer le public soviétique qui n’y avait pas accès. Il n’y avait donc aucun intérêt à mentir en grossissant les chiffres.
Et Zemskov de rejeter les chiffres de mots bidon avancés par Antonov-Ovseïenko et Razgone, les accusant de « pur charlatanisme ». Idem pour les chiffres de Medvedev et de Soljénistine. A propos de Soljénistine, Zemskov écrit : « Ni Soljenitsyne, ni les conseillers américains n’avaient accès aux archives secrètes de l’OGuépéOU, et par conséquent, toutes leurs « statistiques » ne sont que le fruit de leur propre imagination.(sic).
Zemskov accuse Soljénistine de lavage de cerveau. En effet, ce dernier passe à la télévision et estime que 66 millions de soviétiques sont morts à cause des famines. Et 44 millions pendant la seconde guerre mondiale, à cause d’une mauvaise et négligente gestion des dirigeants soviétiques. Soir 110 millions de morts au total qu’aurait voulu Staline. Et de Zemskov conclure : « sur la vague de ces fausses statistiques pseudo-sensationnalistes, l’idée de génocide contre son propre peuple est promue activement»(sic).
La planification d’une famine à des fins d’extermination collective n’a jamais existé. Soljénitsyne a assimilé tous les morts de la seconde guerre mondiale aux pertes humaines de la grande guerre patriotique contre les allemands.
Mais Soljenitsyne n’est pas le seul antisoviétique de service. O G Chatounovska, ancienne membre de Comité de contrôle du Parti près du Comité central affirme qu’entre le 1er janvier 1935 et le 22 juin 1941, 19,8 millions d’ennemis du peuple auraient disparu mystérieusement. Mais le document en appui de ses dires est introuvable.
Au prix d’une exagération consistant à multiplier par dix le nombre de détenus soviétiques, on fait oublier les six millions de morts dans les camps de concentration nazis. Par une escroquerie statistique, on éclipse le crime humanitaire le plus monstrueux du XXème siècle. Par cet artifice, Hitler et Himmler ne sont plus présentés comme les principaux criminels humanitaires de leur siècle.
Il est intéressant de noter que les chiffres de Zemskov ne font pas débat chez les grands scientifiques. Les critiques proviennent toujours d’un milieu amateur pseudo-scientifique.
A ce stade, et devant les chiffres non sourcés manifestement erronés de Soljenistyne, toute la question est de savoir comment ils se sont imposés dans l’opinion publique française comme « allant de soi », détruisant du même coup tout le bien-fondé de la Révolution soviétique et de ses suites ? Comme explique l’historien Simpson, l’Archipel du Goulag est publié en 1974. Entre 1974 et 1977, il ne se passe rien. L’opinion française est peu réceptive à ce livre. En 1977, arrivent les « Nouveaux philosophes » dans l’émission de Pivot « Apostrophes », qui dénoncent à tout va le « totalitarisme » de l’URSS. Du jour au lendemain, suite à un battage médiatique sans précédent, le livre de Soljenitsyne d’un millier de pages se vend à un million d’exemplaires, même si on peut douter que le livre ait été lu en entier.
Résultat : tous les équilibres politiques sont considérablement modifiés, suite au matraquage de ce mensonge (« 100 millions de morts au goulag ») scandé, répété depuis quarante ans. Le parti communiste français s’effondre, d’abord sur le plan idéologique, puis électoral avec l’échec de Georges Marchais aux élections présidentielles de 1981. Le parti socialiste allié aux dirigeants états-uniens s’est imposé comme le premier parti de gauche. Hégémonique sur le reste de la gauche. Perçu « comme le seul recours possible » pour nombre de militants de gauche faussement, sciemment désabusés par l’idéologie anti communiste, fondée sur le seul mensonge. L’arrivée au pouvoir du PS en 1981 fut vécue comme le seul changement possible à gauche. Et personne jamais ne protesta sur l’indigence des chiffres mensongers annoncés par Soljenitsyne.
Comment, matériellement parlant, techniquement, et alors qu’il était occupé à casser des cailloux au goulag, Soljenitsyne a-t-il fait pour élaborer, construire une estimation fiable du nombre de morts dans les camps soviétiques ? A aucun moment, la question ne fut posée, notamment lors de son entretien avec Pivot à l’émission « Apostrophes », ce qui montre l’extrême partialité de ses intervieweurs.
Pour mémoire, Germaine Tillon, déportée au camp de Ravensbrück, ethnologue de formation, a réussi, malgré sa difficile condition à identifier les stratégies d’extermination, selon Himmler et selon Hitler. Hitler voulait l’extermination totale de tous les dépotés. Himmler préférait les garder vivants, afin de les mettre en esclavage. De son côté, Hermann Langbein, auteur de l’ouvrage « Hommes et femmes à Auchwitz », collection 10/18, 1975, était un détenu, qui a réussi à rédiger un témoignage sur le camp d’Auchwitz quasi sociologique : avec notamment sa révolte de l’été 1944 et le dynamitage d’un des crématoriums par le sonder groupe. Enfin, Vrba, jeune déporté hongrois, a rédigé le livre intitulé « Je me suis évadé d’Auchwitz », où il raconte la vie quotidienne à Auchwitz. Ces livres sont poignants, très forts. Mais à aucun moment aucun d’entre eux ne s’aventure à donner une estimation globale du nombre de détenus du camp d’Auchwitz, voire de tous les camps de concentration nazis. D’ailleurs on ne les aurait pas crus. Alors, pourquoi accepter, sans bénéfice d’inventaire les chiffres sortis du chapeau de Soljenitsyne, qui n’ont aucun caractère scientifique : mais qui ont pourtant été imposés à tous les peuples occidentaux come la seule vérité possible.
Aujourd’hui, on sait, grâce à Chris Hedges, ex-journaliste vedette du New York Times, combien le mensonge est la pierre angulaire du capitalisme mondialisé occidental. On croit avec beaucoup plus de prudence les informations imposées par un système et ses médias aux ordres, qui mentent toute la journée et sur tous les sujets. Les bobards de Solenitsyne passent beaucoup moins bien dans nos consciences mises en garde face à la massivité du mensonge occidental imposé par nos dirigeants. Il est donc temps de remettre en cause les chiffres menteurs de Soljenitsyne, un cheveu de mensonge dans la déferlante de fake news que l’on se reçoit chaque seconde dans les oreilles.
La criminalisation de la Révolution soviétique se révèle être une fake news, un piège grossier, dans lequel toute personne un peu politisée ne doit pas tomber. Mais cela, personne n’ose le dire dans le débat public.
Après demain, suite et fin de cet article : Présentation de l’ouvrage de Grover Furr et de la vidéo de Madame Annie Lacroix-Riz.