Cocaïne : une drogue démocratisée et de plus en plus consommée en France
Article rédigé par publié par Rebecca Stoecker, publié le 13 septembre 2023 sur le site ELUCID
Les chiffres sont sans appel : sur ces dix dernières années, ce sont trois fois plus d’intoxications à la cocaïne qui ont été recensées. La cocaïne se banalise en France. En effet, Santé publique France a récemment alerté sur la forte hausse de la consommation et des intoxications, et ce depuis plusieurs années. L’Observatoire français des drogues et des tendances addictives (OFDT) a dénombré 23 335 passages aux urgences en lien avec la cocaïne entre 2010 et 2022, un chiffre qui a donc triplé. Cette hausse de la consommation entraîne évidemment une aggravation des conséquences sanitaires et constitue un véritable problème de santé publique.
Après le cannabis (209 millions de consommateurs à l’échelle mondiale), la cocaïne est le produit illicite le plus consommé au monde, et sa dynamique de diffusion s’est accélérée en l'espace de 20 ans (près de 21,5 millions d’usagers au moins une fois dans l’année, contre 14 millions à la fin des années 1990). Selon le dernier rapport de l’Observatoire français des drogues et tendances addictives (OFDT) paru récemment, plusieurs indicateurs tendent à démontrer que l’usage de la cocaïne s’est largement démocratisé en Europe et en France.
Si l’Hexagone apparaissait comme un pays relativement peu consommateur de cette drogue au début des années 2000, il se situe désormais parmi les États européens qui affichent une nette augmentation de cette consommation. Les tendances quant à son usage s’avèrent en hausse continue parmi les jeunes adultes, et ce de manière plus marquée que dans la plupart des autres pays d’Europe, même si cela reste sans commune mesure avec les plus grands consommateurs, comme le Royaume-Uni ou l’Espagne.
« L’Observatoire européen des drogues et des toxicomanies table sur 3,5 millions d’usagers de cette drogue dans l’Union européenne en 2020, soit 1,2 % de la population âgée de 15 à 64 ans. »
Des signaux convergents vers une augmentation de la consommation
En Europe comme en France, la diffusion de la cocaïne a globalement augmenté sur ces 20 dernières années. Toutefois, en ce qui concerne les données françaises, les chiffres les plus récents en population générale datent de 2017. Dans l’attente des enquêtes prévues en 2023, ces dernières données disponibles montraient que plus d’un adulte sur vingt parmi les 18-64 ans déclarait avoir déjà expérimenté au moins une fois la cocaïne, soit trois fois plus que 20 ans plus tôt (1,8 % en 2000 contre 5,6 % en 2017).
D’autres indicateurs plus indirects laissent supposer que la consommation de cocaïne a diminué lors de la pandémie de Covid-19, notamment suite à la fermeture des lieux de vie nocturne et de divertissement, qui s’avèrent associés à la consommation de cette drogue. « La consommation a beaucoup diminué lors de la crise sanitaire, mais cette baisse fut très ponctuelle, cette substance étant fortement liée au contexte festif », souligne Marie Jauffret-Roustide, sociologue, chercheure à l’Inserm et spécialiste du sujet. Effectivement, l’analyse des eaux usées ou les enquêtes menées auprès de sous-populations suggèrent que la consommation est rapidement repartie à la hausse après les confinements.
Les données de l'organisation de la surveillance coordonnée des urgences (OSCOUR) – qui trace les passages aux urgences ainsi que leurs motifs – attestent également d'une importante augmentation de la consommation de cocaïne. Les professionnels de santé ont observé une forte progression des recours liés à l’usage de cette drogue. Par exemple, à l’échelle d’une décennie (2010-2022), les entrées aux urgences en lien avec cette substance ont triplé. « Le nombre de décès associés à cette drogue est également en augmentation. Cette hausse est bien sûr liée à l’augmentation de la consommation, mais peut-être aussi au fait que le produit vendu de nos jours est plus pur, donc plus fort », explique la sociologue.
En France, une drogue qui s’est démocratisée
Cette augmentation peut s’expliquer avant tout par le fait que cette substance est de plus en plus disponible, le marché s’étant considérablement développé. « On le voit dans les quantités saisies, le dynamisme de ce trafic est très important ». La cocaïne est extraite à partir de la coca et reste surtout produite en Amérique du Sud. Cependant, sa production est en hausse dans les pays du nord de l’Europe. « La drogue transite par la Belgique et les Pays-Bas pour parvenir en France », souligne Marie Jauffret-Roustide.
Un second élément pourrait également être à l’origine de cet engouement pour la cocaïne : le traitement médiatique (séries, divertissement) et son impact social. Pour la chercheure à l'Inserm, « dès lors que cette drogue est considérée dans l’imaginaire collectif comme la substance de milieux sociaux favorisés, elle est moins diabolisée ». En effet, si l'on compare la cocaïne avec le crack – une substance chimiquement pourtant très proche – l’image renvoyée par ce dernier est aux antipodes (milieux défavorisés, junkie misérable, etc.).
La cocaïne demeure associée à la fête, mais depuis plus récemment, les représentations sociales l'associent à la performance au travail. « Cette drogue est un stimulant et elle est vue comme permettant de supporter un rythme de travail important », précise la sociologue. Le contexte du travail ayant évolué, cela a ouvert un marché : « On a observé des consommations plus importantes dans certaines professions pénibles comme les métiers de la restauration ou de la mer ».
Si dans les années 1980-90, son utilisation concernait certains profils spécifiques, notamment des personnes issues de milieux sociaux favorisés, proches du monde du spectacle, ou au contraire des publics marginalisés en retrait du marché du travail, aujourd’hui, le recours à cette drogue s’est largement diversifié et traverse l’ensemble des groupes professionnels. Son coût de plus en plus faible la rend de facto plus facile d'accès et répandue.
Une consommation en hausse chez les 30-40 ans
L’utilisation de cocaïne s’est notamment répandue parmi des populations faiblement diplômées. Toutefois, les hausses les plus notables s’observent surtout dans certains groupes d’âge. Étalée sur deux décennies, la proportion de consommateurs de cocaïne a certes doublé parmi les 15-30 ans, mais depuis 2014, l’expérimentation de cette substance régresse chez les nouvelles générations d’adultes (18-25 ans), au point qu’actuellement, l’initiation à la cocaïne est plus courante chez les individus ayant plus de 25 ans (autour de 10 % entre 26 et 34 ans), mais en recul parmi les jeunes majeurs. En effet, « ce sont chez les 30-40 ans que les hausses récentes ont été les plus remarquables », souligne la sociologue.
Enfin, de manière générale, comme la plupart des substances addictives à l’exception des psychotropes, les consommateurs de cocaïne sont en grande majorité des hommes. Même si une hausse de la proportion de femmes consommatrices a été constatée au début des années 2000 jusqu’en 2014, cette tendance s’est infléchie depuis (34 % de femmes en 2014 contre 28 % de femmes en 2017). Less plus touchées par cette addiction sont avant tout les femmes cadres : « Cela est avant tout dû aux normes de genre. Ces femmes ont réussi à progresser malgré le plafond de verre dans un environnement parfois majoritairement masculin. Elles acquièrent donc des normes associées au genre masculin ».
Enfin, le rapport de l’OFDT souligne que la demande de prise en charge a aussi augmenté : le nombre de demandes de traitement au titre de la cocaïne a ainsi plus que doublé en une décennie : « L’important est qu’une personne en difficulté ait accès aux professionnels de santé spécialisés. En France, contrairement aux États-Unis, la prise en charge est gratuite et les soins restent sous couvert d’anonymat ; ces données montrent que le dispositif fonctionne ». Le problème vient donc davantage d'un manque cruel de prévention et d'une absence de réelle politique gouvernementale sur cet enjeu majeur de santé publique.