CANICULES INFERNALES EN VILLE : LE CALVAIRE DES ÎLOTS DE CHALEUR URBAINS !
Article rédigé par Roxane Curtet le 19 juillet 2022 pour le site ELUCID
Opération qui consiste à recourir à un modèle pour représenter un système complexe. Cela permet d'étudier plus facilement et de mesurer les effets des variations de tel ou tel éléments le composant sur ce même système.
Chaque été, les habitants de métropole en font la pénible expérience : quand le thermomètre s’affole, la ville suffoque. Les épisodes de vague de chaleur sont d’autant plus difficiles à supporter en agglomération, et les raisons ne se limitent pas à la pollution atmosphérique, loin de là. Ce que les scientifiques nomment « îlots de chaleur urbains » ont un effet considérable sur les températures ressenties, notamment la nuit où à Paris, on a pu constater un écart de 10 °C par rapport aux campagnes environnantes. Voilà pourquoi les scientifiques ont décidé de les étudier et de mettre au point des solutions pour une urbanisation des villes adaptée, car pour l’instant, quand la chaleur arrive en ville… elle s’installe !
Dans la chaleur de la nuit… pas seulement un film culte, mais aussi la suffocante réalité à laquelle sont confrontés les habitants des grandes agglomérations. Un long métrage qu’ils se repassent en boucle chaque été lors des canicules. Or, avec le changement climatique, il est probable que les "rediffusions" soient encore plus nombreuses. En effet, la température dans les grandes villes est souvent supérieure à celle des campagnes avoisinantes, notamment la nuit où le mercure baisse beaucoup plus difficilement. Ces phénomènes, baptisés « îlots de chaleur urbains » ne sont pas récents, au contraire, ils sont apparus avec l’industrialisation. Pourtant, ce n’est qu’au milieu du XXe siècle que l’étude de ces points chauds s’est développée afin de mieux comprendre leurs origines.
« Les îlots de chaleur sont dus principalement à l’imperméabilisation des surfaces. »
Phénomène météorologique et non climatique
Contrairement à ce que l’on pourrait croire, les émissions de gaz à effet de serre sont loin d’en être la cause majeure, même si le réchauffement climatique vient s’ajouter au phénomène existant. « Ce sont deux processus indépendants. Les îlots de chaleur sont dus principalement à l’imperméabilisation des surfaces », explique Valéry Masson, directeur de l’équipe de recherche sur le climat en ville au Centre national de recherches météorologique (CNRM).
Asphalte, bitume, béton… voici les vrais coupables, car, quand vient la nuit, ils restituent l’énergie du soleil qu’ils ont emmagasiné pendant la journée sous forme de chaleur. À la campagne, la végétation absorbe cette énergie solaire et l’évacue sous forme de vapeur d’eau, c’est pourquoi il y fait beaucoup plus frais. D’autre part, « la journée l’atmosphère se mélange sur une hauteur d’un ou deux kilomètres, ainsi la température est beaucoup plus homogène. En période nocturne, l’air est brassé à une altitude cinq fois moindre qu’en plein jour », précise le spécialiste.
Quant à la pollution, son impact reste faible. En revanche, la climatisation serait responsable d’une hausse de l’ordre de 1 °C dans certaines grandes villes. Cela peut s’avérer déjà conséquent, car les chercheurs estiment que dans certains quartiers parisiens le mercure affiche un écart de 10 °C par rapport à la campagne à proximité. Cette différence serait d’environ 5 ou 6 °C dans d’autres agglomérations de l’hexagone comme Toulouse. Or, lorsque la température reste élevée pendant la nuit, le corps ne récupère pas de la chaleur de la journée. Ces zones de forte chaleur ne sont donc pas sans conséquences sur la santé.
Prédire les îlots de chaleur ?
Afin de mieux cartographier le phénomène, il faut des données. Des stations météo ont donc été déployées dans plusieurs villes de France à cet effet. Une nouvelle expérimentation vient d’ailleurs de débuter en région parisienne. Valéry Masson précise :
« On a commencé il y a quelques semaines. Nous avons lancé des ballons sur Trappes et Bercy pour comparer les températures entre le centre-ville et la zone quasi rurale. Des instruments sont également placés sur les toits de l’université à Paris et de l’aéroport Charles de Gaulle pour observer l’atmosphère en continu. Une trentaine de stations vont être également installées sur des lampadaires et au-dessus des bâtiments pour examiner comment l’air chaud se déplace dans l’atmosphère. »
Un projet de grande envergure qui devrait se poursuivre pendant un ou deux ans. Le but ultime étant la modélisation de ces îlots, ce qui n’est pas simple, car il faut allier deux modèles. Le premier est un modèle météorologique qui repose sur des mailles (l’atmosphère est quadrillée avec une échelle d’une centaine de mètres) où les scientifiques essaient d’estimer la température, la pression, l’effet du vent…
Un second modèle est ensuite ajouté pour analyser les échanges d’énergie entre la surface et l’atmosphère. « On ne peut pas modéliser chaque bâtiment, on simule des quartiers types avec plus ou moins de végétation ». À l’avenir, ces travaux devraient permettre de prédire les températures à l’échelle des quartiers. Pour le moment, ils servent à tester différents scénarios d’adaptation en prévision des îlots de chaleur et surtout du changement climatique.
« 50 % de végétation au sol supplémentaire dans les espaces libres dans une ville comme Paris pourrait rafraîchir l’atmosphère d’un ou deux degrés. »
Vers un urbanisme adapté
Des solutions existent déjà à l’échelle de l’urbanisme. En effet, il a déjà été observé que les villes caractérisées par une structure en grille comme Chicago emmagasinent plus de chaleur par rapport aux villes plus anciennes comme Londres. De même, le réchauffement urbain est accentué par les grands immeubles, qui bloquent les courants d’air plus frais. D’où l’intérêt de « penser » la ville autrement. « À Stuttgart, par exemple, les rues sont conçues de telle façon qu’elles acheminent l’air frais des collines vers le centre-ville ». Cependant, ce type d’aménagement est à adapter ville par ville en fonction de ses spécificités.
Une autre possibilité envisagée serait de « végétaliser les villes » : 50 % de végétation au sol supplémentaire dans les espaces libres dans une ville comme Paris pourrait rafraîchir l’atmosphère d’un ou deux degrés, d’après des travaux de modélisation. Améliorer l’isolation des bâtiments qui pour l’instant est plus adaptée pour le froid hivernal que pour garder la fraîcheur. « Des réglementations existent pour le confort en hiver au niveau des bâtiments, mais pas pour les fortes chaleurs », argue l’expert. Des appartements traversants permettent de mieux ventiler naturellement et de limiter l’usage de la climatisation. Enfin, des immeubles aux couleurs claires stockent moins la chaleur.
Toutefois, pour que ces solutions prennent vie, il faut que les décideurs s’en emparent. « Les collectivités ont commencé à prendre davantage en compte ce problème suite à la canicule de 2003 ». Au vu des hausses de températures auxquelles nous allons probablement devoir faire face suite au réchauffement climatique, ce n’est pas le moment de se dire… laisse béton !
Photo d'ouverture : Melinda Nagy - @Shutterstock