Charles Piaget, figure emblématique du combat des Lip à Besançon, est mort
Article rédigé le 7 novembre 2023 par Blandine Costentin pour France bleu
Le syndicaliste et militant politique Charles Piaget, figure du mouvement social chez Lip à Besançon dans les années 70, est mort ce samedi 4 novembre, à l’âge de 95 ans.
Une personnalité marquante du mouvement social et de la politique s’est éteinte ce samedi 4 novembre, à l’âge de 95 ans : Charles Piaget. Il s’était fait connaître dans toute la France comme un des meneurs de l’affaire Lip, dans les années 70, à Besançon. On fêtait les 50 ans de ce combat cette année.
Charles Piaget était le fils d’un réparateur de montres à domicile, d'origine suisse, Dans les années 30, le père travaille dur. Enfant, Charles lui fait des petites courses, pour chercher du matériel par exemple, mais il traîne aussi beaucoup dans les rues avec des bandes de quartier et échappe de peu à la délinquance. Orphelin à 14 ans, il grandit ensuite dans une famille d'adoption, d'origine italienne, chez qui il vit de très belles années.
Juste après la Seconde Guerre mondiale, Charles Piaget entre dans l’entreprise Lip, qui fabrique des montres haut de gamme. Passionné et méticuleux, il travaille comme ouvrier outilleur, contremaître puis chef d'atelier. Rapidement, il se syndique à la CFTC, puis à la CFDT en 1964.
Très actif syndicalement, il l’est aussi politiquement en adhérant au PSU -à gauche du parti socialiste- dès sa création en 1960. Charles Piaget reste fidèle à sa foi catholique, mais l’abandonnera plus tard. Il s’engage contre la guerre d’Algérie, participe à des réunions, manifestations et tractages. En 1967, il s’implique dans la grève de la Rhodia, un conflit annonciateur de Mai-68 : la plus grosse usine de Besançon, une entreprise textile de 3.000 salariés, est occupée pendant un mois.
"L’usine est là où sont les travailleurs"
L’affaire Lip éclate en avril 1973 : mis en difficulté par la concurrence étrangère depuis le début des années 70, ce fleuron de l’industrie ouvrière française dépose le bilan. Les 1.300 salariés refusent le plan social. Ils occupent l’usine pendant près de trois mois, produisent et vendent eux-mêmes les montres, se versent leurs salaires. Cette expérience d’autogestion fait la notoriété de Charles Piaget, l’un des porte-parole du mouvement. Alors que les CRS ont fait évacuer l’entreprise au mois d'août, il prononce une phrase devenue célèbre : "L’usine, c’est pas les murs, l’usine est là où sont les travailleurs".
Dans une série d'entretien pour France Culture, en 2011, Charles Piaget parle du combat des salariés de Lip, comme d'une expérience presque utopique de solidarité et de libération : "Les Lip, c’étaient des gens très ordinaires, aliénés par le travail, et qui ont réussi à se rassembler, à faire éclater leurs potentialités, leur intelligence, leur imagination. Ça a été un petit morceau de ce que pourrait être la société humaine."
En 1974, alors que Lip vient de trouver un -éphémère- repreneur, une partie de l’extrême-gauche souhaite que Charles Piaget se présente à l’élection présidentielle. Le philosophe Jean-Paul Sartre soutient même sa candidature et écrit dans Libération : "Je voterais dans la circonstance pour Piaget, pour introduire quelqu'un dans le régime, face aux Pompidou et aux Mitterrand, qui détruise ce que eux veulent, la hiérarchie à l'intérieur du système, qui commence à indiquer qu'un homme ne peut pas être le chef d'un autre.". Mais cette candidature fera long feu.
Dans les années qui suivent, le parcours de Lip est chaotique : reprise, dépôt de bilan, liquidation, coopérative ouvrière… Charles Piaget fait partie de la Scop créée en 1978. En 1983, épuisé, il quitte l’entreprise et la scène sociale et politique, mais dix ans plus tard, il s’engage dans le lancement d’AC!, Agir contre le chômage à Besançon.
En 2007, la sortie du film-documentaire de Christian Rouaud, “Les Lip, l’imagination au pouvoir”, où il apparaît largement, lui donne l’occasion de parcourir la France pour participer à des débats.
Les Lip, l'imagination au pouvoir (2007) - Trailer
Contre le libéralisme économique, pour un monde solidaire
Sa vie d'engagement en témoigne, Charles Piaget était profondément opposé au libéralisme économique, qui "développe des contre-valeurs : la cupidité, la corruption et l’idée folle de l’accumulation des profits". "Il faut changer cette société" expliquait-il sur France Culture.
Charles Piaget a publié plusieurs ouvrages, dont “On fabrique, on vend, on se paye”, qui reprend le slogan inscrit au fronton de l’usine Lip pendant l’occupation du site. Il était aussi fan de cyclisme.
A l'annonce de son décès, plusieurs personnalités politiques ont rendu hommage à Charles Piaget. Parmi elles, Anne Vignot, la maire de Besançon. "Il nous laisse un héritage d'une immense richesse, celle de l'engagement et de la générosité", a-t-elle réagit sur le réseau social X. Quant à Jean-Luc Mélenchon, le fondateur de La France Insoumise, il a salué le combat du Bisontin.
Contre cette idéologie, "incapable de régler les problèmes majeurs de l’humanité", Charles Piaget se voulait optimiste et voyait des "lumières" : "Partout dans le monde, il y a des gens qui disent ‘ça va pas, on n’a pas à être en compétition ’, alors l’homme arrivera peut-être quand même à faire un monde solidaire."